Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager

Xénophobie et autres formes de discrimination : Ce mal qui mine la société

Les textes sont là, mais ce sont les mécanismes permettant leur mise en œuvre, et par là, la lutte contre l’abject phénomène qui font défaut


Hassan Bentaleb
Jeudi 15 Février 2018

Le  Parti de l’Istiqlal veut une loi contre la discrimination et la xénophobie. Une proposition de loi a même été  déposée  par son groupe parlementaire. Elle a été discutée le 16 janvier dernier au sein de la commission justice, législation et droits de l’Homme relevant de la Chambre des représentants. Son objectif est de mettre en place les mécanismes nécessaires  et adéquats pour lutter contre toutes formes de discrimination  ainsi que  de garantir l’égalité des droits devant la loi  et devant les établissements publics. Mieux, le texte  ambitionne d’offrir aux étrangers résidant au Maroc la possibilité d’acquérir la nationalité marocaine et reconnaît le multiculturalisme.

Une loi
pourquoi faire ?

Une initiative louable certes, mais plusieurs observateurs redoutent qu’elle ne puisse aboutir. En fait, une proposition de loi anti-discrimination avait déjà été préalablement déposée. Le 15 juillet 2013, le groupe parlementaire du PAM avait, en effet, proposé un texte concernant, en premier lieu,  le racisme anti-noir et préconisant des sanctions « allant d'un an à trois ans de prison et des amendes oscillant entre 1.200 et 50.000 DH à l’encontre de quiconque commettrait un acte discriminatoire ou raciste contre une autre personne en raison de son origine ethnique, sa nationalité ou ses aspects physiques apparents ».  Pourtant, ce texte n’a jamais vu le jour. Un sort qui semble également réservé à celui du PI puisque Mohamed Aujjar, ministre de la Justice, a déclaré, lors de la discussion de cette proposition de loi, qu’un texte de loi spécifique contre la discrimination n’est pas indispensable actuellement mais que son département restait ouvert à toute proposition dans ce sens.   
« La pratique législative au Maroc révèle qu’on accorde fort peu de considération aux propositions de loi et cela perdure depuis l’indépendance. En fait, il suffit de recenser le nombre de propositions de loi adoptées pour avoir une idée claire sur l’intérêt qu’on donne aux initiatives législatives des élus de la nation. Le corpus juridique marocain est constitué à 99% de projets de loi », nous a précisé Hicham Rachidi, membre du Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers et migrants (GADEM). Et de poursuivre : « Malgré la promulgation d’une nouvelle Loi suprême en 2011 incitant l’Exécutif à répondre positivement aux propositions de loi, rares sont celles qui ont abouti ».
Notre source a également précisé que les propositions de loi pèchent par le manque d’une action commune de la part des différents groupes parlementaires. Laquelle est à même de donner plus de force aux textes proposés. « La proposition de loi du PI est un exemple édifiant  de l’absence de travail commun et coordonné. Le gouvernement considère souvent toute proposition de loi présentée par un seul groupe parlementaire comme une simple manœuvre politique plutôt qu’une initiative législative visant à combler un vide juridique ou à réglementer une question de société », nous a-t-elle précisé.
Hicham Rachidi estime,  par ailleurs,  que la réponse de Mohamed Aujjar a été  raisonnable dans ce sens où le vrai problème n’est pas celui du manque de textes de loi mais de leur mise en œuvre. « Il y a des dispositions dans le Code pénal qui préconisent des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Mais, la mise en pratique de ces dispositions pose deux contraintes. D’abord, au niveau du  dépôt des plaintes. On a constaté souvent qu’il n’y a pas de réactivité de la part des policiers qui se contentent souvent de les rédiger mais sans plus. Et cela est imputable à plusieurs causes. La première est relative à la difficulté d’apporter les preuves idoines par les victimes. La deuxième concerne le manque de sensibilisation et de formation en matière de discrimination et de xénophobie chez les policiers  censés recueillir ce genre de plaintes.
La situation est semblable au niveau  des parquets. D’ailleurs, en 2011, le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination raciale avait demandé au Royaume de lui fournir des données chiffrées sur le nombre de plaintes déposées et sur le sort qui leur a été réservé. Et jusqu’à aujourd’hui, le Maroc n’a rien fait dans ce sens », nous a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « Au sein de notre association, plusieurs personnes qui se sont plaintes de discrimination ont soulevé également le  manque de réactivité des policiers, alors que normalement, et vu la gravité de ce crime et son impact sur le principe d’égalité et de respect des droits de l’Homme, il devrait y avoir des  poursuites pénales. Sous d’autres cieux, ils ont inversé les démarches. Un étranger qui prétend être discriminé dans son emploi,  n’est plus obligé d’administrer la preuve de cette discrimination, mais c’est à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination. C’est le cas aujourd’hui dans les pays scandinaves qui prennent ce problème au sérieux. Chez nous, il y a encore un déficit patent au niveau de l’appréhension de la dangerosité des actes discriminatoires ».  

Une loi anti-
discrimination
n’est pas un luxe

De son côté, Younes Foudil, coordinateur de « Plateforme papiers pour tous », estime que promulguer une loi spécifique contre la discrimination n’est pas un luxe. D’après lui, elle contribuera à protéger  les droits des victimes et de préserver leur dignité en définissant les actes discriminatoires et en les incriminant. « Il s’agit d’une dimension très importante puisque les personnes discriminées se sentent bafouées dans leur humanité en tant qu’êtres humains », a-t-il souligné. Et de préciser : « Il est vrai qu’il y a des dispositions législatives antidiscriminatoires éparpillées dans le corpus juridique national, mais même les avocats, les juristes, les procureurs et les juges savent peu sur ces dispositions. Donc, pour avoir davantage d’efficacité et de facilité, promulguer une loi spécifique est une bonne chose. Ceci d’autant plus qu’elle va permettre de dire qu’il y a un cadre juridique spécifique et contraignant».
Notre interlocuteur insiste sur la nécessité de disposer d’un tel texte de loi dans un contexte national marqué par le renforcement de l’intégration des migrants. « Et qui dit intégration, dit forcément  des réactions hostiles de la part de certaines personnes imbues de populisme, de calculs politiciens ou d’ignorance », nous a-t-il affirmé.

Un texte à enrichir
Qu’en est-il de la proposition de loi istiqlalienne ? Hicham Rachidi et Younes Foudil estiment qu’il ne s’agit que d’une adaptation améliorée du texte déjà présenté par le PAM en 2013. L’ancien secrétaire général du GADEM pense que la nouvelle mouture proposée est plus conforme au droit  international et constate que la nouveauté du texte réside dans le fait qu’il évoque « la discrimination sur une base régionale ». « C’est bien vu par les rédacteurs de ce texte puisqu’on a un problème de discrimination entre les Fassis, les Amazighs, les Aroubi, les Rifains... Mais en tant que société civile, nous avons espéré  une initiative législative  commune entre les partis de la majorité et de l’opposition ainsi que de la société civile et des experts puisqu’il s’agit d’une cause qui transcende les appartenances  politiques », nous a-t-il confié. Pour sa part, le coordinateur de « Plateforme papiers pour tous » précise que le texte en question doit être enrichi. Il estime également que la promulgation d’une loi n’est pas une fin en soi. « Il faut également envisager la rédaction des décrets d’application qui demeurent importants dans le cas d’espèce. Nous allons contacter les responsables du PI pour discuter les  moyens à même de contribuer à améliorer leur proposition de loi ».
Le PI sera-t-il réceptif à la voix de la société civile ? Pour Hicham Rachidi, rares sont ceux qui, parmi les politiques, accordent de l’intérêt à cette question. « La classe politique nationale a du mal à saisir les enjeux liés aux questions de discrimination et d’inter-culturalité. Au sein des commissions partisanes chargées de la migration, c’est le dossier des Marocains du monde qui prédomine. Ceci d’autant plus que ces partis  ne disposent pas de programmes consolidés ou de vision claire  concernant  la migration. Et c’est simple à comprendre puisque les migrants ne constituent pas des réservoirs électoraux », nous a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « A l’inverse, nous disons que les étrangers installés au Maroc représentent un potentiel électoral énorme au niveau des élections locales puisque la Constitution leur donne la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales. Il suffit d’un peu d’intelligence politique pour réaliser qu’il y a des quartiers entiers comme à Casablanca, Rabat, Marrakech, où les migrants  sont quasi-majoritaires et peuvent se transformer en des bases électorales à même de permettre  de réaliser des scores énormes. Notamment en faveur des partis progressistes qui militent pour les droits de l’Homme et contre la discrimination. Et cela peut également  ouvrir les  portes  devant les MRE pour qu’ils puissent voter dans les pays d’accueil conformément au principe de  la réciprocité ».

Vers un nouveau
contrat social

Younes Foudil pense, de son côté, que nonobstant toute polémique, une loi seule n’est pas suffisante et qu’il faudrait du travail de sensibilisation et d’accompagnement. Notamment auprès de la population qui commet des actes discriminatoires sans s’en rendre compte et  pas uniquement contre des migrants mais aussi à l’endroit de certaines catégories de nos concitoyens (femmes, Noires, Amazighs..). « Nous pensons qu’il est temps de disposer d’un pacte ou contrat social relatif au vivre-ensemble. En effet, la société marocaine est en train d’évoluer et de se remodeler. Comment peut-on gérer nos différences en tant que Marocains et  comment peut-on accepter les autres qui sont, par nature, différents de nous par leur culture, leur religion, la couleur de leur peau... Ces questions interpellent notre humanité », a-t-il conclu. 

Repères

Section II bis - la discrimination
Article 431-1

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de l'origine nationale ou sociale, de la couleur, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, de l'opinion politique, de l'appartenance syndicale, de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.

Article 431-2
 La discrimination définie à l'article 431-1 ci-dessus est punie de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de mille deux cent à cinquante mille dirhams, lorsqu'elle consiste : - à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; - à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque; - à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne; - à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service ou l'offre d'un emploi à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 431-1.

Article 431-3
Sans préjudice des peines applicables à ses dirigeants, la personne morale est punie, lorsqu'elle commet un acte de discrimination telle que définie à l'article 431-1 ci-dessus, d'une amende de mille deux cents à cinquante mille dirhams.

Article 431-4
Les sanctions de discrimination ne sont pas applicables aux cas suivants : 1) aux discriminations fondées sur l'état de santé, lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture des risques de décès, de risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ; 2) aux discriminations fondées sur l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elles consistent en un refus d'embauche ou un licenciement fondé sur l'inaptitude médicalement constatée soit dans le cadre de la législation du travail, soit dans le cadre des statuts de la fonction publique ; 3) aux discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue, conformément à la législation du travail ou aux statuts de la fonction publique, la condition déterminante de l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle.
Source : Dahir N° 1-59-413 du 28 Joumada II 1382  (26 novembre 1962)
portant approbation du texte du Code pénal.

 

Fayçal Megherbi, docteur en droit et avocat au Barreau de Paris : La justice ne prend pas bien en charge les questions de discrimination

Libé : Pouvez-vous nous dresser un tableau du dispositif législatif concernant la non-discrimination et la xénophobie en France ?
Fayçal Megherbi : Le dispositif institutionnel et juridique de la lutte contre les discriminations français reste le plus complet au monde. Il appartient donc aux citoyens, aux associations, aux organisations syndicales, à l’inspecteur du travail, et maintenant au défenseur des droits, de faire vivre ces lois égalitaires pour rendre le principe de non-discrimination actif.
En France, un ensemble de mesures ont été mises en place par les pouvoirs publics pour atteindre un minimum de respect de ce principe: le système de l’aménagement de la preuve intégré, le testing (la preuve par comparaison) légalisé, le CV anonyme inventé, les statistiques ethniques tentées, le rôle des associations et des organisations syndicales accru, un organisme de lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité créé, une charte de la diversité en entreprise...

Quel bilan peut-on tirer de la mise en œuvre de ce dispositif juridique ?
Il est vrai que cette discipline est devenue très complexe avec l’accroissement des textes juridiques et le développement de la jurisprudence. La loi Pléven du 1er juillet 1972 est le premier texte législatif qui a créé le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales, ainsi que le délit de discrimination. Les lois du 4 août 1982 et du 31 décembre 1992 ont contribué à interdire dans le Code du travail le licenciement ou les sanctions de salariés en raison de leurs origines, leur nationalité, leur religion. Elles ont également introduit l’interdiction du refus d’embauche discriminatoire dans le monde du travail.
La loi du 16 novembre 2001 a rendu l’ensemble des relations de travail concernées par le principe de non-discrimination et a élargi les motifs de discrimination (apparence physique, patronyme, âge, orientation sexuelle). Elle a instauré l’aménagement de la charge de la preuve, renforcé le rôle de l’inspecteur du travail. Enfin, la loi du 17 janvier 2002 a prévu l’interdiction du harcèlement moral avec la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts devant le juge civil lors d’un refus discriminatoire de location d’un logement. Quant à la loi du 30 décembre 2004, elle a créé la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). A compter du 29 mars 2011, le Défenseur des droits a succédé à la Halde.

Est-ce que vous croyez que les lois peuvent à elles seules mettre fin à la discrimination ?
Dans un entretien au Monde publié le 3 janvier 2015, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, déclare que "la justice ne prend pas bien en charge les questions de discriminations", "nous avons du mal avec les parquets. Nous multiplions les réunions de concertation pour travailler les techniques, notamment en matière d’administration de la preuve".
Le principe d’égalité, l’un des trois principes à figurer dans la devise de la République française, est censé assurer un équilibre social dans les relations entre les personnes physiques et morales. La règle de la non-discrimination résulte du principe d’égalité qui ne s’applique ni avec la même intensité ni selon les mêmes règles d’une matière à l’autre: citoyenneté, fiscalité, loi pénale, séjour des étrangers, protection sociale, etc.
Je crois qu’un plan national, soutenu par ceux qui font les lois, c’est-à-dire les politiques, peut réduire la fracture causée par le fléau de la discrimination dans une société.
Des opérations de sensibilisation et d’information menées par la société civile peuvent, aussi, aider à la lutte contre les discriminations et les inégalités et combler ce que la loi n’a pas pu faire à travers sa finalité.  
Propos recueillis par H.B


Lu 2241 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | High-tech | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Billet | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP











Flux RSS
p