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Levier visa-réadmission
En effet, en septembre 2021, la France a décidé de réduire de 50% le nombre de visas accordés aux ressortissants marocains et algériens, et de 30% ceux octroyés aux Tunisiens. Une décision justifiée par le refus de ces pays de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire français. Selon le département de l’Intérieur français, les ressortissants maghrébins se trouvent aux avant-postes des 10 premières nationalités, concernées par les mesures d’éloignement actées en 2018, 2021 et 2022. Toujours selon cette source, entre janvier et juillet 2021, l’administration ne serait parvenue à expulser vers le Maroc que 80 ressortissants entrés illégalement, sur les 3.301 obligations de quitter le territoire français délivrées par les préfectures.
Pour les responsables français, le levier visa-réadmission a été jugé utile en tant qu’outil pertinent pour faciliter les éloignements en liant l’octroi de visas à la coopération d’un Etat en matière de réadmission de ses ressortissants, et donc à restreindre temporairement les visas octroyés aux ressortissants d’un pays qui ne délivre pas les laissez-passer consulaires. Le dispositif, déjà existant en France, a été doublé d’un mécanisme européen depuis juin 2019 (art. 25bis du code communautaire des visas).
Politique unilatérale et peu préparée
Selon le document de la Cour des comptes, les facteurs expliquant l’inefficacité desdites mesures de restriction de visas se résument dans le fait qu’elles sont établies « sans activation pour autant du dispositif européen ». En fait, la France a fixé « non pas un quota de visas à délivrer, mais une cible de taux de refus. Ainsi, les consulats français en Algérie, au Maroc et en Tunisie avaient pour consigne de refuser 50% des demandes de visas ».
La même source précise que cette politique «a été décidée unilatéralement par la France et peu préparée ». Ainsi, explique le document en question, il n’a pas toujours été possible pour les consulats d’atteindre ces cibles de taux de refus car cela pouvait nuire aux politiques d’attractivité vis-à-vis de publics spécifiques (médecins, entrepreneurs, étudiants, etc.). « Leur capacité à prononcer un refus est encadrée par le droit européen. De plus, cette mesure a dégradé la relation avec ces trois pays sans que ceux-ci n’acceptent pour autant de réadmettre davantage de leurs ressortissants. Ce sont finalement d’autres initiatives diplomatiques qui ont permis de relancer les éloignements, même s’il est possible que l’activation du levier visa-réadmission ait contribué à ce résultat », indique le rapport.
A noter, cependant, que la Cour des comptes affirme que même l’activation du levier européen apparaît décevante à ce stade en révélant que sur les deux premières années, seule la Gambie a fait l’objet de l’activation du mécanisme par le Conseil de l’UE. Toutefois, la menace de son activation a d’ores et déjà permis de fluidifier les retours vers certains pays (Sénégal en décembre 2022, Irak en juin 2023).
Le rapport révèle que la création d’un levier commercial est également en cours de négociation au sein de l’Union européenne, avec le soutien de la France. « Il permettrait de restreindre les facilités tarifaires à l’importation de certains pays qui ne se montreraient pas suffisamment coopératifs en matière de réadmission. Sa mise en place n’est pas certaine, du fait de l’opposition d’une partie des Etats-membre ».
Difficulté d’identification et autres
Sur un autre registre, le document de la Cour des comptes constate plusieurs défaillances liées à l’administration française. « Dans ce contexte de relations parfois difficiles avec les Etats tiers, l’administration française est insuffisamment coordonnée pour optimiser ses demandes de laissez-passer consulaires. En effet, ses recherches reposent à titre principal sur les préfectures de département. Pour chaque éloignement, elles doivent contacter le consulat compétent, dont la majorité se trouve uniquement à Paris, voire à Londres pour certains pays qui n’ont pas de consulat en France. De plus, de nombreuses préfectures ont des activités d’éloignement limitées, si bien qu’elles manquent d’expertise », explique le rapport. Et de poursuivre : « Les demandes sont souvent suivies directement par les préfets de département, pour garantir un niveau suffisant de représentation, ce qui s’avère chronophage pour eux. Les consulats ont donc des centaines d’interlocuteurs différents, ce qui engendre parfois des tensions ou des maladresses d’après le Quai d’Orsay. En cas de difficultés réitérées dans les relations avec les consulats ou en cas d’éloignement particulièrement signalé, les préfectures saisissent la direction générale des étrangers en France, qui elle-même saisit le cabinet du ministre de l’Intérieur, pour que ce dernier sollicite le cabinet du ministre des Affaires étrangères ».
A ajouter qu’en définitive, « le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères n’intervient que ponctuellement sur les dossiers d’éloignement et estime que cela ne relève pas de sa responsabilité. Or, le ministère de l’Intérieur n’a pas la même capacité de négociation avec les pays », souligne ledit document.
La Cour des comptes pointe du doigt également les obstacles en relation avec l’identification des personnes à éloigner ainsi que l’organisation « trop éclatée » des services de l’Etat chargés de l’obtention des laissez-passer consulaires sans parler « d’un découplage fort » entre le nombre de mesures d’éloignement prononcées et celles exécutées.
Hassan Bentaleb