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Coécrit par Nadine Labaki, Jihad Hojeily, Michèle Keserwani, avec la collaboration de Georges Khabbaz et la participation de Khaled Mouzannar, «Capharnaüm» est l'histoire de Zaïn, un enfant de 12 ans qui attaque ses parents en justice pour lui avoir "donné la vie" dans un monde injuste. Zain ne supporte pas que ses parents livrent à un adulte sa jeune sœur préférée de 11 ans. Quand elle meurt en fausse couche, il quitte le foyer pour faire sa vie dans une grande ville, s’occupe du bébé abandonné par une jeune réfugiée, est emprisonné, puis intente un procès à ses parents pour mauvais traitements. Le périple de Zain est prétexte à exposer le quotidien à Beyrouth, en proie au chaos et à la corruption, après une guerre interminable, toujours prête à reprendre. Nadine Labaki filme au niveau des trottoirs des gens dans un style reportage, mais avec de vrais personnages construits, en donnant une énergie folle à son film.
Zain Alrafeea, qui interprète ce petit garçon et dont le prénom a été gardé pour son personnage, est incroyable de véracité. D’une maturité étonnante, d’aucuns le verraient bien remporter le prix d’interprétation d’un grand festival. C’est peut-être aller vite en besogne, mais il est vrai que son assurance, le ton dont il use dans ses répliques pas toujours faciles, sa gestuelle, étonnent à chaque instant.
"Capharnaüm" restitue l’énergie de la rue dans laquelle se fond son jeune héros. Il fait corps avec elle, et devient un vecteur pour Nadine Labaki, lui donnant accès à l’âme d’une ville et de ses habitants.
La cinéaste traduit un drame humain, un drame de l’enfance et à travers lui, celui d’une famille. Zain a compris le petit manège de ses parents. Sa mère est pratiquement devenue une poule pondeuse qui négocie ses filles avec les meilleures parties pour survivre. En leur intendant un procès, Zain veut obtenir du tribunal son interdiction d’enfanter à nouveau, afin de prévenir de futures vies massacrées. Beau sujet, dans lequel s’engouffre la condition féminine, la misère, les mœurs d’une société libanaise déphasée et un message humaniste dans les paroles et le regard d’un enfant devenu adulte avant l’âge.
Née à Beyrouth en 1974, Nadine Labaki attrape le virus du cinéma de son père. "Il me racontait comment, enfant, il passait son temps dans une petite salle de cinéma tenue par mon grand-père, comment il aimait l'odeur des bobines", se rappelle-t-elle. "Il n'a pu réaliser son rêve de devenir réalisateur. J'ai grandi avec ça". Diplômée en études audiovisuelles à Beyrouth, elle réalise son film d'école, "11 rue Pasteur", qui obtient le Prix du meilleur court métrage à la Biennale du cinéma arabe de l'IMA (Paris) en 1998. "J'ai appris au Liban, un pays où il n'y a pas de réalisateur-référence", souligne Labaki.
Avec Ziad Doueiri ("L'insulte"), elle est la réalisatrice libanaise la plus reconnue internationalement en ce moment, même si des femmes comme Heiny Srour, Randa Chahal Sabbagh et Jocelyne Saab avaient déjà ouvert la route. Mais Nadine Labaki a la particularité de n'avoir ni étudié, ni vécu à l'étranger comme la plupart de ses compatriotes réalisateurs.
C'est à partir de 2003 qu'elle commence à faire parler d'elle avec des spots publicitaires et surtout des clips pour des chanteuses libanaises. Une rencontre avec la productrice belge Anne-Dominique Toussaint va la convaincre de se lancer dans son premier film, "Caramel". Mi-comédie mi-mélodrame, ce long-métrage devient l'un des plus grands succès du cinéma libanais de ces dix dernières années. Elle y attaque tous les tabous: adultère, homosexualité féminine, et même hyménoplastie. Avec son deuxième film "Et maintenant on va où" (2011, prix du public au Festival de Toronto), Labaki choisit de montrer une utopie pastorale pour dénoncer l'absurdité des guerres: des villageoises s'ingénient à empêcher un conflit entre leurs hommes, n'hésitant pas à louer les services de danseuses de cabaret ukrainiennes. Le succès est au rendez-vous de nouveau avec 350.000 entrées au Liban --un record-- et la presse française est enthousiaste. Militante, elle se porte candidate en 2016, sans succès, aux élections municipales sur une liste de la société civile face aux partis traditionnels.
Elle s'insurge lorsqu'on laisse entendre qu'elle fait des films qui plaisent au public occidental, se disant très "intuitive". Face à ceux qui jugent son message trop direct, voire naïf, elle assume. "Je veux que ça soit direct. Je ne veux plus voir des femmes vêtues de noir, qui voient leurs enfants mourir sous leurs yeux", dit-elle.