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Abdellatif Lâabi présente “Maroc : quel projet démocratique ?” : Quand un intellectuel ne négocie jamais ses idées


Narjis Rerhaye
Mercredi 1 Juin 2011

Tous les dix ans, Abdellatif Lâabi procède à une sorte de bilan de santé et de littérature. Il ressort ses cartons, feuillète de nouveau ses feuillets, forcément jaunis. Le temps est passé, mais  les rêves, eux, sont toujours aussi têtus. Dans la malle à souvenirs, la malle à douleurs aussi, des écrits, des réflexions et, surtout, les convictions profondes d’un intellectuel dont les remises en question procèdent toujours d’un nécessaire devoir d’éthique.
Ce lundi 30 mai, Abdellatif Lâabi est venu à la rencontre de son public pour présenter à la Bibliothèque nationale son dernier ouvrage  « Maroc, quel projet démocratique ?» qui vient tout juste de paraître aux éditions « La croisée des chemins ». Des textes publiés, ici et ailleurs, des années 1980 jusqu’en 2011 et que Lâabi a choisi de publier pour « livrer au lecteur l’essentiel à ce jour de son travail de réflexion, de ses prises de position concernant différentes facettes de la question démocratique au Maroc ».
Abdellatif Lâabi parle avec pudeur de ses années de plomb, de l’enfer de l’arbitraire. Il dit « l’expérience que j’ai vécue ». Il faut ici comprendre enfermement, incarcération, prison. Rester digne, ne pas baisser les bras, résister pour traverser cet enfer. « Lorsqu’on retrouve la liberté, ce genre de réflexe ne se perd pas », murmure-t-il.
C’est de cette expérience qu’est née probablement la permanence de son combat. Mais, explique-t-il dans des conditions nouvelles. Les remises en question n’altèrent jamais les convictions, les valeurs. « Un intellectuel ne négocie pas les idées, les convictions, les valeurs fondamentales telle que l’éthique. Un intellectuel ne négocie pas avec les pouvoirs constitués », assure Lâabi.
L’ouvrage est publié alors que les nouvelles d’un Printemps arabe ne cessent  d’être égrenées au fil des jours et  d’une actualité effrénée, entre « urgent » et « breaking news ». Ce n’est pas fortuit. La démocratie et  la liberté sont ces rêves fous que faisait le poète, romancier, homme de théâtre, traducteur et l’un des pères fondateurs de la revue Souffles.40ans après la parution du « Règne de barbarie », l’homme se présente toujours comme un observateur de la scène politique, « folklore politique », rectifie-t-il. Un observateur qui analyse, propose, loin de la dénonciation ou de la critique forcément gratuite. « Il m’est arrivé de ne pas être tendre avec les forces démocratiques », admet-il pourtant.
La militance n’a jamais occulté chez Abdellatif Lâabi  la passion des mots et du langage. En ces temps de changement, il cache à peine sa lassitude de voir des mots souillés, progressivement vidés de leur sens. « Aujourd’hui tout le monde parle de démocratie, de constitution, de séparation de pouvoirs. J’ai le sentiment qu’il y a un virus qui attaque le langage dès qu’il s’agit d’un enjeu », soutient-il.
L’homme le dit sans ambages : sa famille spirituelle, intellectuelle, philosophique est à gauche. Une gauche en lambeaux, une gauche dans l’incapacité de se reconstruire, une gauche que Lâabi rêve de voir érigée en pôle. « Parce que la gauche doit comprendre qu’elle est l’épine dorsale qui doit porter le projet démocratique du  Maroc ».
Producteur d’idées (politiques ? progressistes ?) Lâabi est aussi et surtout  en posture de l’observateur de la société civile, « la meilleure chose qui soit arrivée au Maroc ces 20 dernières années ». Pour celui qui a suivi « le chemin des ordalies », le projet démocratique ne peut être porté à bout de bras par les seuls partis. « La société civile, le mouvement féminin, les intellectuels, les créateurs, les penseurs sont là et doivent peser de tout leur poids. On ne peut pas faire de la politique en faisant abstraction de tout ce qui bouge au Maroc. La classe politique est en bout de course. Il faut un nouveau mouvement citoyen à caractère politique qui soit à l’écoute de la société, des jeunes » martèle Abdellatif Lâabi.
Cet intellectuel a, bien sûr,  vécu le Mouvement du 20 février comme un bol d’air. « Ces jeunes ont acculé le pouvoir à introduire un processus de réformes. Ils ne sont pas représentatifs de toutes les couches de la société mais peu importe. L’irruption de cette jeunesse a fait qu’il y a quelque chose de nouveau dans notre culture politique. Il faut bien l’admettre, le Mouvement du 20 février a apporté beaucoup, en peu de temps ».
Mais attention, prévient celui qui figurait parmi les fondateurs d’ila al amam, « ce mouvement doit être attentif aux autres protagonistes de la scène politique. A eux seuls, ils ne peuvent pas changer la donne politique ». Comme les rêves, il y a des faits têtus.


« Maroc : quel projet démocratique ?»
Abdellatif Lâabi, 203 pages
Editions « La croisée des chemins »


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