Ramadanienne de Mohamed Bakrim : Cinéma et histoire : Filmer la mémoire des années de plomb (I)


Mohamed Bakrim
Mercredi 2 Septembre 2009

Ramadanienne de Mohamed Bakrim : Cinéma et histoire : Filmer la mémoire des années de plomb (I)
"Raconter un drame, c'est en oublier un autre"
                                                                               Paul Ricoeur
Il y a deux manières classiques de nouer cinéma et histoire, nous dit le philosophe Jacques Rancière: en faisant de l'un de ces termes l'objet de l'autre. C'est ainsi que l'on peut traiter l'histoire comme objet du cinéma, ou à l'inverse, le cinéma comme objet de l'histoire. Si pour Jacques Rancière, la problématique philosophique pertinente relève du questionnement  qui sort de ce rapport étroit sujet/objet  pour les saisir ensemble et voir comment ils s'entre-appartiennent et composent ensemble une histoire, il nous semble pour notre part utile de revenir sur le premier chapitre de ce programme, à savoir sur celui de l'histoire comme objet du cinéma, considérer les capacités du cinéma à "rendre compte des événements d'un siècle, du style d'une époque, d'une manière de vivre à tel moment". Une problématique qui vient de se poser en termes nouveaux dans le cadre du cinéma marocain Le cinéma marocain emprunte, en effet, de nouveaux chemins sur la voie de sa socialisation. La voie qui lui a permis à partir du début des années 90 d'accéder d'une manière inédite dans sa jeune histoire à un rapport privilégié avec son public. Cela s'est fait sur la base d'un scénario que l'on qualifierait de proximité. Nous avons assisté, en effet, à l'émergence de tout un courant de la chronique sociale : condition de la femme, drame psychologique, émigration clandestine, faits divers et comédie de mœurs. Les résultats se sont très vite répercutés sur le plan du box office : chaque année, il y avait un film marocain qui arrivait en tête des chiffres d'entrées. Cette manne semble reprendre un second souffle avec des films ancrés dans l'urbanité (Voir Casanegra). Dans ce rapport réussi avec le public et la société, d'autres sources d'inspiration se sont imposées. Comme la thématique de la mémoire. Avec le retour en particulier sur les années de plomb, celles marquées par la répression politique et son corollaire de disparition, d'enfermement et de tortures. Apparemment, c'est une contagion planétaire. Notre époque est en effet obsédée par le passé, par le commerce du souvenir et le rituel de commémoration. "Je reste troublé par l'inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence des commémorations et des abus de mémoire et d'oubli", écrit le philosophe Paul Ricœur en guise d'avertissement qui ouvre son maître ouvrage sur la mémoire. Le tourisme de la mémoire est un phénomène de masse et les discours sur le passé font florès et mobilisent plusieurs vecteurs y compris bien sûr le cinéma.
Pourquoi rapidement ce travail sur la mémoire? Pourquoi ce retour sur un passé douloureux?  C'est en fait un travail de deuil qui s'opère. Deuil et mélancolie sont constitutifs des moments de mémoire. Mais le deuil s'avère opératoire et fonctionnelle. Il est une réaction à une perte; la perte d'un objet d'amour. Le deuil, une fois accompli, permet une libération et  offre une nouvelle opportunité pour se constituer en sujet serein et rassuré. Contrairement à la  mélancolie qui au lieu d'intérioriser l'objet perdu, de se réconcilier avec lui, en fait le thème d'une plainte qui est en même temps un reproche à soi et l'autre. Le cinéma du point de vue de la constitution de cette mémoire collective contribue à la réussite de cette séquence de deuil libératrice. Le cinéma comme récit. Fiction ou documentaire.
 Le film S21, la machine de mort khmère rouge de Rithy Panh est un vrai document qui nous situe au cœur de la problématique du rapport mémoire/cinéma et notamment du traitement cinématographique de la mémoire ; c'est toute la question des images qui est de nouveau revisitée surtout quand on remet sur le tapis, les débats et les polémiques qui ont accompagné le sujet avec des cas célèbres, celui de la Shoah. On se souvient notamment des positions diamétralement opposées de Godard et de Lanzmann.  (à suivre demain avec Nos lieux interdits)


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