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Réchauffement climatique et installation de nouveaux climats

Le Maroc plus exposé que jamais aux risques d’inondations, séismes et autres


Hassan Bentaleb
Samedi 31 Août 2019

Les catastrophes naturelles qui frappent le Maroc se poursuivent et se ressemblent. En deux mois, le pays a été le théâtre de deux catastrophes naturelles (inondations de Taroudant et glissement de  terrain à El Haouz) causant le décès d’une dizaine de personnes et provoquant plusieurs dégâts.  Des évènements naturels qui n’ont rien d’exceptionnel puisque le risque de catastrophes naturelles au Maroc présente un caractère à la fois chronique et sévère.  
« Aujourd’hui, avec le changement climatique et l’installation d’un nouveau climat (voir encadré), nous sommes face à une nouvelle configuration où les évènements climatiques se produisent subitement et ne se répètent plus de la même manière ni dans le temps ni dans l’espace. Ces dernières années, nous avons remarqué non pas seulement au niveau du Maroc mais également au niveau international, que beaucoup d’évènements climatiques surviennent dans des endroits où on les attend le moins », nous a expliqué le Pr Mohammed Said Karrouk, professeur de climatologie et ex-membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).  Et de poursuivre : « Le cas du Maroc est représentatif dans ce sens comme nous rappellent parfaitement les inondations qui ont touché Guelmim en 2014 ainsi que d’autres évènements naturels moins importants qui ont frappé la région saharienne au sud de l’Anti-Atlas et du Grand Atlas. Et ce qui s’est passé dernièrement à Taroudant est illustratif de ce genre d’évènements même si l’on ne peut pas parler dans ce cas précis d’évènement majeur ».
Notre source estime que le Maroc doit se préparer à affronter de nouveaux risques au-delà des  classiques. « Aujourd’hui, de nouveaux risques émergent comme c’est le cas des risques météorologique liés à la température et à l’humidité et qui peuvent provoquer des inondations, des chutes de neige ou des vagues de froid ou de chaleur. Il s’agit d’évènements qui sont de plus en plus préoccupants. Et aujourd’hui, les pouvoirs publics doivent prendre cette question avec beaucoup de sérieux. Certes, il y a une prise de conscience au niveau du discours officiel, notamment au niveau des départements de l’Intérieur et de l’Environnement et du Développement durable, mais les interventions sur le  terrain restent timides et la gestion des risques déficiente », nous a-t-elle indiqué.
Concernant les risques naturels qui guettent le Maroc, le Pr. Mohammed Said Karrouk place les inondations aux premières loges. « L’examen des catastrophes naturelles qui ont frappé le Royaume ces dernières années démontre que les inondations sont l’évènement naturel qui a causé le plus de décès et de dégâts », a-t-il souligné. Un document de la Banque mondiale daté de 2016 a indiqué que les inondations constituent un problème récurrent chronique et que celles survenues à Tanger (2008), dans le Gharb (2009), et à Guelmim (2014) ont fait de nombreuses victimes et causé d’importants dégâts et des pertes économiques majeures. « Entre 2000 et 2013, le Maroc a connu 13 inondations majeures qui ont tué au total 263 personnes et causé des dommages matériels directs de plus de  427 millions dollars US.  La plus récente importante inondation survenue à Guelmim (2014) a causé, à elle seule, 47 décès et des pertes économiques globales de 600 millions de dollars US», indique le document.
En deuxième lieu, notre climatologue place les secousses telluriques dont la gravité n’est plus à démontrer comme nous le rappelle l’exemple du tremblement de terre d'Agadir de 1960 qui a fait  25.000 décès et 12.000 blessés. « Il a également pratiquement détruit la ville, même s'il n'était que de magnitude 5 sur l’échelle de Richter, laissé les populations sans abri et privé bon nombre de personnes de leurs moyens de subsistance. Le potentiel des pertes dues aux tremblements de terre a été démontré plus récemment par le tremblement de terre d'Al-Hoceima de 2004, de magnitude 6,4, qui a tué 628 personnes et blessé plus de 1.000. Les pertes économiques directes occasionnées par le tremblement de terre de 2004 se sont élevées à 400 millions de dollars US. Un risque de tremblements de terre bien plus importants existe dans des régions telles que Fès ou Tanger, qui sont situées sur la plaque européenne/africaine », précise le document de la Banque mondiale.
D'autres événements graves et majeurs sont également à craindre, précise le Pr Mohammed Said Karrouk. «Il y a aussi les glissements de terrain, les incendies, les sécheresses et la pénurie d’eau qui est un sérieux problème au Maroc mais qui commence, cependant,  à être moins récurrent qu’il l’était auparavant grâce à la politique des barrages qui  a donné de bons résultats au niveau du  stockage de l’eau », nous a-t-il indiqué. Et d’ajouter : « Il faut faire attention également à l’érosion, à la dégradation des sols et à la désertification. Il faut, par ailleurs, prendre au sérieux les tempêtes extratropicales qui ont commencé à se rapprocher des côtes de notre pays au cours de ces dernières années en raison du réchauffement climatique et qui constituent de vrais risques. Idem pour les tsunamis, les vagues géantes et le risque de submersion puisqu’au cours de notre histoire,  on a déjà subi le tsunami de 1755 de Lisbonne et récemment il y a eu déferlement de quelques vagues géantes  sur les côtes marocaines ».
Le Pr. Mohammed Said Karrouk pense que le véritable problème, dans ce contexte de nouveau climat où plusieurs catastrophes naturelles surgissent subitement, est que les pouvoirs publics ne considèrent pas ces évènements comme une réalité qui s’impose de plus en plus mais plutôt comme des catastrophes exceptionnelles et éphémères. « Ce qui permet aux décideurs  de ne pas assumer leurs responsabilités dans la gestion des risques naturels alors que ces évènements doivent être pris au sérieux, comme étant à la fois, des caractéristiques du nouveau climat et des références d’une nouvelle situation. Il ne faut plus se référer à l’exception puisque le climat d’exception n’existe plus. Ce qui se passe est horrible et dangereux mais il faut le prendre au sérieux et l’intégrer dans des programmes de gestion des risques que nous avons déjà établis», nous a-t-il expliqué avant de se désoler : « Malheureusement, ce qui s’est passé à Guelmim en 2014 s’est reproduire aujourd’hui à Taroudant ».   
En effet, si le Maroc a beaucoup investi au cours de ces dernières années dans l'analyse et la mesure de sa vulnérabilité aux principaux risques naturels, dans l’élaboration d’un système moderne de modélisation des risques de catastrophes naturelles permettant d'analyser les risques de tremblements de terre, d'inondations, de tsunamis, de sécheresses, et de glissements de terrain sur  l'ensemble du pays et d’un modèle macroéconomique relatif aux catastrophes, il n’en demeure pas moins que la gestion des risques au Maroc reste dominée par une approche fragmentée et principalement réactive. «  Après chaque catastrophe, de nouveaux programmes d’urgence sont mis en place dans les zones affectées, avec pour conséquence un déséquilibre dans le traitement du problème à l'échelle nationale. Les mesures de gestion des risques liés aux catastrophes naturelles sont souvent mises en œuvre en vase clos (par ministère et par type de risque) et pâtissent de la fragmentation institutionnelle et du manque de coordination entre les diverses agences gouvernementales concernées. La connaissance des risques au niveau des institutions est insuffisante, et les risques sont gérés par plusieurs agences, et ce sans coordination. Les différentes étapes de la gestion des risques (prévention, réduction des risques, reconstruction) sont également organisées de façon indépendante, en silos, sans la mise en place des liaisons nécessaires », révèle le rapport de la Banque mondiale. Et d’ajouter : « Par exemple, à ce jour, c’est le ministère de l'Intérieur qui est chargé de la gestion globale des crises et de leur prévention au niveau des pouvoirs publics locaux, mais d’autres fonctions sont confiées aux différents ministères sectoriels. La combinaison de tous ces facteurs empêche le Maroc de mettre en œuvre une approche globale, plus efficace, de la gestion des risques, qui intégrerait l'ensemble des éléments du problème, tiendrait compte des interdépendances entre les différents risques et les différentes régions, et permettrait de tirer des leçons de l'expérience acquise ».
Le Pr. Mohammed Said Karrouk appelle aujourd’hui à un changement de mentalité et des modus operandi pour se préparer à ce nouveau contexte et à ses risques nouveaux.  « Le problème du climat est aujourd’hui une priorité qui exige de nouvelles politiques, des plans mis à jour mais également de nouvelles mentalités et technologies pour le gérer. La formation et la sensibilisation de la population sont également primordiales. Il faut arrêter de vouloir régler le problème en usant d’anciens procédés et de concepts éculés», a-t-il conclu.

Changement climatique et installation d’un nouveau climat

Dans son livre « Dynamique des climats du Maroc. Genèse, évolutions et développement des phénomènes, espaces et milieux climatiques », le Pr. Mohammed Said Karrouk indique que le changement climatique actuel au Maroc s’est caractérisé par une impulsion de l’intensité des événements climatiques, une perturbation des rythmes climatiques et un bouleversement des éco-socio-systèmes dû aux impacts de l’accentuation et des rythmes climatiques. Ainsi, on assiste à un changement climatique survenu en un temps record et extrêmement dommageable en raison du phénomène des extrêmes, prédictibles dans les scénarios évolutifs, mais imprévisibles dans le temps et  l’espace (vagues de chaleur, sécheresses prolongées, retours abondants et concentrés des précipitations et des averses).
Le Pr Mohammed Said Karrouk précise que ces fluctuations extrêmes dues au changement climatique sont devenues ces dernières décennies plus fréquentes et se manifestent par une violence «exceptionnelle», (les sécheresses récentes au Maroc qui ont été très pesantes et catastrophiques, les exemples de 1983, 1993, 1995, 1998, 1999, 2000, et leur brève interruption s’est manifestée par des inondations inhabituelles, exemples de 1986, 1996, 1997, 2002, averses d’Ourika, El Hajeb, Taza …etc). Pis, ces fluctuations qui accompagnent le changement global pourraient être une nuisance pour le Maroc si des efforts nécessaires à l’adaptation ne sont pas déployés.
En effet, la sensibilité du Maroc au changement climatique pourrait se traduire par une intensité des sécheresses induisant un élargissement de l’aire et des foyers de désertification en raison de l’augmentation de l’albédo, de la perturbation des bilans énergétiques et hydriques. Cette situation risque de se répercuter sur une diminution de l’humidité du sol, une augmentation de l’évapotranspiration potentielle, et enfin au niveau de la prédominance de l’énergie sensible sur l’énergie latente vu la diminution du bilan atmosphérique. Ces conditions climatiques induisent une pénurie d’eau au Maroc liée à la variabilité des précipitations, et représentent une menace pour la stabilité économique et sociale.
Qu’en est-il des perspectives des changements climatiques au Maroc ? Si l'existence qualitative du réchauffement climatique ne fait aucun doute pour l’auteur,  il estime, pourtant, que l'évolution future du phénomène ne peut être estimée de façon quantitative qu'en passant par la modélisation numérique des phénomènes physiques. «La capacité des modèles à reproduire la réalité est limitée. En effet, bien des composantes du système (concernant l'eau surtout) sont encore mal prises en compte car non modélisées et sommairement paramétrées.
Par les performances encore insuffisantes des meilleurs calculateurs actuellement disponibles, et par notre connaissance encore imparfaite de certains phénomènes, le résultat des modèles ne peut donc être considéré comme une prédiction fiable. Par contre, il existe un large consensus pour estimer que ces modèles permettent de cerner l'évolution de la température moyenne et du niveau moyen de lamer suivant une gamme allant de 1 à 3, pour une concentration donnée de gaz à effet de serre», explique le Pr Mohammed Said Karrouk tout en précisant : «La validité des résultats à l’échelle locale est nettement plus incertaine, ce qui conduit logiquement à aborder l'analyse des conséquences du réchauffement climatique en termes de risques et non de prévisions».  
Dans cet ordre d’idées, l’auteur a indiqué que jusqu’à ce jour, les travaux menés au Maroc sur le changement global sont encore à leur début, et ne concernent que quelques fragments des aspects du changement. A ces limites et contraintes s’ajoute au Maroc la difficulté de cerner les interactions dynamiques relatives à son climat dépendant des systèmes climatiques lointains, différents, et d’évolutions opposées selon les scénarios et les sorties des modèles.

 


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