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Reportage : L’arganier, or vert et source de vie

L’arganier couvre une superficie de plus de 800.000 hectares et compte 20 millions de pieds.


Abdallah Halimi
Vendredi 31 Juillet 2015

Au sud-est du Maroc, les sources de revenu sont très réduites. C’est pourquoi les hommes se trouvent obligés de quitter leur village pour aller chercher du travail dans les grandes villes. Les femmes restent au douar pour assumer, à elles seules, les charges de la famille. L’arganier, ce don de Dieu,  considéré comme «arbre de vie», reste la source essentielle de revenu pour la femme rurale. 
«L’arganier est sans doute le symbole le plus représentatif de ce pays montueux… ces arganiers rabougris et poussiéreux, d’un vert bouteille que jaunit l’ambre des noix pas encore mûres, élèvent au ciel une silhouette battue par les intempéries et le soleil bouillant. Arbres épineux mille fois battus et mille fois ressuscités », disait Mohamed Kheir Eddine (écrivain marocain, originaire de Tafraout, décédé le 18 novembre 1995).
Cet arbre, espèce propre au Maroc, pousse au sud-est du Royaume. Il couvre une superficie de plus de 800.000 hectares et  compte 20 millions de pieds. L’arganier est géré par un statut particulier (Dahir du 4 mars 1925). Sans cet arbre, cette région semi-aride serait totalement déserte car il résiste à la chaleur (plus de 50°), au froid (3°), à la sécheresse (pluviométrie de 100 à 500 mm/an). L’arganier est devenu un facteur de développement durable local, il a fait connaître des villages et douars reculés du sud-est du Royaume grâce à son produit très apprécié et dont la demande augmente chaque année.

L’arganier, un symbole de fierté de la femme rurale  

Tafraout, au sud du Maroc (province de Tiznit), est une ville de paix, gardée par un lion,  une ville qui est tombée du ciel, selon une légende locale et où «l’étranger n’est pas un intrus, c’est un pèlerin qu’on accueille avec égard» (Mohamed Kheir Eddine). L’arganier représente donc le symbole de fierté des habitants de Tafraout, une activité génératrice de revenus (AGR), surtout pour les femmes. Quand on parle de l’arganier, on doit penser à ces femmes rurales restées  attachées à cet arbre. Des femmes qui reconnaissent sa valeur dont toutes les composantes sont bénéfiques : le bois, le feuillage, le fourrage et surtout le fruit.
L’arganier est considéré comme une source de vie pour les habitants et leur troupeau : «La pulpe sert de fourrage pour les chèvres, la coque pour la combustion, les amandons torréfiés, malaxés et pressés pour produire le tourteau (tazgmout) et enfin l’extraction de  l’huile pour la consommation, un travail long et laborieux», nous explique  Mhamed Boulam. Les femmes  commencent par cueillir les fruits, font sécher la pulpe, puis cassent les noix pour en tirer les amandons qu’elles passent au concassage, l’opération la plus longue dans ce processus de production. Ensuite, elles torréfient et  pressent manuellement la pâte pour en extraire l’huile d’argan, destinée à la consommation, et les tourteaux (tazgmout) réservés à l’engraissement des bovins. Autrefois, les jeunes filles du douar avaient le droit de participer uniquement à la cueillette des fruits et au dépulpage alors que le travail de concassage, de moulinage et de malaxage de l’argan était l’affaire des femmes mariées. « La femme travaille plusieurs heures pour produire un litre et le mari se charge de le vendre au souk hebdomadaire», ajoute M. Boulam.
Pour améliorer leurs conditions de vie,  les systèmes de production et les techniques de commercialisation, ces femmes se sont mobilisées pour la création de coopératives agricoles féminines, un mouvement  initié par Pr Zoubida Charrouf (Faculté des sciences, Université Mohammed V, Agdal, Rabat) au début du siècle.


Les coopératives agricoles féminines 

 Sur place, les  coopératives  Aoumerk, Afra et la Maison Azerg ont été créées pour  participer à l’émancipation de la femme rurale restée isolée du monde, en vue d’améliorer ses conditions de vie.
En 2007, la coopérative «Aoumerkt» a été créée par l’Association d’Agued-Oudad pour le développement et l’entraide. Son objectif : «Améliorer la situation sociale des femmes et leur donner les moyens nécessaires pour faire face aux besoins de leur vie quotidienne», nous a confirmé Aicha Aala, présidente de la coopérative. 
La coopérative «Aoumerkt» compte 13 adhérentes qui sont toutes conscientes de la valeur du travail en commun. Pour Rachida Houmad, la secrétaire: «La coopérative est une école où la femme rurale  apprend à s’impliquer dans le tissu social et économique de la région ». A la question : pourquoi ces femmes adhèrent-elles à la coopérative? elle répond: «C’est pour une raison purement économique, à savoir subvenir à leurs besoins quotidiens». Une autre adhérente  affirme : «Je suis très fière d’adhérer à la coopérative. J’ai appris à assumer seule mes charges familiales, améliorer mes sources de revenu et inscrire mes enfants à l’école ».

Mécanisation du système pour une meilleure qualité

Pour répondre aux exigences du marché international, surtout européen, au niveau de la qualité du produit, la coopérative «Aoumerkt» a modernisé son système d’extraction des huiles  en introduisant des machines de transformation mais l’opération de concassage est restée traditionnelle. La mécanisation de ce système a permis à la coopérative de produire, avec une grande qualité, deux types de produits : l’huile d’argan destinée à la consommations extraite à partir des amandons torréfiés et l’huile cosmétique extraite des amandons crus. La qualité hygiénique du produit a permis à la coopérative d’obtenir chaque année, depuis 2011, un certificat-qualité délivré par Norma Cert. Pour R. Houmad, la secrétaire de la coopérative : « Ce certificat est une forme de valorisation de notre produit. Il nous  permet de conquérir des marchés nationaux et internationaux, de participer aux différentes rencontres agricoles : SIAM (Meknès), SNAPT (Agadir) ». La coopérative participe aussi à l’amélioration du niveau d’instruction des femmes. En effet, l’alphabétisation fait partie du programme réalisé par l’association mère.
Au centre-ville de Tafraout, une maison d’argan a été créée dite «Maison Azerg». Elle est spécialisée dans l’extraction de l’huile d’argan à la méthode artisanale au moyen du moulin « azerg ». «La Maison Azerg» compte 8 adhérentes. Pour Aicha El Moudni, la présidente: «Ces femmes travaillent pour subvenir à leurs besoins. Elles apprennent à compter sur elles-mêmes au lieu de faire la manche ou compter sur la générosité des autres, surtout de leurs familles». Et d’ajouter : « La Maison «Azerg » offre aux visiteurs l’occasion d’assister aux différentes étapes d’extraction des huiles : huile de table et huile cosmétique ». 
Cependant, ces coopératives sont confrontées à la concurrence des intermédiaires qui parcourent les villages et douars pour s’approvisionner en matière première vendue aux différentes sociétés de fabrication d’huile d’argan, surtout  cosmétique, d’où la délocalisation des fruits, un problème majeur pour les coopératives en place. D’autre part, plusieurs familles refusent de vendre leur propre récolte aux coopératives. Elles préfèrent la conserver pour l’écouler plus tard à un prix élevé.

Coopératives et tourisme rural  

Les coopératives «Aoumerkt», «Afra» et la «Maison Azerg» contribuent par leurs propres moyens à la promotion du tourisme rural et du tourisme solidaire et écologique de la région. R. Houmad nous confirme : «Les touristes étrangers et marocains sont de plus en plus attirés par les vertus de l’huile d’argan. Ils veulent connaître la traçabilité du produit, sa qualité et surtout l’hygiène. Ils exigent de leur faire visiter les lieux d’extraction notamment l’atelier de pressage». 
Bref, grâce à son travail à la coopérative, cette femme rurale de Tafrout «une déesse bienveillante» (Mohamed Khier Eddine), très accueillante, se sent utile à la société, au développement de sa région, et égale à l’homme.

Problématique de l’arganeraie   

L’arganier est menacé de dégradation à cause du climat aride qui sévit dans la région, des cultures massives en plein champ ou dans des serres, du surpâturage des troupeaux, du  déboisement pour la combustion et la fabrication du charbon et de l’urbanisation.
Même au niveau de la superfice, on assiste chaque année à la disparition de plus de 600 ha d’arganier avec la densité qui est passée de 100 à 30 pieds/ha. Il y a aussi l’absence de régénération de ce patrimoine. Cette situation alarmante met donc en danger le système écologique de la région, et peut même affecter les  sources de revenu des habitants qui en dépendent. Tous les intervenants, autorités compétentes et coopératives, sont appelés à agir pour la préservation et la conservation de cet arbre, un patrimoine universel reconnu par l’UNESCO le 8 décembre 1998. «Cet arbre est notre vie, un arbre béni de Dieu qu’on doit sauver de toute dégradation», déclare Aicha Aala, présidente de la coopérative. 


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