“Résidus d’un autoportrait”, poème initiatique

En cela, tout véritable poème est initiatique. Il chemine vers sa quête. Et le lecteur, le suivant dans son pèlerinage, de station en station, de halte en halte, se trouve aimanté dans l’élan.


Par Mohammed Belegchour
Samedi 23 Avril 2016

La poésie est transcendance. Elle transcende d’abord son propre outil, la langue.
Elle en crée une autre, dans la même,
construisant, plutôt dessinant, son sens propre. Pour ce faire, elle relave et essore les mots,
 les ablutionne dans l’expérience
existentielle et spirituelle de l’artiste.




Le poème «Résidus d’un autoportrait », de Saïd Ahid, édité chez ‘’Fondation Club du Livre au Maroc’’, a plié et déplié tout mon être, tout mon corps en tant que texte lui-même, en tant que résidus de voix, de langues, sous deux voies, deux textes des plus forts de ma connaissance. Celui de Baudelaire, cité en premier «Ne cherchez plus mon cœur, les bêtes l’ont mangé» (Causerie, Spleen, Les Fleurs du Mal) et celui de Cheikh Mohammed Abdüljabbar Annifari «Et Il me dit : si tu sors de la lettre, tu sortiras des noms ; si tu sors des noms, tu sortiras des choses nommées ; si tu sors de celles-ci, tu sortiras de tout ce qui est venu à l’apparaître et si tu sors de celui-ci, je parlerai et tu entendras, j’appellerai et tu répondras» ; entre le poète catégorisé maudit, blasphémateur,  idéaliste révolté et le soufi, adorateur de la grande rencontre, le renonciateur aux séparations de l’ici-bas et le Haut au-delà, aux frontières, pour n’être plus qu’âme réconciliée, recousue, vacuité ouverte au Tout dans ses différents et ses mêmes et, hospitalière à sa propre douleur,  pouvant accueillir celles des autres .
Entre les sillages de ces deux signes, en leur compagnie mais, traçant sa propre trajectoire, son propre temps «car «Son temps a cessé d’être le vôtre./ Il n’adhère plus à votre présent» (p.39), s’élève la voix, «le dit» de Saïd Ahid et, avec ce qui aura été ses résidus, dans «l’impact de la quintessence» qui n’est pas «reflet de l’apparence» (p.64), et annonce, plutôt se décline dans son extranéité, dans son étrangeté à ce qui serait comme elle, semblable à elle,  «(sa) quête propre», supplication blasphématoire dénonçant les faux-semblants, les confortables certitudes du paraître, les contrefaçons de l’«Etre», «le simulacre des voix aphones» (p.41), «les transes des disciples, ignares et bouffons, de Judas érigées en mode de vie» (p.18),  « sonnant le glas/des insoutenables ténèbres/communes à l’insanité des aliénés/autoproclamées gardiens des écritures/apôtres de la négation du dissemblable» (p 64),  pour aller cueillir la nitescence des  «astres sacrés» dans «Les flots de la mer cosmogonique» qui les «honorent sans les engloutir» (p. 9) – tant il est vrai que les honneurs souvent engloutissent…- et celle (la nitescence,) de «l’hypogée» (p 75) mais, plutôt humble, cette voix, lucide, consciente des évanescences, des fugacités du devenir, la quête dans  sa trace car «seules les traces font rêver» (p 68).
La voix, le dit, «Résidus d’un autoportrait», libérés des amours prédatrices, des identités sectaires, exclusives, meurtrières, sanguinaires, s’isolant des «dithyrambes de la castration/des mélopées des songeurs» (p 70), émancipée «de la horde/des formatés/des certitudes,/des flots impénétrables/et des héritages/obscurcis/standardisés/à enfanter la nausée, de mon supposé moi/nauséabond» (p72), la voix brise les miroirs, les narcissismes, les egos pour «sculpter un lieu de culte pour l’adéquation des contraires», un lieu où se résorberaient les oppositions des genres, des couleurs, des divinités et, même, des sexes, un autre lieu, espace, texte,  poème d’amour, une âme où l’autoportrait d’eau et de lumière s’effacera par «sa propre encre» (Fouad Al’ître).
Une âme bénie de sa propre baraka, de son exigence, de son intransigeance, sans pathétisme, sans complaisance, où «la vierge virginité du monde enseignera : l’âcreté et ses enfantements/le regard et ses ruines….. l’interstice subreptice/qui a révélé le parfum des anges» (p 75), où «l’or du temps/ qui n’existe pas encore, apprendra : le levain du brasier salvateur,/la poussée de truisme de l’inanité ,/les lames immatérielles de la frénésie des/cicérones» (p.77), espace/voix désillusionné(e), finalement (?) affranchi(e)s que ce même «or du temps,/qui n’existe pas encore/ t’apprendra que : tout est vain» (p. 77). Ainsi de l’autoportrait s’extirpera «le souffle de ta mémoire» -qui est aussi la sienne – «des reflets des miroirs qui ne sont point» (p.78)….mais au passage il aura fallu effacer les «je», les «tu» les «ma», les espaces et le temps difformes, embraser les corps, les immoler, décapiter sa propre tête pour que naisse la vierge virginité du regard infini du Dedans.
(*Intervention présentée lors de la présentation/dédicace du recueil organisée le 1er avril 2016 à Mohammedia, par les Associations Hawas et Espace de l’art).


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