Mohamed Talbi : La neutralité de la presse dans la bataille environnementale est une complicité dans le crime

Atelier continental organisé par la FAJ à Naïrobi


I.E
Mercredi 24 Décembre 2025

Mohamed Talbi : La neutralité de la presse dans la bataille environnementale est une complicité dans le crime
La Fédération africaine des journalistes (FAJ), avec le soutien de Mondiaal FNV, a organisé un atelier continental sur la promotion d’une transition juste en Afrique, sous le thème : «Renforcer les capacités des journalistes et de leurs syndicats pour une mise en œuvre effective de la transition juste en Afrique».
La justice climatique n’est plus une question environnementale technique confinée aux conférences des élites, mais elle est devenue une véritable lutte existentielle touchant au droit à la vie et à la dignité humaine
Cet atelier s’est tenu du 18 au 20 décembre 2025 dans la capitale kényane, Nairobi. Il a constitué un espace ouvert de débat approfondi sur les défis climatiques auxquels fait face le continent africain, ainsi que sur le rôle croissant de la presse et des syndicats de journalistes dans l’accompagnement des transformations environnementales, économiques et sociales liées au concept de transition juste.

Lors de la session consacrée aux «tendances régionales en matière de justice climatique et de journalisme», Mohamed Talbi, membre du bureau exécutif de la Fédération africaine des journalistes et membre de la Fédération internationale des journalistes, a souligné dans une intervention approfondie que la justice climatique n’est plus une question environnementale technique confinée aux conférences des élites, mais qu’elle est devenue une véritable lutte existentielle touchant au droit à la vie et à la dignité humaine.

Talbi a rappelé que l’Afrique vit une contradiction flagrante : elle figure parmi les régions qui contribuent le moins aux émissions mondiales de carbone, tout en supportant la part la plus lourde des conséquences du changement climatique, à travers des sécheresses récurrentes, des inondations dévastatrices, une régression alarmante de la biodiversité et une surexploitation des ressources naturelles. Autant de phénomènes qui se répercutent directement sur la stabilité sociale et économique.

Il a expliqué que la destruction de l’environnement entraîne inévitablement la détérioration des conditions d’une vie digne, relevant que la perte de l’accès à l’eau potable, la dégradation des terres agricoles et la menace pesant sur la sécurité alimentaire ne sont pas de simples indicateurs environnementaux, mais des crises humaines et sociales profondes dont le coût est payé en premier lieu par les populations les plus vulnérables.

Dans ce contexte, Mohamed Talbi s’est longuement arrêté sur la notion de justice climatique, estimant qu’elle ne peut être dissociée de la justice sociale et économique. Il a précisé que les petits agriculteurs, les pêcheurs artisanaux, les travailleurs, les femmes, les jeunes et les habitants des zones fragiles sont les premiers à subir les effets des politiques climatiques injustes, alors même qu’ils n’ont pas contribué à la création de la crise.

Il a également insisté sur le fait que parler de transition énergétique ou de politiques vertes sans intégrer la dimension sociale et les droits du travail risque de reproduire les mêmes injustices sous de nouvelles appellations, appelant à l’intégration de la dimension syndicale et ouvrière dans toutes les politiques liées au climat.

Dans un passage central de son intervention, Mohamed Talbi a affirmé que la presse ne peut se prétendre neutre face à la destruction de la vie, considérant que la neutralité dans ce type de questions n’est pas une position professionnelle, mais une complicité silencieuse. Il a expliqué que le silence médiatique face aux crimes environnementaux, à l’accaparement des terres et à la pollution de l’eau et de l’air transforme les médias d’un pouvoir de contrôle en simples témoins à charge, alors que le véritable journalisme est celui qui choisit de se tenir du côté de l’être humain et de la nature.

Il a indiqué que le rôle des journalistes dépasse la simple transmission des faits pour inclure l’analyse des politiques publiques, la mise en cause des entreprises polluantes et la révélation des réseaux d’intérêts qui profitent de la destruction de l’environnement, tout en reliant ces enjeux à leurs impacts sociaux directs sur les travailleurs et les communautés locales.

Mohamed Talbi a également appelé au développement d’un journalisme d’investigation climatique capable de suivre l’utilisation des fonds publics, de surveiller les violations des lois environnementales et de dévoiler les formes de collusion entre le capital corrompu et certains centres de décision, notant que cette mission exige du courage professionnel et une protection juridique effective des journalistes.

Il a par ailleurs insisté sur la responsabilité de la presse de donner une voix à la nature, incapable de se défendre, ainsi qu’aux communautés locales marginalisées, souvent exclues du débat public sur les politiques climatiques. Selon lui, les médias doivent dépasser le discours technique et abstrait pour se rapprocher des réalités quotidiennes des populations, relater leurs souffrances face à la sécheresse, aux inondations et à la perte des moyens de subsistance, afin de transformer les chiffres et les statistiques en récits humains capables de mobiliser l’opinion publique.

Abordant les défis professionnels, Talbi a évoqué le manque de formation spécialisée en journalisme climatique, la difficulté d’accès à l’information, ainsi que les pressions politiques et économiques auxquelles sont confrontés les journalistes. Il a également mis en garde contre la montée de la désinformation et des fausses nouvelles sur les questions climatiques, parfois utilisées pour déformer les faits ou blanchir des politiques destructrices, appelant à renforcer l’éthique professionnelle, les mécanismes de vérification et la coopération avec des experts indépendants.

Dans ce cadre, il a mis l’accent sur l’importance de la coopération régionale entre journalistes africains, de l’échange d’informations et d’expériences, et de la construction de réseaux transfrontaliers, estimant que la crise climatique ne connaît pas de frontières nationales.

Mohamed Talbi a conclu son intervention en affirmant que la transition juste ne pourra se concrétiser sans une presse libre, indépendante et engagée, capable de transformer le savoir en conscience, la conscience en action et l’action en changement réel au service de l’être humain et de l’environnement. Il a considéré que la défense de l’environnement est, au fond, une défense de la vie, et que la presse africaine est aujourd’hui appelée à être en première ligne du combat pour la justice climatique, non pas comme observateur neutre, mais comme acteur central.

I.E


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