Regard sur le SIEL 2018


Jean Zaganiaris EGE Rabat, Cercle de Littérature Contemporaine
Mardi 20 Février 2018

Beaucoup d’événements culturels
d’envergure ont eu lieu dans le cadre
de la 24ème édition du Salon international de l’édition
et du livre de Casablanca. Nous n’avons pas assisté à tout.
Mais voilà ce que nous avons vu et retenu…



 La première organisation du Salon international de l’édition et du livre eu lieu en 1987, sous le ministère de Mohammed Benaïssa (1985-1992 ; RNI). Au départ, ce salon se tenait tous les deux ans à la foire de Casablanca et devient annuel depuis 2002, sous le ministère de Mohammed Achâari (1998-2007 ; USFP). Comme le souligne Ahmed Massaia dans Un désir de culture (La Croisée des Chemins, 2013) ou Amina Touzani dans La politique culturelle au Maroc (La Croisée des Chemins, 2016), les objectifs de cette manifestation sont multiples. Il s’agit de faire connaître le travail éditorial auprès du public et des professionnels, de valoriser l’objet livre en tant que tel et de mettre en avant « le patrimoine culturel écrit du Maroc » (A. Touzani, p. 83). Pour nous, qui ne sommes ni critique littéraire, ni journaliste, il s’agit d’être présent au SIEL durant les deux weekends à la fois en tant qu’enseignant chercheur, pour faire du terrain, et en tant qu’auteur, pour rencontrer les éditeurs, les écrivains et les lecteurs. Notre programme est simple : se promener dans les allées, découvrir un maximum d’ouvrages, rencontrer les habitués de ces manifestations et les amis, observer la morphologie des lieux, assister à certaines rencontres en prenant des notes, se poser à la terrasse d’un café et rédiger la description de ce que nous avons vu. Car en dehors des livres, il y a beaucoup de choses à observer lors du SIEL : les écrivains, les logiques de programmation, les pratiques culturelles des différents publics, la présence des différentes langues employées au Maroc. Comme l’a très bien montré Saïd Bennis, enseignant chercheur à l’Université Mohammed V de Rabat et conférencier lors de la présentation du roman d’Ahmed Boukous « Rhapsodies de Tanit la captive » (La Croisée des chemins, 2017), le plurilinguisme au Maroc est une question à la fois socio-historique et spatio-géographique. Samedi dernier, j’ai demandé aux étudiants de l’EGE Rabat en visite au SIEL de prendre des notes pour le cours de ma collègue Sofia Ajaraâm et lui dire quels sont les endroits du salon où l’on parle et écrit en français, en arabe, en amazigh, en anglais etc. Il est intéressant de regarder au sein du quadrillage du salon, avec un œil foucaldien, la position spatiale des différents stands (centre/périphérie) en fonction de la ou des langues qui y sont pratiquées, voire promues. Le français, l’arabe, l’amazigh, l’anglais et bien d’autres y sont à la fois présents au sein d’une même maison d’éditions et socialement divisés, notamment à partir des positions symboliques qu’occupent les langues dans le champ linguistique et dans les enjeux de la diplomatie culturelle bien présente au salon. Entre le stand France où l’on a pu voir un Kamal Daoud s’insurgeant contre les fondamentalismes et les ouvrages religieux situés dans la dernière rangée du salon, « la société composite » marocaine est bien présente au SIEL, avec les différents publics et les différentes pratiques culturelles que l’on peut observer durant cette dizaine de jours.
L’invité d’honneur était l’Egypte, représentée par des écrivains tels que Walid Alaa Eddine. En regardant les publications sur le stand, nous avons regretté de ne pas lire l’arabe et d’avoir manqué la belle rencontre organisée par le Ministère de la culture autour de Gilbert Sinoué, modérée par l’écrivain Abdellah Baïda. Pour nous rattraper, nous avons acheté la traduction en français de «L’immeuble Yacoubian » de Alaa al-Aswany. L’intérêt de ce salon a trait à cette pluralité d’ouvrages et de sujets abordés, chacun y trouvera son compte et fera les découvertes qui lui conviennent. Nous avons croisé aussi dans les allées le poète touareg MohamadineKhawad (Niger), lauréat du Prix international de poésie Argana-2017mais nous n’avons pas vu le romancier saoudien Mohamed Hassan Alouane (Prix Booker du roman arabe), Abdellatif Laâbi, visiblement très bien discuté par le poète arabophone Abdelhadi Saïd ou le philosophe Etienne Balibar. L’inconvénient de ne pouvoir être là tous les jours.
Pour nous, le salon a commencé samedi 10 février. L’un des moments importants a été la rencontre avec la poétesse SoumiaMejtia, auteure du recueil « Sans Maître » (Hugues Facorat Editions, 2014), qui nous a parlé de son travail littéraire et de son prochain ouvrage. Il y a une force, une violence dans l’expression de SoumiaMejtia qui nous a beaucoup fait penser à celle de Mohamed Hmoudane ; et à Baudelaire, bien sûr. En prime, nous avons pu voir la couverture de son prochain livre. Faire un entretien sociologique avec elle était important. L’intérêt du SIEL consiste aussi à découvrir des auteurs en dehors des programmations officielles et officieuses qui sont font et se défont parfois pendant le déroulement du salon. La spontanéité fait partie du « jeu ». L’important est  de prendre conscience de la richesse du paysage culturel marocain dans toute sa diversité et ne pas focaliser uniquement sur les têtes d’affiche, sur les dominants du champ qui possèdent plus d’autres les capitaux symboliques et relationnels rendant possible la médiatisation de leurs écrits, au détriment d’autres écrivains tout aussi intéressants, et pris eux aussi – et parfois avec beaucoup d’humilité et de fairplay - dans les enjeux de reconnaissance et d’existence au sein du champ. Comme l’a montré le sociologue Loïc Wacquant, il est intéressant de vivre soi-même les pratiques sociales du terrain étudié empiriquement et d’expérimenter avec son propre corps la façon dont les autres écrivains intériorisent à leur façon des habitus ou donnent du sens à ce qu’ils font. La veille, nous avons diné avec les amis du Cercle de Littérature Contemporaine. Nous avons fêté la sortie de « Nulle part loin de toi », le dernier roman de Mamoun Lahbabi, qui vient de sortir aux éditions Orion et sera présent au salon, accueilli sur le stand de la Croisée des Chemins avec les publications de AbdelhakNajib et « Le bloc des contradictions » de Mohamed Kohen, que nous aurons le plaisir de modérer mardi 20 février à la villa des arts de Rabat. De notre point de vue, Mamoun Lahbabi, qui en est à son quinzième roman, fait partie des auteurs importants du champ littéraire marocain. Chacune de ses publications parle de la société marocaine, de l’ambivalence des sentiments, de l’amour et de l’altérité. Il fera également partie des productions culturelles importantes de 2018.
         Vers 16h, nous avons dédicacé notre livre «Parlez-moi de Littérature. Pour un autre regard sur le champ littéraire marocain » (Marsam 2017) sur le stand de Rachid Chraïbi. Nous avons pu rencontrer les lectrices et les lecteurs, voir des gens que nous connaissions (amitiés à HousniZbaghdi, fondatrice d’un nouveau lieu culturel à Casablanca appelé Philia, AmmaraBouchentouf, LatifEz et bien d’autres) mais aussi des gens que nous ne connaissions pas et qui s’intéressent à la littéraire marocaine, à ce qui existe dans le champ littéraire. Durant la séance, nous étions à côté de TouriaOuelhri, auteure de « Ce que mon corps a à te dire » (Marsam, 2017), un de nos coups de cœur de l’année dernière. La poétesse HoudaElfechtali était également en dédicace au stand de la ligue des écrivaines marocaines. Vivre de l’intérieur ce que vivent nos enquêtés, qui sont aussi pour certains d’entre eux des amis, est passionnant. En face de nous, il y avait le stand Yomad, avec les livres pour enfants dont s’occupent avec brio Nadia Essalmi, dont nous aurons le plaisir de modérer le 10 mars à la librairie Troisième Millénaire son ouvrage « La révolte des rêves » (Virgule, 2017) et Cécile, photographe de talent et grande lectrice. Le soir, lors de la présentation du roman « Le fou du roi » (Le Fennec 2017) de MahiBinebine à la librairie Carrefour des Livres, où nous n’avons pas pu par contre trouver notre roman pour l’offrir à quelqu’un qui voulait le lire, la rencontre et les échanges ont été de qualité. MahiBinebine s’est livré à son public avec beaucoup de générosité, comme à l’accoutumé. Le vendredi suivant, lors de la rencontre que nous avons modérée à la salle Oujda du Ministère de la culture autour des publications de Abdellah Saaf, nous avons d’ailleurs rapproché le « Fou du roi » avec « Le secret de la grande avenue » (La Croisée des Chemins, 2017). Dans ce roman, Abdellah Saaf raconte l’histoire de Jibril, un militant des années de plombs qui est libéré après avoir passé plus de vingt ans en prison et reprend contact avec le fqihBasri, notamment au cours d’un diner de l’avenue Kleber où une mystérieuse inconnue fait son apparition. La littérature est aussi une façon de composer avec la vie, d’utiliser sa vie comme un matériau pour écrire de la fiction. Les ouvrages de MahiBinebine et de AbdellahSaaf font partie de nos coups de cœur littéraire de ce salon.
Le samedi 17, nous retrouvons Abdellah Baïda sur le stand Marsam, en pleine dédicace de « Testament d’un livre » (Marsam, 2018) qui vient de sortir. Ce roman, dont le personnage principal est un livre, fera partie des productions culturelles importantes de 2018. A côté de lui Soumaya NaâmanGuessous et Bouchra Benabderrazik, qui vient de publier un beau récit autobiographique intitulé « FqihBenabderrazik » (Marsam, 2018). Ce dernier raconte à travers les yeux de son père le Maroc d’hier et d’aujourd’hui avec ses traditions et ses ouvertures. En faisant un tour sur le stand de Abdallah le bouquiniste, j’entends ce dernier nous annoncer que trois exemplaires de notre roman « Le périple des hommes amoureux » (Casa Express, 2015) ont été vendus durant la semaine du salon. Vous comprenez ce que nous voulons dire par « expérimenter socialement sur soi-même les pratiques sociales étudiées empiriquement sur ses enquêté » ! C’est en vivant des moments tels que celui-là en tant qu’écrivain que nous sommes à même de comprendre en tant que chercheur ce que peut ressentir un auteur partie prenante du champ littéraire. C’est en ce sens que, répondant à un post FB de Abdellah Tourabi, je me dis, à tort ou à raison, que ce que l'on appelle "intervenant de qualité" ou « écrivain de talent » reste une construction sociale, y compris dans cet article ... Nathalie Heinich a écrit de belles choses sur la "valeur" que l'on attribue (socialement) aux écrivains et aux logiques de la reconnaissance par les instances sacralisantes (elle a bien lu Bourdieu là-dessus, même si elle s'en démarque)... L'important est qu'il existe plusieurs "mondes" au sein du champ littéraires, où chacun des écrivains du Maroc puisse trouver son public et ses lieux de présentation, rencontrer des gens qui peuvent apprécier ce qu'il écrit, et que ce ne soit pas toujours les mêmes que l'on voit partout, juste parce qu'ils ont des réseaux, qu'ils répondent à une demande sociale (notamment au niveau des logiques de la diplomatie culturelle ou autre logique de programmation culturelle)... Ceux que l’on appelle les « grands » ou les « bons » écrivains sont aussi ceux qui maitrisent mieux que les autres les conditions sociales qui rendent possibles leur existence et leur reconnaissance dans la sphère publique... Il y en a beaucoup d'autres qui n'ont pas cette reconnaissance des instances de légitimation mais sont néanmoins présents dans des rencontres au Maroc moins médiatisées, et devant un public qui n'a pas à être forcément nombreux (ce n'est pas uniquement la quantité de personnes qui assistent à un évènement qui à elle seule permet d'en affirmer la qualité, à moins que l'on réduise les présentations culturelles à leur dimension managériale et mercantile).
En passant devant les éditions Le Fennec, la dynamique FédouaEnnaji, directrice de développement, nous invite à nous assoir et nous présente aux deux auteures présentes en dédicace, Clotilde de Gastines, qui a co-écrit avec Mathieu Robin « Passion Zellidjia », un roman retraçant l’histoire de l’architecte Jean Walter qui évolua dans le Maroc de l’Entre-deux-guerres, et Yasmine Rheljari, dont le roman « Le diner de trop » semble aller de péripétie en péripétie les unes plus savoureuses que les autres. Nous poursuivons notre odyssée parmi la foule. Cela a son charme. En parlant d’ailleurs de personnes dynamiques dans les maisons d’éditions faisant la promotion des livres, nous croisons ensuite Loubna Serraj, directrice de projet marketing et de communication aux éditions La Croisée des Chemins, où avec Abdelkader Retnani, elle nous présente les derniers ouvrages, notamment celui de Ali Sedjari en dédicace, de Sana El Ajii « Sexualité et Célibat au Maroc ». J’ai en tête la traduction en arabe du « Psy dans la cité » de Jalil Bennani annoncé chez cet éditeur. Nous voyons dans les rayons « Le grand jeu des équivoques » de Michel Boyer, bel essai sur les militaires français présents au Maroc avant 1912. En terminant notre balade, nous tombons sur Jad Hoballah et son père aux éditions Afrique Orient, où Rachid Naciri est en train de dédicacer son essai « L’abstraction lyrique en peinture, quelle philosophie ? ». Parmi les romans que nous repérons sur les présentoirs, « Ma vie en marche » de JadBenhamdane, « Un toubib dans la ville » de Souad Jamaï et « La cité de la volupté » de El Hassan Belcadi. Dimanche nous ne pourrons pas assister à la dédicace de SoufianeMarsni, auteur de « La grande famine » au stand Marsam et à la rencontre de AhmedBoukous avec Driss Jaydane, dont j’ai toujours sur moi l’exemplaire de « La faute et le festin » (La Croisée des Chemins 2016) d’une de mes collègues de travail afin de lui demander la dédicace. En sortant du SIEL sous un ciel entre chien et loup, avec l’écrivain Abdellah Baïda qui nous parle d’aller manger une bonne pizza en arrivant à Rabat, nous nous sommes dit que nous avions passé de chouettes moments au SIEL, en attendant le festival du livre de Marrakech les 21 et 22 avril et toutes autres les rencontres culturelles dans les villes du Maroc.    


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