Neila Tazi : La préservation du patrimoine gnaoui est la garantie de sa transmission aux générations futures

Mercredi 19 Juin 2019

Du 20 au 23  juin courant, la ville des Alizés servira, comme elle l’a toujours été, de toile de fond pour une nouvelle édition du Festival Gnaoua et musiques du monde. Ce festival n’est plus seulement une question de musique ou de spectacles, c’est plutôt un projet pluridimensionnel qui continue à créer de la mobilisation autour du patrimoine gnaoui à l’international. Festival, dossier de demande d'inscription de la musique gnaoua sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco, création de la Fédération des industries culturelles et créatives, des questions, entre autres, que Libé a abordées avec Neila Tazi, productrice du Festival.

Libé : Et de 22 pour le Festival Gnaoua et musiques du monde à Essaouira. Ce projet culturel modestement né en 1998 a désormais pris d'impressionnantes dimensions et a été à l'origine de plusieurs dynamiques au niveau local. Comment  parviendrez-vous à gérer les exigences et les contraintes de cette métamorphose ?
Neila Tazi : Ce projet a été et continue d’être un véritable challenge. C’est un projet qui mérite d’être porté à bras-le-corps parce qu’il fait chaque année un peu plus, démontrant ainsi de son importance et de sa pertinence. Un projet modèle qui a ouvert la voie au rôle que peut jouer la culture dans le développement des villes et des territoires. Peu de villes au monde peuvent s’enorgueillir d’avoir un événement culturel au rayonnement international aussi intéressant. Cette métamorphose a été possible grâce à la contribution de tous, car il ne faut pas oublier qu’un festival à la fois populaire et international comme celui-ci nécessite la mobilisation de tous, organisateurs, autorités, élus, société civile, partenaires et sponsors, médias, professionnels du tourisme,  et le public bien sûr, dont la population d’Essaouira si accueillante. C’est une ville tout entière qui se mobilise.

Quelles promesses fait cette 22ème édition aux férus de la musique gnaoua qui afflueront par dizaines de milliers des quatre coins du monde ?
Nous promettons comme chaque année une parenthèse enchantée et des moments de musique exceptionnels. Et permettez-moi de saisir cette occasion pour remercier le public de sa confiance. Car en 22 ans, les mélomanes fidèles qui font le déplacement à Essaouira et viennent souvent de loin, savent qu’ils vont assister à des fusions uniques comme seul ce festival sait les programmer. Les plus grands maâlems gnaoua du Maroc rencontreront cette année des styles musicaux aux sonorités  très différentes, rythmes cubain, touareg, tamoule, mais aussi du jazz, du flamenco… Les maâlems Hassan Boussou, Hamid El Kasri, Omar Hayat, Mustapha Baqbou, Majid Bekkas et Hassan Hakmoun fusionneront avec le groupe cubain d’Osain del Monte, la voix suave de l'Indienne Susheela Raman, les nomades Tinariwen. Le reggae qui a fait son entrée au patrimoine mondial Unesco fin 2018 sera dignement représenté par le groupe légendaire Third World 10 fois nommé aux Grammys Awards.  Les meilleurs maâlems des différentes régions du Maroc donneront trois Lilas thématiques, une rbatie, une souirie, et une chamalia. Cette dernière sera organisée en  hommage au pianiste américain Randy Weston qui nous a quittés en septembre 2018. Randy a  été le précurseur des fusions jazz-gnaoua.  Il y aura cette année la 8ème édition du Forum d’Essaouira des droits de l’Homme sous le thème « La force de la culture contre la culture de la violence » et des panélistes de renom tels que la journaliste et écrivaine Laure Adler, le peintre et écrivain Mahi Binebine, Edwy Plenel, le patron du site d’information Media Part, l’historien Gillles Manceron, l’écrivain Abdelkrim Jouaiti, et bien d’autres.

En 2013, l’Association Yermagnaoua fut à l'origine d'un dossier de demande d'inscription de la musique gnaoua sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco. Un projet désormais adopté et plaidé par le ministère de la Culture. Qu’en est-il de ce projet ambitieux ?
La demande a été exprimée il y a dix ans déjà auprès du ministère de la Culture. L’actuel ministre, Mohamed Laarej, s’est mobilisé pour enfin déposer le dossier auprès de la commission et le défendre, et nous le remercions pour son implication ainsi que les experts au sein de son département. La préservation de ce patrimoine culturel immatériel est la garantie de sa transmission aux  générations futures. Il sera préservé dans sa dimension authentique, tout en lui assurant sa pérennité  en permanence. Cette reconnaissance est essentielle car elle engage l’État et les parties concernées  à adopter des politiques et créer des institutions pour gérer le patrimoine et le promouvoir, encourager la recherche  et prendre des mesures de sauvegarde appropriées.  Cela se fait toujours avec le consentement et la participation des communautés concernées, dans ce cas avec les Gnaoua. Il y a également la possibilité de demander une assistance internationale au Fonds pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, alimenté par les contributions des États membres de l’Unesco. Ce sont là des démarches essentielles pour la préservation du patrimoine mais aussi dans un objectif plus global de développement durable de plus en plus centré sur l’humain. Et la culture traduit ce que nous sommes, l’élément constitutif de notre identité,  une base essentielle de notre éducation et de l’offre Maroc en général.

Fédérer les acteurs du secteur pour une meilleure mobilisation et susciter une nouvelle dynamique, permettre l’intégration des industries culturelles et créatives dans le nouveau modèle de développement, objectifs, entre autres, que s'est fixés la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC) dont vous avez été élue présidente dernièrement. Quels sont le contexte et les enjeux qui sont à l'origine de la création de cette entité par la CGEM ?
La culture a un rôle essentiel à jouer dans le développement, c’est un secteur à part entière. Nous devons sortir de l’image de l’acteur culturel quémandeur de subventions et d’attention. Nombre d’investisseurs et de professionnels aspirent à ce que leur secteur soit pris en compte dans un écosystème plus structuré, par un partenariat public-privé renforcé, une législation, une fiscalité, un système de formation plus adapté, par un meilleur accès au financement…. L’avis du Conseil économique, social et environnemental sur «L’économie de la culture » émis en 2016 est très explicite à ce sujet. Le secteur est créateur de richesses et d’emplois, il nous faut une vision plus large et des synergies renforcées entre les départements.  Le binôme  tourisme-culture par exemple est un moteur économique extrêmement puissant. Plus de la moitié de l’activité́ touristique en Europe est générée par le patrimoine culturel et le tourisme culturel. En France, la culture pèse 7 fois le PIB de l’industrie automobile. La culture, c’est 3% du PIB mondial et dans plusieurs grandes économies, l’importance économique, de la culture est grandissante alors que la valeur des secteurs culturels représente jusqu’à 6 % de l’économie totale. Cela vous donne une idée de ce que la culture peut  susciter comme dynamique.

En tant que  présidente de la FICC, quels messages aimeriez-vous passer à la fois aux professionnels et aux acteurs officiels?
Ce serait un appel à la mobilisation, un élan pour faire émerger ce secteur, le Maroc tout entier y gagnera.

Entretien réalisé par Abdelali Khallad

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