Nadine Labaki, visage du cinéma libanais dans le monde

J'ai compris que le cinéma me permettait de créer un monde imaginaire loin de ma réalité


Vendredi 19 Octobre 2018

Elle a découvert la passion des films sous les bombes, durant la guerre civile qui ravagea son pays. Mais Nadine Labaki ne s'imaginait pas qu'elle deviendrait un jour le visage du cinéma libanais dans le monde, avec des films comme "Caramel" et aujourd'hui "Capharnaüm".
A 44 ans, la Libanaise a bouleversé Cannes au printemps, et obtenu le prix du jury avec son troisième long-métrage, "Capharnaüm". Elle était la deuxième femme du monde arabe à voir son travail en lice pour la Palme d'or, après sa compatriote Heiny Srour en 1974.
Glamour sur les tapis rouges qu'elle a foulés depuis son premier succès, "Caramel" (2007), cette femme aux cheveux de jais et yeux de biche toujours maquillés au crayon noir a grandi en pleine guerre civile (1975-1990), où ses journées d'enfant étaient rythmées par les descentes aux abris.
"On ne pouvait pas sortir, ni aller à l'école, l'ennui faisait partie de notre vie. Notre seule échappatoire était les films", a-t-elle confié à l'AFP.
"J'ai compris alors que le cinéma me permettait de créer un monde imaginaire loin de ma réalité".
Née à Beyrouth en 1974, elle attrape le virus du cinéma également de son père. "Il me racontait comment, enfant, il passait son temps dans une petite salle de cinéma tenue par mon grand-père, comment il aimait l'odeur des bobines", se rappelle-t-elle. "Il n'a pu réaliser son rêve de devenir réalisateur. J'ai grandi avec ça".
Diplômée en études audiovisuelles à Beyrouth, elle réalise son film d'école, "11 rue Pasteur", qui obtient le Prix du meilleur court métrage à la Biennale du cinéma arabe de l'IMA (Paris) en 1998.
"J'ai appris au Liban, un pays où il n'y a pas de réalisateur-référence", souligne Labaki.
Avec Ziad Doueiri ("L'insulte"), elle est la réalisatrice libanaise la plus reconnue internationalement en ce moment, même si des femmes comme Heiny Srour, Randa Chahal Sabbagh et Jocelyne Saab avaient déjà ouvert la route.
Nadine Labaki a la particularité de n'avoir ni étudié, ni vécu à l'étranger comme la plupart de ses compatriotes réalisateurs.
C'est à partir de 2003 qu'elle commence à faire parler d'elle avec des spots publicitaires et surtout des clips pour des chanteuses libanaises.
Une rencontre avec la productrice belge Anne-Dominique Toussaint va la convaincre de se lancer dans son premier film, "Caramel".
Mi-comédie mi-mélodrame, ce long-métrage --qui dépeint les joies et malheurs d'un groupe de femmes dans un salon de beauté de Beyrouth-- devient l'un des plus grands succès du cinéma libanais de ces dix dernières années.
Elle y attaque tous les tabous: adultère, homosexualité féminine, et même hyménoplastie. Ses films se font d'ailleurs le porte-voix de cette réalisatrice qui se dit résolument engagée.
Avec son deuxième film "Et maintenant on va où" (2011, prix du public au Festival de Toronto), Labaki choisit de montrer une utopie pastorale pour dénoncer l'absurdité des guerres: des villageoises s'ingénient à empêcher un conflit entre leurs hommes, n'hésitant pas à louer les services de danseuses de cabaret ukrainiennes.
Le succès est au rendez-vous de nouveau avec 350.000 d'entrées au Liban --un record-- et la presse française est enthousiaste.
Mariée à Khaled Mouzannar, auteur de la bande originale du film, la mère de deux enfants a écrit le scénario en 2008 quand, enceinte de son premier bébé, des affrontements interconfessionnels embrasaient le pays.
Dans "Capharnaüm", c'est un garçon révolté contre ses parents qui exprime l'indignation de la réalisatrice contre la précarité de l'enfance.
Militante, elle se porte candidate en 2016, sans succès, aux élections municipales sur une liste de la société civile face aux partis traditionnels.
Elle s'insurge lorsqu'on laisse entendre qu'elle fait des films qui plaisent au public occidental, se disant très "intuitive".
Face à ceux qui jugent son message trop direct, voire naïf, elle assume. "Je veux que ça soit direct. Je ne veux plus voir des femmes vêtues de noir, qui voient leurs enfants mourir sous leurs yeux."


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