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Un débat stigmatisant et d’une rare violence
Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l'Université Paris Ouest – Nanterre, soutient, dans son article : «Les socialistes et l’immigration, 1981-1993», que l’origine du débat sur l’immigration est à chercher - au-delà des causes conjoncturelles et au-delà même de la montée du Front national, qui a exacerbé le débat sur l'immigration - dans «la polarisation progressive de toute la politique d'immigration sur un objectif exclusif : la maîtrise des flux migratoires». Enoncé pour la première fois à la fin des années soixante, réaffirmé vigoureusement après 1973, cet objectif s’est transformé en mot d'ordre de tous les gouvernements français successifs, légitimant ainsi un contrôle strict sur la population immigrée. «Sur ce point, le consensus de l'ensemble de la classe politique, toutes tendances confondues, n'a jamais été pris en défaut. Et à partir du moment où ce principe en est venu à tenir lieu à lui seul de politique, une spirale dangereuse s'est mise en place, dans laquelle la gauche s'est laissée entraîner», a-t-elle précisé.
La campagne présidentielle de 2022 ne fait pas exception. La thématique immigration occupe le devant de la scène médiatique et politique. Selon Mérième Alaoui, journaliste indépendante et auteure de l'enquête "François Ruffin, l'ascension d'un opportuniste" (Ed Robert Laffont 2021), les discours politiques français, à la veille de la campagne présidentielle, sont actuellement d’une rare violence. Les principaux candidats déclarés ou non, à droite comme à gauche, rivalisent d’ingéniosité pour récupérer l'électorat populaire qui voterait pour l'extrême-droite, avec des propositions sécuritaires, islamophobes et racistes. «On évoque la remigration, le changement de prénoms de citoyens français, l'arrêt des transferts d'argents privés en direction des pays qui refusent de rapatrier leurs ressortissants visés par une mesure d’expulsion du territoire français. Il y a donc une sorte d’autoroute qui est ouverte pour les idées les plus nauséabondes», nous a-t-elle précisé. Et d’ajouter : «Les journalistes s'interrogent sur la responsabilité de mettre en lumière des discours racistes… Tout en continuant à les relayer et les commenter. Nous sommes donc dans une sorte de flottement, il faut le reconnaître, assez effrayant. L'impression que la population de gauche attend, espérant un sursaut, une étincelle qui n’arrive pas pour l’instant ».
Une question d’actualité utilisée toutefois à mauvais escient
Pourtant, une question demeure : le débat sur l'immigration dans la société française constitue-t-il un faux débat ou une vraie question ? Pour notre interlocutrice, le débat sur l’immigration est un vrai sujet de discussion car cela fait partie des grandes questions qui intéressent les Français. Il ne faut donc pas le nier. «Mais il est intéressant de comprendre pourquoi y a-t-il un tel intérêt en France et pourquoi ce débat fait recette alors que nous sommes en crise économique aggravée par une crise sanitaire. C’est très différent dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique», s’est-elle demandée. Pour elle, il semble que la France n’arrive pas à gérer des situations urgentes (les migrants coincés à Calais, ceux qui dorment sous les ponts à Paris, les mineurs isolés qui sont livrés à eux-mêmes…). «La France semble en panne d’idées et manque de volonté politique», a-t-elle constaté.
Une résistance qui se veut sage et efficace
Mais comment la population migrante ou issue de la migration vive-t-elle cette polémique ? Selon Mérième Alaoui, les attaques politico-médiatiques contre les musulmans se font aujourd’hui plus violentes et plus frontales. Sans oublier, ajoute-t-elle, des positions très dures concernant l’accueil des migrants qu’ils soient sous les ponts de Paris, ou dans des tentes à Calais. «Cela provoque plusieurs réactions chez les Français héritiers de l’immigration. La jeunesse militante, souvent de gauche, est très active sur les réseaux sociaux comme Twitter. Cette jeunesse attaque frontalement les porte-paroles du Rassemblement national, des sympathisants voire des militants pros Eric Zemmour… Je pense à Rokhaya Diallo, à Youcef Brakni, et bien d’autres», nous a-t-elle affirmé. Et de poursuivre :« Hors de ces terrains numériques, dans les milieux militants plus traditionnels, les contre-discours existent bien mais ne remontent pas trop à la surface. Concernant la population dite immigrée, musulmane dans son ensemble, il n’y a pas, en effet, d’organisation de manifestations de masse ou autre action collective de grande ampleur. Elle semble choquée, encore immobilisée par la succession d’attaques violentes qui se sont abattues sur elle en particulier depuis les derniers attentats sanglants que la France a connus».
L’éternel dilemme entre nationalité et citoyenneté
Cette polémique sur l’immigration renvoie à une autre question, celle de savoir si nationalité rime-telle avec citoyenneté en France ou si ce n'est pas le cas? La journaliste Mérième Alaoui insiste sur ce qu’on entend par citoyenneté. «Certains Français issus de l’immigration ou pas, estiment que payer ses impôts et respecter la loi suffisent à être un bon citoyen. D’autres qu’il faut militer contre des idées racistes. Il est difficile de s’interroger sur les Français de parents immigrés dans l’ensemble, car ils n’ont pas tous la même histoire. Il n’y a pas de conscience, non pas de classe, mais d’un vécu commun qui pourrait entraîner une organisation citoyenne. Il y a pourtant eu des tentatives», a-t-elle expliqué. Et de conclure : «Plusieurs sociologues et observateurs français ont développé des travaux riches qui révèlent comment les organisations militantes, syndicales issues de l’immigration ont été méthodiquement zappées, dénoyautées, délégitimées. Et en même temps, une nouvelle génération émerge. Elle se définit comme “racisée” et demande des comptes sur le contenu de certains débats politiques jugés racistes».
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