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Le professeur Ennaji avait été invité par l’Institut français pour une rencontre autour de son livre « Une identité à fleur de peau », rencontre brillamment animée par le professeur Abdelali Errehouni. Ce fut l’occasion d’évoquer aussi d’autres livres, d’aborder d’autres thèmes et de réfléchir au rôle de l’intellectuel dans la société d’aujourd’hui. En effet, le conférencier a estimé que l’intellectuel avait une grande responsabilité dans la société marocaine : c’est à lui de s’exprimer sur ce qui ce passe et il doit veiller à ne pas laisser les gens parler en faisant circuler des idées fausses ou des interprétations erronées.
Le professeur Mohammed Ennaji, d’abord économiste s’est ensuite consacré à la sociologie et à l’histoire depuis sa rencontre décisive avec Paul Pascon qui était son professeur à la Faculté de droit de Rabat et qui fut son directeur de thèse de doctorat. Depuis lors, ils ont travaillé ensemble sur le terrain comme sur les archives. Cette quête a donné naissance à des livres importants tels Les paysans sans terre ou Soldats, domestiques et concubines, l’esclavage au Maroc au XIXe siècle et, en 1988, son livre La correspondance politique d’Iligh, publié par le CNRS en France, et qui allait lui ouvrir toutes les portes.
Lors de cette rencontre, Mohammed Ennaji a insisté sur le fait que l’écrivain ou le chercheur doit prendre en considération le canal qu’il utilise pour s’adresser au public et, de là, il doit adapter son discours : car le style d’écriture sur Facebook n’est forcément pas le même que celui d’une recherche pointue. Sur Facebook, par exemple, l’intellectuel doit intervenir efficacement ou se taire. C'est-à-dire qu’il doit prendre en considération certaines modalités notamment être court et efficace pour être dans les débats avec les gens.
Le professeur Ennaji a aussi répondu à une question au sujet de l’indifférence du Marocain à la lecture. En effet, le ministre de la Culture, a révélé lors d’une conférence de presse tenue récemment à Rabat, qu’en moyenne “un Marocain ne lit que deux minutes par an contre deux-cents heures pour un Européen”. Réagissant à ces propos, le professeur Mohammed Ennaji remarqua qu’effectivement cette réalité est catastrophique mais, a t-il expliqué, les raisons fondamentales de cette faillite se trouvent dans les politiques menées contre l’école nationale. Cette école, précise Ennaji, qui était d’un bon niveau, n’existe plus aujourd’hui, sans compter que le monde rural souffre d’un manque flagrant de bibliothèques. Le conférencier ajouta que la majorité des intellectuels marocains actuels avaient été formés à l’école publique marocaine des années 60 et 70 alors qu’elle était pourtant dépourvue de bien des moyens. Là est le paradoxe car, si aujourd’hui les Facultés se sont multipliées tout comme les moyens d’acquérir du savoir, la qualité de l’enseignement n’a pas enregistré de résultats probants. Le conférencier a aussi souligné que cette faillite de l’école n’est aucunement un problème de langue d’enseignement sinon pourquoi la génération précédente qui a étudié presque toutes les matières en français a-t-elle pu produire de grands noms notamment en histoire, en sociologie et en économie ? Autre argument, Ennaji, qui écrit en français, exploitait aisément et sans complexe les sources en langue arabe : il a lu dans cette langue les 20 volumes du Maassoul de Mokhtar Soussi ainsi que le dictionnaire Lissane Al-Arabe et d’autres dictionnaires similaires, lecture indispensable, dit-il, qui lui a permis la rédaction de son livre Le sujet et le mamelouk, publié en 2007, préfacé par Régis Debray. La lecture de cette documentation en arabe lui a permis de comprendre le sens des mots utilisés notamment dans la correspondance officielle d’autrefois.
Abordant la question du religieux au Maroc, Mohammed Ennaji a insisté sur son rôle car, pour lui, le religieux au Maroc joue le rôle de l’infrastructure en Europe. Il a donné d’ailleurs l’exemple de la zaouïa qui n’était pas seulement un lieu de recueillement et de prière mais aussi d’échange commercial. Après avoir lu quelques textes de son nouveau livre « Identité à fleur de peau », le professeur Ennaji a bien voulu répondre à d’autres questions du public. C’est ainsi qu’il s’est exprimé sur l’importance de l’histoire locale dans l’écriture de l’histoire nationale. Il avoue qu’au Maroc ce secteur est en souffrance parce qu’il y a une certaine fascination pour les grands thèmes. Mais c’est tout à fait le contraire de ce qui se passe en France où la micro-histoire est abondante et où les grands débats partent de petites choses pour pouvoir en cerner de plus grandes. Il a aussi déploré le manque de suivi de la part de la presse écrite à ces travaux sur le local. Dans ce sens, il se rappelle qu’en 1983 Paul Pascon, qui avait publié son livre sur les Béni Boufrah, dans la vallée rifaine, se demandait pourquoi la presse n’en parlait pas.
Les difficultés existent mais ne doivent pas arrêter le chercheur dans sa quête constante d’informations à porter à la connaissance du public averti. Noble et difficile tâche qui fait l’honneur de la fonction d’historien.