“Tu te souviens de Adil ?” De Mohamed Zaineddine

Raconter autrement


Mohammed Bakrim
Lundi 16 Novembre 2009

“Tu te souviens de Adil ?” De Mohamed Zaineddine
Les sorties des films marocains sont perçues à la fois comme des événements cinématographiques mais aussi comme des indicateurs des tendances qui traversent un cinéma porté par une dynamique réelle. Les deux sorties qui ont ainsi marqué cette nouvelle saison cinématographique sont d’abord un indice du renouveau qui se dessine dans la configuration générale du cinéma marocain. «Le lutteur Mchaoucha» de Mohamed Ahed Bensouda sorti début octobre est une première œuvre qui a choisi de s’inscrire dans l’ambition du cinéma populaire porté par le désir du spectacle inspiré ici de la tradition du conte inhérent aux villes impériales. C’est un tout autre registre que propose Mohamed Zaineddine avec son deuxième long métrage «Tu te souviens de Adil?», sorti il y a une semaine. Deux films, deux parcours, deux expériences inédites qui viennent renforcer la caractéristique fondamentale du cinéma marocain, à savoir sa grande diversité. Et l’avantage avec le film de Zaineddine, c’est que cette diversité se nourrit d’éléments esthétiques et thématiques originaux. C’est une démarche que l’on peut qualifier de démarche d’auteur avec une nette conscience cinéphilique. «Tu te souviens de Adil?» peut se lire comme un texte ouvert sur plusieurs registres. Ici, il n’est pas question d’un récit classique avec une histoire qui nous tient en haleine pour suivre et attendre ses rebondissements. Le projet annoncé d’emblée par le film est de séduire par une autre stratégie qui passe principalement par l’image, l’économie narrative, l’ellipse…
Au principe de l’illusion référentielle chère au cinéma classique, le film de Zaineddine oppose plutôt l’allusion, la touche rapide et suggestive… Et pourtant ce ne sont pas les ingrédients d’une histoire dense et d’un sujet fort qui manquent. On y retrouve un large catalogue de sujets chauds :l’immigration, le chômage, le terrorisme, le rapport à l’autre, l’amour…Le récit se décline sur deux parties scandées par l’espace diégétique : le film démarre en effet avec la famille de Adil enfant, occasion pour nous donner à voir de très belles scènes de la vie prises dans des gestes furtifs et profonds comme ceux de Choubi, père alcoolique, grand comédien qui en deux plans donnent le ton d’un rôle ou encore ces belles ellipses qui nous font passer à l’âge adolescent et ses turbulences et surtout avec des images sublimes de la vie d’un quartier…Puis c’est la deuxième partie en Italie avec ses multiples allusions à l’actualité. Le récit se développe en dehors des codes de la narration classique. Le récit chez Zaineddine est « a-causal ». Dans une démarche classique, le récit apparaît comme découlant d’une série de liens de cause à effet. Dans «Tu te souviens de Adil?» on peut postuler l’existence d’une cohérence qui se développe non pas en fonction d’une séquence ordonnée d’informations découlant les unes des autres mais plutôt en interpellant le récepteur en mettant à sa disposition les suggestions, les amorces, les vides, les clins d’œil, les descriptions, les portraits qui dessinent non pas un chemin vers le sens mais un cheminement. Au centre de ce dispositif, il y a la question de la temporalité. Le rapport à la durée est fondateur de notre rapport au spectacle, aux arts et notamment au septième d’entre eux : c’est un rapport culturel et historique. A partir de ce postulat, on peut dire que Zaineddine propose une autre sensibilité ; sa démarche vise à démontrer que le cinéma peut captiver le public par le rendu d’une atmosphère et de sentiments : un film avec un fort souci esthétique peut aussi fasciner ; telle en somme est la stratégie.


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