Nicolas Hulot : Investir dans les énergies renouvelables au Maroc, c'est tout bénéfice pour l'avenir


Youssef Lahlali
Mercredi 14 Octobre 2020

L’ancien ministre d’Etat, ministre de laTransition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, est l’une des personnalités préférées des Français. Il est connu pour ses engagements écologiques et son combat pour préserver l’environnement et lutter contre les changements climatiques depuis très longtemps, lorsqu’il était journaliste.Il était l’un des invités du Forum de la paix en Normandie pour parler des enjeux climatiques et de la paix. Dans cet entretien avec Libé, il nous livre sa vérité sur notre monde: “Dans un monde d’humiliation, il n’y a pas de paix”.

Libé: Lors de votre intervention au Forum de la paix, vous avez utilisé un nouveau mot pour évoquer les relations internationales.Il s’agit du terme « humiliation ». Que voulez-vous dire par là ?
Nicolas Hulot:
J’ai voulu rappeler un élément qui est devenu fondamental, c’est la conséquence d’un développement technologique etsociétal. On a aujourd’hui un monde devenu en une décennie connecté. Partout chacun a accès à la réalité du monde. Tout le monde prend alors conscience des inégalités de traitement et de considérations auxquelles chacun est confronté. Tant que vous ne savez pas et tant qu’on vivait dans un monde cloisonné avec des distances, on restait éloigné de cette réalité. Evidemment, vous aviez desinégalités qui pouvaient perdurer des siècles. Et maintenant chacun peut prendre conscience que simplement parle mauvais hasard il est né au mauvais endroit alors que si on nait juste à côté, on peutse faire soigner d’une maladie. Le remède n’est pas là mais ailleurs. On prend conscience qu’aux Philippines et au Sahel on subit les conséquences d’un phénomène climatique qu’on n’a pas provoqué mais qui a été provoqué par d’autres. S’ajoute à l’exclusion et l’inégalité un élément explosif qu’est l’humiliation et un monde de l’humiliation, ce n’est pas un monde compatible avec la paix. Tout ça pour dire que personne ne doit fuir ses responsabilités. Ceux qui sont responsables de ces inégalités doivent assumer. Dans un monde solidaire, dans un monde qui ne concentre pas la richesse et où on pense universel, on ne raisonne pas simplement en fonction de ses frontières.

Les responsables politiques sont conscients de cette situation ?
Nos politiques sont comme la société, il y a ceux qui ont cette conscience et qui ont évolué. Mais il est important de rappeler que la solidarité, ce n’est pas une question morale ou éthique, c’est une obligation. Personne dans un monde connecté et aussi réactif ne peut aspirer à vivre en paix si on laisse se développer une telle inégalité et si on n’assume pas le choix de modèle que nous avons développé. Nous avons voulu développer un modèle économique qui a épuisé les ressources, un modèle énergétique qui a généré les changements climatiques. On doit assumer les conséquences pas simplement pour nous.

Vous dites que les politiques sont dépossédés du pouvoir. Quelles sont donc les solutions aujourd'hui pourinverser la tendance ?
Ils ne sont pas dépossédés de tousles pouvoirs, en tout cas sur le plan économique et financier notamment. Je pense que les politiques, et c'est plus facile à l'échelle européenne à 27, peuvent se réapproprier, réinvestir des champs démocratiques dont ils ont été dépossédés. Ce n'est pas normal que dans l'espace européen par exemple, il y ait une grande partie de l'argent qui circule, qui ne soit pas soumise à la solidarité des Etats. Autant un Etatseul peut avoir des difficultés pourremettre de l'ordre et des règles, dans ce qu'on appelle la finance de l'investissement ou l’achat des finances, autant à 27, personne ne pourra se priver de l'espace européen. A27 enEurope, on peutremettre desrègles communes, quiredonneront des marges de manœuvre économiques aux Etats.Et puisilfaut quand même rappeler que l'économie est une science des normes que l'on a fixées ensemble. On peut la faire évoluer, comme on vient de le faire et je m'en réjouis pourfaire face à cette crise sanitaire. Sortir de l'orthodoxie financière, investir, c'est ce qui va nous épargner des conséquences graves demain. Investir prioritairement dans des secteurs qui sont vertueux et non pas dans les secteurs toxiques.

Vous dites aussi qu'on sait ce qu'il faut faire mais on ne sait pas comment le faire. Alors comment peut-on faire quelque chose quand on ne sait pas comment le faire ?
Non, ce que je dis, c'est que souvent on sait ce qu'il faut faire mais on manque de méthode. On sait par exemple qu’ilfaut changer le modèle énergétique, le modèle agricole, faire en sorte que demain l'économie sociale et solidaire devienne la norme. Ok, ça on le sait, sauf que quand on fait une mutation, il y a des gagnants et des perdants, donc il ne faut pas le faire brutalement. Si vousle faites brutalement, vous avez évidemment un rejet et un refus social. C'est ce qui fait qu'on va de crise en crise, de conflit en conflit, de confrontation en confrontation. Il faut retrouver ce sens de la planification, bien entendu. En fonction de la difficulté des mutations, fixer des objectifs par exemple sur 3 ans, poursortir du glyphosate, 15 ans poursortir des véhiculesthermiques…Ilfaut l’inscrire dans les lois pour faire en sorte que cela soit irréversible.Après, ilfaut identifier les secteurs où les individus vont être pénalisés par cette mutation.Ensuite, mettre les moyens dans la formation pour les aider économiquement à se reconvertir.Il faut donc retrouver le sens de la planification et orchestrer des mutations qui dépassent évidemment les échéances électorales.

Les pays africains, comme le Maroc, n'ont pas beaucoup de moyens pour faire face aux changements climatiques. Comment font-ils pour mettre en œuvre la transition écologique, qui coûte très cher ?
Cela coûte cher, ça dépend, je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais investir, par exemple, dans les énergies renouvelables au Maroc, c'est tout bénéfice pour l'avenir. Une fois que vous avez des panneaux solaires, pour capter le soleil, vous avez de l'énergie gratuite. Voilà, une fois que vous avez cette indépendance énergétique en plus, cela vous donne sur l'échiquier politique international, une liberté, une indépendance que vous n'aviez pas. Vous savez ce qui coûte cher, ce sont souvent les conséquences d'un certain nombre de pratiques. Il y a des modèles agricoles conventionnels, moins chers en apparence que l'agro-écologique, mais quand vous payez toutes les externalités négatives du modèle conventionnel, parfois il faut mieux mettre l'argent en amont qu'en aval. Caen. 
Propos recueillis par Youssef Lahlali


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