​Une pureté mélancolique

«Sur tes pas» de Mamoun Lahbabi, une belle déclaration d’amour à la nature, à la sensualité et à la délectation des sens.

Samedi 4 Avril 2015

​Une pureté mélancolique
Mamoun Lahbabi est sans doute l’un des écrivains marocains les plus prolifiques de notre espace littéraire. Auteur de dix romans ainsi que de plusieurs essais, il explore les champs du possible avec un style incisif et talentueux. Si l’on connaît ses derniers romans, notamment « L’épreuve de la passion » (Afrique Orient, 2013) sélectionné pour le Prix de la Mamounia, on en sait moins sur ses premiers textes publiés il y a une quinzaine d’années. « Sur tes pas » (2001) est son troisième roman.  De la même façon que les anges accompagnent le périple baudelairien, les oiseaux jalonnent de leurs chants cette odyssée amoureuse. Les êtres veulent échapper à l’implacable sentence d’un quotidien semé de morosité, de violence et d’injustice. L’écriture est un refuge. A moins que ce ne soit l’inverse. C’est le besoin de se refugier loin du spleen, de l’ennui, d’une vie morne, qui nous pousse à ré-enchanter la littérature, à y réintroduire le rêve, l’utopie, les retrouvailles avec un Eden perdu. La nostalgie refuse d’abdiquer et de verser dans un conservatisme sans saveur. Comme l’écrit si bien Mamoun Lahbabi, elle s’accroche aux rêves de tout son corps. La nostalgie s’accroche à la brume du soir, au parfum de la rosée matinale déposée par une nuit étoilée, aux halètements qui s’achèvent, aux corps qui exultent.
Tout le roman raconte le contact de deux amants avec la nature. L’exercice de style est périlleux mais le salto dans cette entreprise littéraire est réussi. Daïma « plonge ses yeux dans cette immensité insondable. Et, dans ce précipice, elle retrouvait le néant et le vertige absolu. A ses pieds, les arbres dansaient. Elle se plaisait alors à déchiffrer l’étrange chorégraphie qui berçait ses sens. Les embruns se déposaient sur ses joues, sur ses cheveux, dans ses pores. Jusqu’au frisson». C’est dans cette forêt, lieu hétérotopique (au sens foucaldien du terme), que les amants se perdent dans la liberté et le désir. Daïma s’engouffre dans les souvenirs voluptueux d’une inconnue « au teint diaphane, aux yeux d’amande, aux lèvres finement dessinées dans un minois arrondi ». 
L’absence de repère, le goût du vide, la solitude, sont vécus comme des ravissements. Et ils restent avant tout les attributs de l’écrivain imaginant des univers étincelant d’une pureté écarlate. Face à un avenir drapé de gris, l’écriture des corps et des plaisirs devient une nouvelle spiritualité, montrant à quel point ce roman de Mamoun Lahbabi est proche des textes mélancoliques et voluptueux de Mohamed Leftah, soucieux de rompre avec le « martèlement ininterrompu d’ordres, de disciplines et de morale». La nature saisie par l’écriture nous berce, nous enivre, nous emporte. Daïma est partagée entre l’étreinte avec son amant et la réminiscence de cette femme « aux yeux d’ange ». Ram transcrit avec le dévouement du scribe l’histoire de cette passion de la vie. Lorsqu’il s’endort, son écriture est humectée de larmes. La jolie femme a conquis l’espace des songes. Les corps se libèrent du vacarme et des aliénations qui les brutalisent. 
Le néant est le lieu où l’on se perd mais aussi celui où l’on s’engouffre. Plus l’on avance dans la lecture de Mamoun Lahbabi, plus on plonge dans une transe dont il est difficile de revenir indemne : « Demain je te dirai combien j’aime sur toi la nuit, le scintillement des étoiles dans tes cheveux, le noir sur ta peau diaphane, le silence dans nos regards. Tu te cambres pour mieux offrir ton corps à la lune qui te prend jusqu’au petit matin ». Peu d’écrivains savent livrer l’éternité de cette façon là aux yeux des lectrices et des lecteurs. Merci, Mamoun.  

 * (Cercle de littérature contemporaine)  

Jean Zaganiaris, CRESC/EGE Rabat

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