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Zohra et les autres ou comment travailler pour survivre… : Une portion congrue de misère


Amel NEJJARI
Samedi 14 Mars 2009

Zohra et les autres ou comment travailler pour survivre… : Une portion congrue de misère
Elles sont omniprésentes dans les rues de Tétouan. Dans les quartiers Barrio ou Bab Tout ou près de l’ancienne gare routière… On les reconnaît de loin à leurs tenues en rouge et blanc : une pièce d’étoffe accrochée à la taille en guise de tablier qu’elles portent sur la djellaba ou sur un peignoir. Si certaines vivent à Tétouan, la majorité vient des zones rurales des alentours de la ville. Elles font le trajet en bus ou en grand taxi. Sur le dos, elles portent leurs fonds de commerce : des produits laitiers ou des légumes… « Elles », ce sont ces femmes qui squattent le bitume chaque jour que Dieu fait. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, elles sont là, adossées à un mur ou accroupies par terre. Leur souci quotidien : amasser quelques dirhams qui feront subsister, le temps d’une journée, toute une famille...
Zohra Merroun, 45 ans, est l’une d’entre elles. Depuis 21 ans, nous raconte-t-elle, elle vend des légumes qu’elle achète au marché de gros : carottes, pommes de terre, oignons, courgettes… Mère de cinq enfants, elle se dit « obligée », par la force des choses, de travailler dans des conditions rudes pour continuer à les élever. Ses journées se suivent et se ressemblent… Tôt le matin, elle se rend au marché du Barrio et prend sa place habituelle, celle qu’elle occupe depuis plus de 7 ans. Avant cela, elle avait sa place attitrée près de l’ancienne gare routière, en plein centre-ville. Son aîné l’accompagne ; il vend des oignons, à quelques pas de sa mère. Son mari est atteint d’une maladie chronique qui l’oblige à rester allongé. Elle avouera tout de même que les hommes « deviennent paresseux » lorsqu’ils constatent que leurs femmes arrivent à entretenir, un tant soit peu, le ménage. Selon elle, ils préfèreraient squatter les cafés à longueur de journée avant de rejoindre le domicile familial pour manger ce qu’elle aura réussi à préparer malgré le peu de temps dont elle dispose et la fatigue qui l’éreinte…
En évoquant la Journée internationale de la femme, elle nous dira «ne pas être concernée» comme si sa situation précaire était une fatalité… Consciente que c’est son travail qui a permis, deux décennies durant, de faire survivre sa maisonnée, elle avouera tout de même :«A mon avis, aucune femme travaillant ici, dans ce marché, ne refuserait de rester à la maison. Notre travail n’a pas fait avancer notre situation. On ne se sent pas l’égale de l’homme mais plutôt sa subordonnée qui doit rapporter coûte que coûte de l’argent chaque jour », nous dit-elle avec résignation en nous montrant une « collègue » en ayant l’air de nous dire « voilà quelle est ma destinée… ».
Il s’agit d’une sexagénaire assise à même le sol. Son regard semble vide. Elle ne répond pas à notre « bonjour ». Elle aussi, comme Zohra, attend que quelqu’un vienne lui acheter les quelques produits qu’elle présente sur un mouchoir de trottoir : au total, six figues de barbarie et un bouquet de laurier. Un peu plus loin dans cette artère du souk Barrio où la femme représente pas moins de 90% des vendeurs de légumes, l’on fait la rencontre de Saâdia. Le même tableau s’offre à nos yeux… Assise sur une caisse en bois, elle trie méticuleusement coriandre, persil et menthe. A travers ses paroles, l’on retrouve les mêmes conditions de vie que Zohra : une situation précaire, des enfants à charge et un besoin vital de travailler. « La seule chose que je sais faire : c’est vendre ces herbes. Lorsque je suis allée me faire faire ma carte nationale, l’on m’a demandé mon métier. J’ai dit : « persil et menthe », et je crois que c’est ce qu’ils ont écrit sur la carte. Si vous voulez, je vous la apporte demain pour voir (…) », nous dit-elle fièrement. Les quelques dirhams gagnés en fin de journée lui permettent de préparer le repas du soir. Fatiguée ou malade, elle n’aura pas le choix de rester allongée chez elle. «Si je ne viens pas travailler, je n’aurai pas de quoi manger… », reconnaît-elle.
Une précarité et une vie au jour le jour qui se conjuguent malheureusement au féminin. Ces femmes travaillent, certes, mais sans aucune reconnaissance et dans une totale vulnérabilité physique, sociale et psychologique….


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