Nouveau spectacle de la comédienne : “La pianiste” de Latefa Ahrrare


Par Rachid MOUNTASAR
Lundi 20 Février 2012

Nouveau spectacle de la comédienne : “La pianiste” de Latefa Ahrrare
Une ombre solitaire traverse timidement l'arrière-scène. Une silhouette maigre marque par ses pas des hésitations à affronter le public, c'est-à-dire le monde. Placés sur scène, les spectateurs contemplent ces hésitations et partagent en silence la timidité et la pudeur de la pianiste (Latefa Ahrrare). Une pianiste qui se réfugie dans la musique pour dire sa révolte et sa haine, pour mettre à l’index l'inégalité des sexes, pour dénoncer le machisme régnant, pour fustiger la suprématie du mâle. Etre femme dans ce contexte est une véritable tare. Lourde à porter.
Dès le début de la pièce, les dés sont jetés et le ton est livré: le texte et son incarnation scénique basculent rapidement dans un discours politique hautement symbolisé. Le costume du mari, cet absent présent par la magie du geste et du mouvement, reçoit les imprécations de la pianiste. Il encaisse la rage et l'indignation d'un être condamné à une existence objectale… A défaut de s'attaquer au mâle, la pianiste enragée s'attaque aux objets scéniques qui le représentent tels que le costume et cette cravate rouge condamnée dans la hargne à la pendaison… L'arme souvent utilisée est cette sensualité troublante, cet érotisme pudique.
La femme ne peut être qu'un objet de plaisir destiné à assouvir l'instinct sexuel de l'homme. Son utilité se mesure exclusivement à son degré de soumission et au nombre d'enfants qu'elle peut engendrer.
Situation intenable d'autant plus que la figure de la mère y est pour beaucoup…Gardienne jalouse et intraitable de la tradition, la mère de la pianiste est conformiste. Son conformisme est à la fois primaire et ravageur.
Et la pianiste s'en moque. L'ironie permet à cette artiste solitaire d’exprimer son refus, son rejet radical d'un système désuet, d'un mode de pensée dangereusement conservateur. Il n'y a pas plus comique que nos propres malheurs. Le rire moqueur de la pianiste se révèle libérateur et efficace… les symboles de la castration tremblent avant de tomber en miettes. Le spectacle de Latefa Ahrrare propose un univers poétique singulier: la poétisation des signes scéniques tels que le piano (valise rouge), la robe de mariée blanche, le costume, la cravate vient suppléer la médiocrité existentielle du personnage féminin livré à lui-même et à sa schizophrénie criante. La poésie est l'ultime recours pour celles qui n'ont pas de voix, pour celles qui sont séquestrées dans les zones ténébreuses du silence. Leur place au soleil, elles doivent l'arracher par elles-mêmes… Quoi de mieux que ce geste poétique capable de démasquer les injustices, de révéler sous les feux de la rampe les hypocrisies masculines. Quoi de mieux que l'image scénique visuelle pour faire tomber les masques de l'hypocrisie sociale.
Malgré certaines redondances qui ralentissent le rythme de l'ensemble, ce spectacle est aussi une symphonie de l'amour, un geste musical généreux où l'harmonie entre la version arabe classique de l'auteur Milha Abdullah et celle dialectale a été portée à son point sublime.  Latefa Ahrrare est une actrice de taille. Elle est un monstre poétique de la scène qui manipule majestueusement et à bon escient la provocation intelligente et le don de soi.


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