A la veille même de la cérémonie de clôture, les avis des cinéphiles et des professionnels étaient partagés, voire très largement, à propos de la consécration suprême de Cannes, la Palme d’or 2009. La sélection concoctée cette année par Thierry Frémaux et son équipe, pour la soixante deuxième édition du plus grand Festival du cinéma du monde, avait laissé samedi soir pour ceux qui sont restés sur la Croisette un brin de goût amer tant ils étaient désabusés par la fracture flagrante traversant la qualité des films. L’émotion esthétique valsait d’un extrême à un autre : d’un Antichrist de Lars Von Trier porté par un souffle radical et provocateur à un classicisme quasi académique de Jane Campion en passant par le jeu de la parodie chez Suleiman et Tarantino. Il semble lointain le temps de l’édition précédente où chacun avait un avis tranché pour sa Palme d’or tant la qualité des films surfait sur un PPCM plaçant la moyenne générale esthétique et dramatique très haut, jusqu’à l’ultime film de pratiquement la clôture qui a décroché avec mérite le sacre suprême. C’est pour dire que le palmarès proclamé dimanche dans le grand palais sous les auspices de Madame la présidente Elisabeth Huppert est venu soulager plus d’un : la Palme d’or accordée à Ruban blanc de Michael Haneke. En effet, c’est une issue heureuse et judicieuse pour une édition marquée par les temps d’incertitude que nous vivons. Le Ruban blanc est un très bon film ; le meilleur de son auteur, réputé difficile et puriste ; pour moi, c’était le plus fort et le plus conséquent cinématographiquement lors de cette édition. Tard le soir, à l’issue de sa projection et lors d’une rencontre avec des amis critiques libanais, irakiens, français…nous avions fait le tour de la journée, chacun revenant d’une série de projections puis nous avons convergé vers la question récurrente à Cannes, le pronostic…je n’ai pas hésité à dire que le game was over, les jeux étaient faits et que le Festival tenait enfin sa Palme d’or, Le Ruban blanc. Cela suscita de vifs commentaires de mes amis : « long », « ennuyeux »…certains étaient encore sous le charme du film Prophète de Jacques Audiard (tous les Français de Cannes !) et d’autres encore fascinés par Lars Von Trier et son délire violent et misogyne! Oui, le film de Haneke est un véritable chef-d’œuvre de cinéma : alors que les autres films surfaient sur le désarroi environnant pour enfermer leur film dans une impasse esthétique et artistique qui signifie la mort du cinéma : Le Ruban blanc réhabilite le cinéma (nous y reviendrons).
Les autres prix oscillent entre le geste à faire par diplomatie professionnelle; par exemple, le prix d’interprétation féminine, mérité mais qui signifie davantage que le jury n’est pas contre le film danois descendu par la critique française ou encore des prix qui récompensent des valeurs sûres comme le prix du jury pour Prophète ou encore le prix d’interprétation masculine pour l’époustouflant Christophe Waltz, éblouissant dans Inglourious Basterds de Quentin Tarentino, le film le plus atypique de cette édition. Par contre, dans la rubrique du geste maladroit, c’est le prix du scénario accordé au film Nuits d’ivresse printanières de Lou Ye. Mais on ne peut pas demander à un jury d’être parfait, d’autant plus qu’il y a forcément des oublis notamment le film The time that remains d’Elia Suleiman et Bright star de Jane Campion. Nous en reparlerons.