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Nécessaire sans être salvateur, le test demeure hors de prix pour bon nombre de pays

“Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Testez, testez, testez”. Dixit le directeur de l’OMS


Chady Chaabi
Mardi 31 Mars 2020

Nécessaire sans être salvateur, le test demeure hors de prix pour bon nombre de pays
«Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Testez, testez, testez». A cause de leur mépris de cette injonction du directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, plusieurs pays européens font aujourd’hui face à une crise sanitaire sans précédent. Débordés et acculés, les gouvernements espagnols et britanniques, entre autres, se sont rendus à l’évidence, alors qu’en France, critiqué pour sa gestion des dépistages, le gouvernement tente de rattraper le retard.
Le Maroc qui a jusqu’ici (lundi à 8h), réalisé 2436 tests pour 516 cas, 13 guérisons et 27 décès, a prélevé 2 milliards de DH du Fonds spécial de gestion de la pandémie du coronavirus pour le renforcement de son dispositif médical. En particulier, l’achat d’équipements médicaux et hospitaliers, dont 100.000 kits de dépistage, fabriqués par l’entreprise sud-coréenne Osang Healthcare. A des années-lumière de l’Allemagne, l’un des seuls pays au monde à tester massivement sa population et dont le taux de mortalité est miraculeusement bas (0,5% contre 5,23 % au Maroc) tout en privilégiant un confinement partiel. Les estimations des autorités allemandes varient entre 200.000 et 500.000 tests effectués par semaine. L’objectif de Berlin est d’atteindre fin avril un rythme de 200.000 tests... par jour !

Le dépistage massif
est une nécessité


La question des tests est l’une des principales pommes de discorde mondiale en ces temps de pandémie. Les Britanniques (20.000 cas détectés et plus de 1.200 décès) ont fait volte-face et preuve d’humilité en changeant complètement de stratégie. Un temps moqué pour son choix dit de «l’immunité collective», Boris Johnson, le Premier ministre du Royaume-Uni, testé positif au Covid-19, s’est aligné sur les recommandations internationales de l’OMS avec une priorité donnée aux tests massifs (objectif de 10.000 par jour), à un suivi grâce aux nouvelles technologies et enfin un confinement partiel pour limiter les contagions et préserver l’économie. Soit un quasi copier-coller du modèle de la Corée du Sud, en pointe dans le domaine, mais culturellement et industriellement mieux préparée que le Vieux Continent. L’Espagne (80.000 cas détectés et 6.800 décès) a également connu un retard à l’allumage. Elle a enfin reconnu son erreur en identifiant le manque de tests de dépistage comme l’une des causes de l’explosion de son épidémie. En conséquence, le gouvernement ibérique a lancé, la semaine dernière, le déploiement massif de tests rapides pour tenter d’enrayer la progression du coronavirus (achat de 5 millions de tests rapides).
L’Allemagne ou encore le Danemark ont retenu les leçons chinoise et coréenne, en décidant d’organiser des tests massifs. Que ce soit dans des centres «drive-in» sans contact, ou à domicile. Une manière de passer à l’attaque comme l’a imagé Tedros Adhanom Ghebreyesus :« On ne peut pas gagner un match de football uniquement en défendant. Il faut aussi attaquer ». Puis de préciser : « Demander aux gens de rester chez eux et établir d’autres mesures de distanciation physique sont un moyen important de ralentir la progression du virus et de gagner du temps, mais ce sont des mesures de défense qui ne nous aideront pas à gagner. Pour réussir, nous devons attaquer le virus avec des tactiques agressives et ciblées. Il faut tester chaque cas suspect, isoler et soigner chaque cas confirmé et suivre et mettre en quarantaine chaque contact étroit ».         
La France (40.174 cas et 2.606 morts) a longtemps ignoré les recommandations de l’OMS pour choisir d’appliquer la stratégie du confinement obligatoire. En fait, au lieu d’être transparent et expliquer que les masques étaient un pare-feu utile, mais que faute de stocks, il fallait évidemment en réserver la primeur au personnel soignant, le gouvernement français a un temps tenté de dire qu’en porter dans la rue ne servait à rien et il s’est obstiné à ne vouloir tester que les personnes à risque. Renvoyant donc les gens présentant peu de symptômes chez eux, sans dépistage. Autrement dit, la France a envoyé dans la nature de véritables bombes à retardement potentiellement contagieuses.
Désormais, des commandes ont été passées mais en accusant un retard conséquent. 5 millions de tests rapides sont attendus pour porter les capacités à 30.000 tests quotidiens en avril, 60.000 en mai et 100.000 en juin. Une montée en puissance sous forme de rattrapage qui ne répond qu’en partie à l’urgence. Mais qui dit bien le retard pris par les autorités sur cette urgence sanitaire, y compris par rapport à ses voisins.   

La chloroquine inefficace
en réanimation


Le dépistage massif a une autre vertu. En plus d’éviter que des personnes contagieuses soient toujours en contact avec la population et donc d’isoler le mal, les dépistages massifs et précoces sont nécessaires pour que la chloroquine, considérée comme un remède miracle, soit efficace. Enfin si l’on en croit le Professeur Raoult, infectiologue directeur de l’IHU Méditerranée, ardent défenseur du traitement à la chloroquine qu’il administre dans son IHU, établissement où les patients font la queue pour avoir accès à des tests gratuits ainsi qu’audit traitement le cas échéant.
Pour Didier Raoult, «il faut faire attention, parce que sur le plan thérapeutique, les malades, au moment où ils ont une insuffisance respiratoire et qu’ils sont admis en réanimation, n’ont en réalité  presque plus de virus », a-t-il expliqué dans une interview accordée à la chaîne YouTube de la structure qu’il dirige. Et d’ajouter : « Le problème à ce stade, ce n’est plus le virus mais plutôt comment on arrive à les sauver et les réanimateurs font des exploits extraordinaires. C’est quand les gens ont des formes modérées ou qui commencent à s’aggraver qu’il faut les traiter. Parce qu’à ce moment-là on contrôle le virus qui se multiplie. Donc moi je plaide pour que l’on commence à traiter les gens avant que leur cas s’aggrave. Et il y a des symptômes qui sont suspects comme la perte de l’odorat ou le fait de ne plus sentir le goût du sel. Ce sont ces gens qu’il faudra tester en priorité ». De toute évidence, pour que la chloroquine fasse effet, il faut dépister.

La fiabilité et la pénurie
des réactifs en question


«OMS, ceci est criminel. Vous n’arrêtez pas de dire : testez, testez, testez en plein milieu d’une pandémie. Mais dans des conditions de ressources limitées, à 100 dollars le test, on n’aura plus d’argent pour les équipements de protection et pour soigner les patients », a réagi sur Twitter l’infectiologue philippin Edsel Salvañ, avant d’affiner le fond de sa pensée : «J’admire ce qu’a fait la Corée du Sud et je le ferais si nous avions autant d’argent et de ressources. Ce n’est pas le cas ; mes collègues portent des sacs poubelles en guise d’équipements de protection.»
Vous l’aurez compris, les tests ne sont pas gratuits, et tous les pays du monde ne peuvent supporter une charge financière aussi rondelette que soudaine. Mais pas que. Car à ces problèmes de financement, il en existe un autre tout aussi voire plus inquiétant. «Pour des pays comme la France ou la Suisse, le problème ces derniers jours était davantage celui de la disponibilité des réactifs que des machines ou des ressources humaines», explique à l’AFP Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève.
Pour mieux comprendre le caractère inextricable de la situation, il faut faire connaissance avec ces réactifs. Les réactifs sont tous les produits que l’on met dans un test PCR et qui interviennent dans les réactions chimiques pour révéler la présence du virus. Pour faire un test, il ne suffit pas d’un patient, d’un coton-tige et d’une machine magique qui répond «positif» ou «négatif». Concrètement, un test diagnostic est une véritable expérience de chimie. Il met en scène plusieurs ingrédients, en plusieurs étapes. Une fois l’écouvillon (le coton-tige) frotté sur les cellules nasales de la personne à tester, on va essayer de détecter, dans l’échantillon, la signature du virus : un morceau de son génome, et plus précisément un bout d’ARN (acide ribonucléique).
Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle « il y a une pression sur le système d’approvisionnement en réactifs, particulièrement sur l’ARN», comme l’a récemment reconnu Stephen Hahn, le patron de la Food and Drug Administration (FDA, qui régule les médicaments aux Etats-Unis). Pourquoi ? Tout simplement car ces solutions d’extraction d’ARN viral sont fabriquées par une poignée de laboratoires dans le monde, et doivent être validées et autorisées pour des usages précis, dont les tests du nouveau coronavirus. Bref, il y a plus de demande que d’offre, ce qui résulte sur une pénurie. Et si l’on ajoute à cela que les tests ne sont pas fiables à 100 %, le moins que l’on puisse dire, est que le dépistage massif, s’il est nécessaire,  est encore loin d’être salvateur.


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