​«L’orchestre des aveugles», une lueur dans l’indigent paysage cinématographique

Un film tendre, drôle et généreux

Mercredi 3 Juin 2015

​«L’orchestre des aveugles», une lueur dans l’indigent paysage cinématographique
Après “Sales, affreux et méchants” d’Ettore Scola, Mohamed Mouftakir nous offre un film tendre, drôle et généreux. Le film fait l’éloge de l’authenticité, dans ses formes comme dans son contenu. Les êtres comme les choses se révèlent dans leur vraie nature au gré des circonstances. L’auteur est si soucieux de montrer ses personnages qu’il cadre de près, créant ainsi une proximité avec le spectateur. Le décor participe de cette furieuse envie d’authenticité. Le choix  d’un espace ouvert favorise la vie sociale avec cependant des couloirs, des chambres et de faux abris. C’est dire s’il est trompeur car, à tout moment, des êtres ou des scènes surgissent ou disparaissent. Seule la terrasse s’offre  à la fois comme refuge, sans piège. Avec sa hauteur qui surplombe le reste, elle campe sa fonction basique (un lieu d’étalement du linge), mais aussi de confidences et de promesses. Et ce n’est pas un hasard si ses occupants sont des enfants pétris de tendresse. 
Les quinquas, nostalgiques, verseront une petite larme sur une époque d’insouciance et de labeur. Les fêtes, la radio diffusant des voix passionnées, les soirées de télévisions en compagnie des voisins… Les jeunes peuvent enfin vérifier que l’instituteur était élégant, le mauvais élève sanctionné, le vin  et la fourchette présents dans les intérieurs marocains. Sans tabou. Le temps était un compagnon, la convivialité un devoir, tout avait sa place, jusqu’à la musique érigée en métier et ses pratiquants  jamais ostracisés.  
Le film se veut aussi un chant dédié à la femme, cette fée sans laquelle tout s’écroule. Soumise à un quotidien rarement gratifiant ou en quête d’âme sœur, la femme, chez Mouftakir, seconde et n’est pas seconde. Sauf dans les moments de tension où sa condition la rattrape. Là, l’échange inégal entretenu vaillamment par tous les protagonistes reprend cruellement ses droits.  
Relater une époque à travers une galerie de personnages est un exercice délicat. L’intelligence de l’auteur  réside dans son fil d’Ariane : un orchestre, comme pour signifier la complémentarité des personnages. La vie  est une partition de musique à laquelle chacun apporte sa contribution. Pas de hiérarchie des instruments, pas d’exclusion ! Le chef d’orchestre, crédible et passionné, se veut le garant du bon fonctionnement… jusqu’au jour où son ego l’aveugle. Le refus de composer avec les réalités (les décideurs de la Radio nationale), de s’ouvrir aux nouveaux courants (saxophone si précieux au jazz, musique des opprimés), son attachement à un référent étranger (le mode de vie des Nsara) sont des rappels métaphoriques du Maroc, désormais en proie à une ébullition à laquelle intelligence et jeunesse paieront un lourd tribut. Fin des sexties-début des seventies sont crépusculaires pour l’artiste et le politique, incarnés par trois hommes. La fin du film confirme le triste verdict. Tombe ou prison pour les deux premiers, honneur et carrière pour le policier. 
Fin prémonitoire. Les décennies suivantes consacrent  l’Intérieur dont les hommes régissent tous les pans de la société jusqu’à certaines écoles des beaux-arts qui avaient… un caïd à leur tête. La symbolique est éloquente.
Bas les masques, semble nous dire “Jouk al Amyian”. Restons authentiques, clame la morale du film. Les acteurs y sont parvenus. Espérons que, pour son prochain film, l’auteur restera fidèle à son exigence d’authenticité.  

Par Habib Mazini

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