Nouvelles appréciées de la littérature arabe

Une histoire d’amour folle (5)


Laila Alotman
Mardi 5 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe
Laila Alotman est une femme de lettres 
koweïtienne.
Jabra Ibrahim Jabra dit d’elle: ses nouvelles... 
brillent telle la lame d’un couteau. Elle vous affronte et vous oblige à revoir votre propre expérience, et à être sincère envers 
vous-même. Ses histoires sont également une sorte de plongée dans les 
profonds de l’être pour en 
extraire un moment 
d’examen de soi. 
Le moment où l’on 
affronte soi-même.
A la fin du 20ème siècle, les “gardiens de la vertu” décidèrent de la passer en jugement. Son crime ?  Ecrire sur l’amour. Nous laissons aux lecteurs le soin de réfléchir sur cette affaire.
«La folie est la seule vérité absolue dans ce monde. Je pense que tous les fous et les pensionnaires des asiles sont dignes d’être les chefs de ce monde»

Ta présence ô Souailih dans les maisons du quartier est dorénavant légitime. Elle est la seule à te traiter avec amour et tendresse, sans te ridiculiser. Jamais elle ne se considère être devant un aliéné. Elle reste avec toi, te parle. Sa voix déborde d'une tendresse qui te fait fondre le cœur. Elle te tient compagnie dans ta solitude. Alors que tu es là, en face d'elle, le plus souvent silencieux, voyageant dans les lieux, à travers les yeux qui se posent sur son visage familier et unique, et se plantent sur les lèvres qui ne cessent de te supplier pour que tu te débarrasses des boîtes, des plumes, des ceintures et tout le tralala suspendu et dont tu t’entoures même les pieds, mais tu tiens à tes objets et tu t'allonges devant elle semblable à un chien doux en présence de son maître.
Un jour, elle se trouvait dans la cour de la cuisine, en train de rincer quelques marmites. Elle te vit entrer, précédé par ta musique. Tu t'approchas, et tu te laissas tomber près d'elle. De ta voix d'autrefois, tu lui proposas de l'aider. Elle rit coquettement et te demanda:
- Tu sais comment faire la vaisselle ?
- Oui je sais.
- Et tu sais faire la cuisine ?
Ta voix se froissa :
- Non, ça c'est le travail des filles.
Tu le dis avec un orgueil affiché, avec raison. Elle, elle trembla, elle sentit la chaleur des mots, et du sens. Elle s'écrie:
- Souailih !
- Quoi, ô les deux yeux de Souailih !
Tu te mis debout en face d'elle. Elle aperçut ton visage qui reprenait son aspect d'il y a quelques mois, avant que ta mère ne lançât son cri et qu'elle n'annonçât ta folie.
Elle émit une seconde fois une question pleine d'étonnement.
Souailih ?!
Tu regardas autour de toi pour examiner les lieux. Après être sûr que tu étais à l'abri des regards, tu tendis le bras vers elle. Tu étreigis ses épaules, tu te mis à ses côtés, tu t'approchas encore… et encore… Elle sentit l'odeur de ton visage et de ta sueur qui se mêlaient à quelque chose de doux qu'elle connaissait avant que ta folie ne se déclât! Elle recula frémissante. Tu t'approchas d'avantage. Tu collas tes lèvres sur ses joues, et les suças dans un long baiser comme si tu suçais le suc d'une rose. Elle se secoua. Sa main tomba. La peur la saisit ! Elle s'écria ! Du fond de sa poitrine, provint un chuchotement :
- Souailih.
- Aicha !
Une joie surgit sur son visage malgré l'opacité de la peur:
- Voilà que tu me reconnais.
Tu fis signe de la tête:
-je ne t'ai jamais perdue.
Sa voix trembla
- Souailih ...l’es-tu réellement ? 
- Oui Souailih qui te connaît et t'aime, je le suis !
- Souailih ! Qu'est-ce que tu dis ?
C'était un sanglot et non une question. Elle s'échappa de tes mains, et s'enfuit, mais tu la rejoignis et l'accompagna jusqu'aux escaliers retirés de la terrasse. Tu te collas à elle, la serras, l'écrasas. Pendant un moment, les deux corps ne furent plus qu'un. Elle tremblotait tel  un rameau, pendant que tu glissais les doigts dans ses cheveux en désordre, et que tes lèvres léchaient comme une  flamme rouge son visage, son cou, et son  corps qui frissonnait de désir, et refusait cependant les baisers, comme il te refusait. Il fut soulevé soudain par une colère terrible qui fit que son bras faible lui échappa pour te flanquer une gifle ! Elle s'écria:
- Forcené ! Forcené !
Elle appuyait sur le terme pour le confirmer. Tu la saisis, l’étreignis de force pour chasser ses doutes.
- Je ne suis pas fou... et je ne l'ai jamais été ! Comprends-moi Aïcha ! 
Elle te poussa par la poitrine dont les battements se précipitaient. Tu tombas, puis te relevas, et restas debout devant elle, la tête baissée, alors qu'elle t'assaillait de questions en désignant du doigt ton tralala et tes couleurs.
Et-ça, comment appelles-tu ça ? N'est-ce pas de la folie ça ?
Tu souris et la regardas droit  dans les yeux.
- C'est le moyen de te voir.
Elle cligna des yeux, la voix haletante et dit:
- Je  ne te crois pas ! je ne te crois pas !
 tu t'approchas d'elle encore une fois, et tu essuyas ses joues enflammées.
- Ta mère a voulu me priver de toi, j'ai trouvé alors le moyen. Les forcenés, personne ne les punit.
 Soudain, le monde, en face d'elle se tut. Elle n’entendait plus qu’une  colère tonnant dans sa poitrine. Elle prit toute ses forces, tendit les bras, et te repoussa par la poitrine, tu tombas par terre. Tes boites se secouèrent et certaines de tes plumes s'envolèrent
Elle t'assommait de cris :
-Oh si tu étais réellement fou je t’aurais aimé ! quant à cette bassesse !
Elle te darda d'un regard plein de dédain qui te perça le cœur. Tu n’étais plus qu’une personne méprisable au moment où elle s'entendait t'ordonner:
-Sors! Je ne veux plus te voir, j'en parlerai à ma mère, aux gens, à Fahd. Je révélerai ton secret, je te dénoncerai !
Tu fus figé Souailih. Tu restas cloué, bouche bée, stupéfait, misérable et triste. Ta langue s’immobilisa. Tes yeux amoureux n’exprimaient plus rien ! Tu étais incapable de te défendre, de défendre ton amour, ton péché. Elle te laissa collé au sol et s'enfuit. Sur le sol, tu voyais quelque chose tomber; quelque chose que tu chérissais et qu'elle foulait des pieds.
      *************************
La nuit lui tomba sur la poitrine tel un fardeau. Elle ne ferma pas les yeux jusqu'au matin. Le cri de ta mère déchira de nouveau le silence. Les gens s'arrachèrent à leurs couches pour accourir vers votre maison voir le spectacle. Elle regarda par la fenêtre et t'aperçut au pied du mur opposé, titubant, les yeux larmoyants et tes dix doigts écartés, ensanglantés. Le couteau qui les a coupés, on n’en voyait que le manche. La lame  était entièrement enfoncée dans la poitrine. Quelqu'un essayait de te soutenir, mais hélas ! Elle te voyait succomber devant ses yeux.
 
 


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