Un rendu visuel d’une rare beauté au service d’un scénario linéaire


Libé
Dimanche 26 Septembre 2021

Un rendu visuel d’une rare beauté au service d’un scénario linéaire
On aurait pu prétendre qu’au beau milieu de la projection, on était bien content d’avoir rapidement avalé un café bien corsé avant d’entrer dans la salle, tant nos paupières se sont alourdies par moments. Mais il n’en a rien été. Au vrai, « Le Miracle du Saint inconnu », projeté actuellement dans les salles de l’Institut français de Casablanca jusqu’au 8 octobre, dans le cadre du programme “Plan large” (voir encadré), nous a entraînés de par son esthétisme et son ingéniosité. Cela dit, l’histoire est quelque peu bancale et ses intrigues déséquilibrées. Sans oublier une bande-son beaucoup trop en retrait à notre goût.

« Le Miracle du Saint inconnu » écrit et réalisé par Alaa Eddine Aljem, est une ode à un cinéma hybride, où se mêlent tragédie, comédie et un zeste d’action. Il raconte l’histoire d’Amine, interprété par le placide Younes Bouab, poursuivi par les flics dans le désert. Avant d’être arrêté, Amine enterre son butin dans une tombe au sommet d’une colline aride. Une fois sorti de prison, il découvre stupéfait que le sommet de la colline s’est transformé en un lieu de culte. Un lieu où les pèlerins se pressent pour adorer un prétendu “Saint inconnu”.

Amine se rend rapidement compte que ce qu’il pensait être une formalité s’est transformé en une quadrature du cercle. Récupérer son argent ne sera finalement pas une mince affaire. Assez pour qu’il décide de s’installer dans un village qui ne vit qu’à travers son Saint inconnu et dont les habitants, perclus d’ennui, ont rapidement eu à l’œil le nouveau venu.

Pour récupérer son magot, le voleur n’aura d’autre choix que de passer entre les gouttes, en se montrant ingénieux. Car même la nuit, le mausolée est protégé par un gardien dont la lâcheté est à la hauteur du courage de son chien.

La beauté des images nous a rassurés dès la première minute du film. Les cadres épurés et l’utilisation exclusive des plans fixes nous ont transportés dans un univers visuel que l’on ne voulait pas quitter. Le contraste entre les couleurs acres de la terre et le bleu du ciel a été l’une des grandes réussites du film (voir interview). Une volonté totalement assumée par le réalisateur. Bon lui en a pris. Les costumes n’ont pas dérogé à la règle puisque la composition de l’image et ses couleurs ont été harmonieuses. Les cadres ciselés et millimétrés ont également participé à un rendu visuel d’une rare beauté. D’autant que la transposition en image d’un désert de pierre n’est pas donné à tout le monde. Il faut maîtriser non seulement la technique mais aussi l’espace et l’environnement filmé. Autant de contraintes contrôlées de main de maître par Alaa Eddine Aljem.

Pour ce qui est de l’intrigue, elle a du sens. Elle est sur les rails d’une trame scénaristique à laquelle le spectateur est rompu : La quête héroïque jonchée d’obstacles. Sauf que là, le héros n’en est pas vraiment un. Son interprétation du rôle n’aide pas du tout à sympathiser avec le personnage. A force de surjouer ce côté sombre et sans cœur, Younes Bouab l’a desservi. On se doute bien qu’il est difficile d’interpréter un méchant à l’écran avec des relents de gentillesse.

Mais en prenant le parti risqué de déshumaniser Amine, Younes Bouab et son réalisateur ont quelque peu interdit leurs publics de toute manifestation d’empathie. Or, les méchants les plus marquants dans l’histoire du cinéma ne le sont jamais totalement. Salah Bensalah, dans le rôle du “Cerveau”, n’a tant bien que mal essayé de rééquilibrer un duo qui a pâti de la mauvaise humeur de Younes Bouab, que l’on a pas vu sourire une fois. Ce qui a un peu trop assombri l’atmosphère.

Pour contre-balancer cette faiblesse loin d’être dérisoire, le long métrage d’Alaa Eddine Aljem met en scène une flopée de personnages plus ou moins intéressants, impliqués dans de multiples intrigues censées se rejoindre lors du climax. Coiffeur, mais aussi prothésiste dentaire, Brahim, joué par Ahmed Yarziz, a été notre coup de cœur. A travers son hilarante mauvaise fois, il a été l’un des personnages centraux du film sans pour autant avoir un grand rôle à jouer dans son intrigue.

C’est justement l’une des failles du scénario, puisque les meilleurs personnages ont eu une place plutôt secondaire dans l’histoire. A l’instar de l’aide soignant (Hassan Ben Badida) qui a attiré toute la lumière grâce à la justesse de son jeu d’acteur, tranchant avec l’interprétation d’Anas El Baz (le Docteur). Un rôle superflu et qui confirme une bonne fois pour toutes que les comédies ne sont vraiment pas faites pour lui. Il est vrai que l’histoire d’amour entre le gardien et son chien a été l’un des moments forts du film. Certes on n’a pas sorti les mouchoirs, mais c’était tout comme. Sauf qu’à la fin du film, on n’a pas vraiment saisi son importance dans l’histoire.

A l’inverse, l’histoire du père et de son fils qui attendent une pluie qui ne vient jamais, met le doigt sur un sujet d’actualité, et notamment les enjeux écologiques et leurs conséquences sur la vie des agriculteurs. Une péripétie qui aura un rôle capital à la toute fin du film, à l’inverse de la bande-son. Certes, on ne s’attendait pas à une atmosphère sonore à la David Lynch, mais au moins que la musique comble le vide à l’image. Ce qui n’a pas été le cas, mais au fond, ce n’est pas rédhibitoire. Le mixage a été d’une grande qualité tout autant que les bruitages. En tout et pour tout, c’est un film à ne pas rater, car ce sont finalement ses quelques défauts qui font sa richesse.

 

L’Institut français ambitionne de revaloriser la salle de cinéma

Dès le mois de septembre, les neuf salles de cinéma de l’Institut français du Maroc rouvrent leurs portes et proposent une sélection éclectique de films récents, renommée cette année «Plan large». Plusieurs séances seront présentées par les réalisateurs et équipes des films. A travers son réseau de 9 salles, l’Institut français du Maroc propose la diffusion d’œuvres cinématographiques produites ou coproduites en France.

A l’affiche, le public retrouvera plusieurs films marocains très attendus, notamment Le Miracle du Saint inconnu, Zanka Contact et Mica et des succès français et internationaux comme Annette ou L’homme qui a vendu sa peau. Afin de défendre et présenter ces œuvres qui ne sortent pas toujours dans les circuits commerciaux au Maroc, des séances sont organisées en présence des auteurs avec qui le public pourra échanger et débattre.

Parmi les invités : Alaa Eddine Aljem & Anas El Baz (Le Miracle du Saint inconnu), Chloé Mazlo (Sous le ciel d’Alice), Arab & Tarzan Nasser (Gaza mon amour), Ismaël El Iraki (Zanka Contact) et Ismaël Ferroukhi (Mica). En réponse à la récente fragilisation des cinémas dans le monde et à la montée en puissance des plateformes VOD, l’ambition de ce programme est de ramener les publics, notamment jeunes, vers le chemin des salles. Des activités de médiation, d’éducation à l’image, l’implication d’associations, structures culturelles et écoles renforceront ces aspects. En cette période, il s’agit également de recréer du lien, favoriser les rencontres et le débat d’idées

Alaa Eddine Aljem: J’ aime utiliser le langage cinématographique dans son essence la plus pure

Alaa Eddine Aljem
Alaa Eddine Aljem
Libé : Ça doit être délicat de boucler son film en 2019 et attendre deux ans sa sortie sur grand écran au Maroc ?
Alaa Eddine Aljem :
Le film est sorti d’abord en Suisse et en France en janvier 2020. Ensuite, il y avait une sortie programmée au Maroc en mars 2020. Mais quelques jours avant, on a compris que ça allait être impossible à cause de la pandémie.

A partir de là, ça a été très dur. Parce que d’une part, les salles sont restées fermées pendant très longtemps. Et d’autre part quand elles ont rouvert, les restrictions sanitaires n’ont pas aidé à attirer le public. Si l’on ajoute à cela le fait que les Marocains n’ont pas l’habitude d’aller au cinéma, nous avons fait face à un dilemme et on s’est posé la question de savoir: “Est-ce que c’est vraiment utile de sortir le film dans ce contexte là ? ».
Puis, on s’est rendu compte qu’on pouvait encore attendre deux ans de plus sans avoir l’assurance que la situation allait s’améliorer. Et en plus, il y avait plein de longs métrages qui devaient sortir, donc le film commençait à dater, et il fallait absolument le diffuser sur grand écran le plus tôt possible.

Entre le moment où il devait être à l’affiche et celui où il est sorti en salle, votre perception du film a-t-elle changé ou non ?
Honnêtement, non. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, et lorsque je l’ai revu pour la première fois récemment, j’étais surpris, parce que quand je regarde mon film, je ne vois pas ce que les gens voient. Je pense que je n’ai toujours pas de recul et que je ne l’aurai jamais, parce que l’expérience de tournage m’a tellement marqué. Il y a quelques jours, Je l’ai revu en compagnie de ma femme, qui en est la productrice.

On était assis l’un à côté de l’autre, et on rigolait à des moments où les gens ne rigolaient pas. On se marrait de toutes les conneries qui nous sont arrivées pendant le tournage, et on se remémorait les bons moments passés : « Tu te rappelles, quand on voulait filmer et le mec de la maison nous a dit non et nous a chassés avec un balai. Tu te rappelles ceci, tu te rappelles cela. » Je n’arrive pas à faire abstraction de ces souvenirs-là.

En regardant votre long métrage, j’ai eu l’impression que, pour vous, les regards sont plus importants que les paroles
Je trouve que la particularité du cinéma, c’est de raconter les choses avec des images, grâce à une posture, un regard, un silence, un plan sur une porte, un plan sur un arbre. Je trouve que c’est la particularité du langage cinématographique et qu’il faut l’utiliser. Souvent, on a tendance à l’oublier, à être quasiment dans du théâtre filmé, mais ça ne m’a jamais intéressé. Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser ce langage-là dans son essence la plus pure.

C’est l’un des rares films marocains récents, où la technique était au service du scénario et du cinéma et pas l’inverse
Je crois qu’un dispositif de mise en scène doit être au service d’un récit, d’un sujet et d’une atmosphère qu’on cherche à créer. Par exemple, dès le départ, on a décidé avec mon directeur de la photographie qu’on allait travailler avec des plans fixes parce que j’avais envie de gommer un peu tous les artifices de la mise en scène et être uniquement dans un langage assez minimaliste et rudimentaire pour justement mettre le spectateur dans une position d’observateur. On s’est dit qu’on n’utiliserait que les 35mm et 50mm qui sont les deux focales les plus proches de la perception de l’œil humain. C’est ce côté un peu minéral de l’image qui m’intéressait. Je ne voulais pas un côté trop esthétisé du désert. C’est la raison pour laquelle on a travaillé sur une image un peu pastel. On a utilisé des couleurs désaturées. Il n’y a pas de couleurs vives dans les images. On a choisi un désert de rocaille et pas un désert de sable. Il ne fallait pas que l’image soit trop belle. Toutes ces réflexions ont infusé mon esprit avant de faire le film. Et elles sont forcément liées à ce que tu as envie de raconter et comment tu as envie de le faire et surtout quelle perception tu as de ton film.

Avez-vous fait face à des réticences d’un point de vue en mettant scénaristique, notamment en scène des lieux de culte?
Non, pas forcément. J’étais conscient du fait qu’il pouvait y avoir polémique, mais j’étais quand même convaincu qu’il y aurait un regard tendre là-dessus, notamment sur tous les personnages. Car au final, le fait que le film ne soit pas dans une critique facile ou frontale, permet d’éviter toute polémique. Le côté léger et drôle de la chose permet aussi de passer outre. C’est un film sérieux mais qui ne se prend pas au sérieux. Et vu qu’on ne se prend pas au sérieux, les gens aussi ne nous prennent pas trop au sérieux. J’ai fait confiance à l’humour et à la légèreté.

Après votre court-métrage « Les poissons du désert », vous renouez avec l’atmosphère du Sud marocain, même si le film a été tourné à Marrakech. On a l’impression que vous êtes fasciné par cette ambiance particulière du désert.
J’ai toujours aimé filmer des corps dans des espaces et des espaces extrêmement ouverts qui renvoient à quelque chose du huis clos. Je pense que dans mon premier court-métrage, j’avais tourné deux trois fois dans un décor similaire. Cette aridité du décor allait très bien dans le sens du minimalisme que je recherchais au niveau de l’image et du fait que c’est assez uniforme. Mais en même temps, ça me donne une image qui est vide, mais qui n’est pas plate. Et du coup, moi, je peux composer avec, je peux ajouter des éléments, et n’importe quel élément que j’ajoute, ressort très facilement parce qu’il se démarque très vite du paysage. Pour moi, c’est un terrain de jeu assez propice.

Vos personnages partent toujours en quête de l’impossible ou de l’interdit
Je n’ai jamais réfléchi à cet aspect de mes films. Du moins pas avec ces termes-là. Mais je peux comprendre votre réflexion. Je pense que j’ai toujours été dans un questionnement lié à la foi. La foi, c’est quelque chose d’assez vertical, donc, il y a une part d’inconnu. Je crois en quelque chose qui n’est pas acquise et qui ne peut pas être acquise, mais à laquelle il faut croire.

Dans mon court-métrage, c’était un fils qui voulait partir de son village pour voir la mer, sans succès. Dans “Le Miracle du Saint Inconnu”, il y a un père qui croit en une pluie qui ne vient jamais. Je trouve cela assez fascinant. Peut-être que c’est mon côté un peu rêveur. Je me rappelle qu’un jour, on m’a dit que ce fils qui cherche à quitter un environnement dans lequel il a grandi, qui lui est familier, mais en même temps, dans lequel il ne se retrouve pas, me ressemble car j’ai grandi dans une famille qui n’est pas spécialement cinéphile. On ne regardait pas de film à la maison. J’ai découvert le cinéma à 17 ans, quand j’ai décidé de faire une école de cinéma. Et déjà à l’époque, ça semblait être quelque chose d’extrêmement étranger, par rapport au milieu d’où je venais. Je suis en train de m’autopsychanalyser, mais je ne sais pas si c’est bien de faire ça.

Le lien père-fils est également prépondérant dans vos oeuvres
Il est vrai que dans ce que j’écris, il y a toujours ce rapport père et fils. Je pense que ce sont des choses qu’on n’arrive pas trop à expliquer. Le rapport père-fils est quelque chose d’extrêmement fort, qui détermine beaucoup d’aspects de notre personnalité, et notre rapport au monde. Du coup, forcément, j’implante ça dans mes personnages. C’est quelque chose qui m’accompagne dans ma vie de tous les jours. Je fais un travail aussi, peut-être, dans mon rapport de père et fils dans les deux sens, en tant que descendant de mon père, et en tant qu’ascendant de mon fils. C’est peut-être une thématique de laquelle je me sens proche, parce que je me pose beaucoup de questions là-dessus, étant fils et jeune père. Etsi je ne me pose pas la question maintenant, je pense que plus tard, ce sera un peu trop tard.

Hormis une plus grande exposition, qu’attendez-vous de votre participation au programme “Plan large” de l’Institut français ?
On vise un public assez large. Loin de toute considération pécuniaire. Vous l’aurez compris, l’Institut français, ce n’est pas là que l’on fera fortune. L’enjeu économique est complètement mis de côté. Mais, par principe, je trouve qu’on fait un film pour le partager avec le public, avec le plus de gens possible. Aujourd’hui, l’Institut français a mis en place ce programme qui permet d’exposer des œuvres dans certaines villes où il n’y a pas de salles de cinéma.

Sans l’Institut français, il n’y aurait pas de projection à Agadir par exemple. C’est ce que m’apporte l’Institut français. Si demain, il y avait un autre programme, d’un autre organisme qui pourrait projeter le film ailleurs et l’exposer aux yeux de tous, je suis partant. L’enjeu, pour moi, c’est que le film soit vu.

Propos recueillis par C.C
 


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