Olivier Bourdeaut, un cancre devenu prince des lettres


Mardi 6 Février 2018

En 2016, il avait réussi, à 36 ans,
une entrée
fracassante dans
le monde des lettres avec “En attendant Bojangles”.
Son succès fulgurant venait rompre le cours d’une existence marquée par l’échec.


Jeudi 18 janvier, au Théâtre Pépinière Opéra, à la fin de la première à Paris de l’adaptation de son roman En attendant Bojangles, l’auteur est monté sur scène recevoir sa part d’acclamations. C’est une vieille tradition mais Olivier Bourdeaut, porté au pinacle, a dû la vivre en songeant aux abîmes vers lesquels il dérivait il n’y a guère.
Passé tumultueux
Cancre et dyslexique, abonné aux redoublements, ayant décrété que l’école ne lui enseignerait rien, il a longtemps vécu à Nantes, confiné dans l’ennui, sans grande perspective. Ses parents avaient fini, de guerre lasse, par le coffrer à la maison, avec interdiction absolue d’en sortir jusqu’à l’âge de 18 ans. Par chance, cette prison douillette était dotée d’une belle bibliothèque dont le séquestre fit son miel en secret. « Sans cette réclusion forcée, je ne serais pas devenu ce que je suis », concède-t-il, entre deux cascades d’un rire, mi-franc, mi-énigmatique qui ponctue ses phrases. Chassé, il s’aventura dans le monde, enivré par cette soudaine liberté mais entravé par une inaptitude à occuper durablement le moindre emploi : piètre agent immobilier à Nantes, honorable ouvreur de robinets dans un hôpital à Saint-Nazaire pour en chasser le sable, honnête paludier dans les marais salants de Guérande. Sans domicile fixe, il squattait les canapés de ses vieux amis.
Un marché avec son frère et un premier roman sans succès
Olivier Bourdeaut vivait avec la certitude qu’il serait « remarqué pour des choses très remarquables ». Mais cette conviction prenait l’eau. Un jour, l’un de ses frères cadets a pris le taureau déprimé par les cornes et lui a mis le marché en main. Un studio à disposition, un ordinateur, du café, des cigarettes et de quoi vivre pendant deux ans. À charge pour le reclus de pondre enfin le livre dont il tannait son entourage par ses récits décousus. C’est à croire qu’Olivier Bourdeaut ne s’épanouit que cloîtré. Un gros roman en sortira, L’Intérêt du crépuscule, qui n’intéressera aucun éditeur. Mais une étincelle a jailli dans son esprit.
« Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. » La formule de Churchill, qui le guidait dans la vie, commençait à s’émousser. « J’étais un mégalomane que la réalité a rendu modeste. Je dépendais des autres, reconnaît-il. Mes amis avaient une adresse, une boîte aux lettres, des clefs dans la poche, des enfants. Le décalage avec ma fantaisie, qui virait à l’inconséquence, devenait pénible. Je fatiguais mes proches. Poussé par la lucidité, je suis parti me réfugier chez mes parents dans le sud de l’Espagne. Ce n’est jamais un succès de retourner, adulte, vivre avec ses parents. Ce n’était pas glorieux. Mais mon ego était comme une serpillière. »
Le grand pardon puis un chef-d’œuvre
Auparavant, Olivier Bourdeaut, bon fils, avait tenu à s’excuser auprès de son père avec lequel les ponts étaient rompus, pour quérir son pardon. « Egoïste, je m’offrais une absence de remords sous couvert de bienveillance et de bonté d’âme, rigole-t-il. A partir de ce jour, ce fut une lune de miel. Lui et moi, nous ne sommes jamais revenus sur le passé, c’eût été rouvrir d’anciennes cicatrices à la tronçonneuse».
De nouveau, cette séquestration volontaire a porté ses fruits avec ce roman inclassable, En attendant Bojangles. D’abord refusé par une demi-douzaine de maisons parisiennes, avant qu’Emmanuelle et Thierry Boizet n’appellent l’auteur, pressés de lui faire signer un contrat chez Finitude, à Bordeaux. « Prendre le TGV, sans un sou vaillant, pour parapher cette marque de confiance qui m’engageait reste le plus beau jour de ma vie », estime-t-il.
La suite ressemble à un conte de fées, avec un prince, aux allures de jeune premier, qui ravit les lecteurs, bien au-delà des frontières (500.000 exemplaires, traduit dans 32 pays, des prix comme s’il en pleuvait). Une BD, une pièce de théâtre et bientôt un film s’emparent de Bojangles, publié dans quelques mois aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie… Nouvelle rafale de rires : « Ce fut aussi un fiasco dans certains endroits. Au Brésil, 600 exemplaires pour 200 millions d’habitants… La foule ne m’attendait pas au pied de mon hôtel. » Après trois ans de promotion sans discontinuer, après avoir accompagné, ces jours-ci, la parution de Pactum salis, son deuxième roman, Olivier Bourdeaut veut souffler pour revenir à sa nature de contemplatif. « Je vais écrire sans être publié, me poser pour nourrir mon imaginaire. Et m’aérer l’esprit. »


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