Mohamed Hamidi à la Galerie Bab Rouah : Miroirs et architecture du vide


Abdellah CHEIKH
Lundi 2 Mars 2009

Mohamed Hamidi  à la  Galerie Bab Rouah : Miroirs et architecture du vide
Les cimaises de la Galerie  Bab Rouah   de Rabat    abritent   du   4 mars au 4 Avril 2009     les œuvres récentes de  l’artiste peintre  Mohamed Hamidi  qui nous invitent à prolonger notre perception au-delà des formes visibles, à imaginer un espace dans l’espace. Ce qu'annonce chaque toile de Hamidi, ce qu'elle fait comprendre au regard, c'est que l'espace est en nous au même titre qu'il est en dehors de nous.
Selon Ghitha Triki Chraïbi, médiatrice culturelle, on ne peut parler de l’œuvre de Hamidi sans revenir aux fondements de l’abstraction géométrique au Maroc, qui trouvent leur racine dans le patrimoine rural et amazigh, et qui ont été formulés par l’Ecole de Casablanca au début des années 60, dont Hamidi a été un des fondateurs, auprès de Farid Belkahia, Mohamed Melehi, Mohamed Chabaa, Mohamed Aatallah, Toni Maraini et bien d’autres.
Hamidi rappelle  à juste titre, l’influence de l’ouvrage de Bert Flint publié en 1974 sur l’interprétation des signes berbères dans les tapis et tissages de l’Atlas. Des signes qu’il utilise abondamment dans ses œuvres des années 70 et 80, mais qui sont aujourd’hui à peine suggérés par quelques traits ou griffures dans un coin de la toile, la maturité de l’artiste l’ayant conduit vers l’abandon progressif d’éléments narratifs, au profit d’un vocabulaire volontairement restreint au dimensionnement de formes dans l’espace, à la création de nouveaux espaces par la couleur. Comme le dit Henri Focillon : «Le signe signifie, alors que la forme se signifie».
 Selon Farid Zahi, critique d’art et esthète,  l’artiste a contribué singulièrement à la formation de l’art contemporain au Maroc depuis l’aube des années soixante, n’a jamais été séduit par les lumières fallacieuses de la célébrité, ni par ailleurs par l’éclat d’un marché de l’art dont les sentiers ténébreux ont donné naissance à de maints faux bons peintres et à de faux authentiques artistes. Sa devise étant le silence, le retranchement dans la création. Son seul compagnon dans cette aventure de l’être et du paraître est sa capacité insondable d’arpenter ses propres possibles maintenus constamment en éveil, contre vents et marées, à la marge des voies royales de la visibilité que plusieurs de ses compagnons de route ont su explorer et suivre depuis longtemps.
 Sur sa  démarche plastique, Farid Zahi  a écrit : «  Fidèle à ses choix esthétiques, Hamidi n'en demeure pas moins hanté par la recherche assidue de nouveaux sentiers de la créativité. Sans sombrer dans l'aventurisme incalculable, il explore sans cesse ses grandes potentialités de créateur de formes et de couleurs.   Peintre du corps et du symbole, Hamidi interroge dans l’être sa dualité essentielle. Aussi le masculin et le féminin se laissent-ils voir dans leur union, leur face-à-face et leur miroitement perpétuel. Cependant, stylisé, le corps masculin et féminin, n’obéit guère à une quelconque rhétorique signifiante. Il est plutôt repris inlassablement dans ses facettes symboliques. Le corps chez Hamidi n'est nullement érotisé, bien que ses rondeurs soient suggestives. Un corps plutôt rhétorisé, symbolisé. Un corps-signe offert à la multiplicité de ses significations, à l'ambiguïté même de sa nature. Au point que cette symbolisation semble déboucher sur la quête de l'androgyne. L'androgynéité est là, inhérente aux variations sur le genre, comme pour subsumer la réversibilité que les signes-symboles, inscrits sur la toile, tracent, mettent en évidence ou altèrent. Ces signes disparates (flèche…) marquent une parole sourde, un vouloir-dire en-deçà du langage, un langage au-delà de la parole. Et au peintre de constituer son alphabet imaginaire suivant une intentionnalité marquée par les vicissitudes du temps et une colère à fleur de cœur».
Et d’ajouter : «Hamidi a la patience de celui qui se laisse inventer par les transformations internes de la matière. Alchimiste, il nous invite à toucher la rugosité de la toile, à imaginer sa propre genèse et son archéologie. La toile-peau a ses propres pores, ses lieux de souffle et de vie. Elle met en exergue les couches vibratiles de ses compositions, voilées  et dévoilées, et travaillées, afin de métamorphoser et l'unicité de la couleur et notre regard avec. Quasi indescriptible, ce travail chamanique nous livre une surface mutante, impure, composite et plurielle. Aussi, les variations chromatiques se laissent-elles transporter d'une forme à l'autre, d'un espace à l'autre. Ce qui crée des variations, au sens musical, et un effet d'harmonie que le peintre façonne avec tant de rigueur et d’imagination. C'est ainsi que chaque toile s'érige en partition, variation ou prolongement. La série de ces travaux ressemble ainsi à une composition de musique sérielle, celle perçue chez un Gustave Mahler et confirmée chez un Arnold Schoenberg. Cependant, cette suprématie des variations se laisse allier à l'harmonie tonale chère à la musique classique. Comme si le peintre alliait le sérialisme dans le travail des couleurs et le tonalisme dans le travail des formes ; paradoxe révélateur de la personnalité artistique même du peintre. Car son géométrisme vacille entre les formes en courbe et les formes angulaires. Paradoxe qui commence par ailleurs à s'évanouir avec l'apparition dans ses dernières toiles d'une forme en dôme. Un symbole ascétique que la vie dans la ville de Moulay Bouchaib semble imprimer sur ses toiles».
De son côté, Ghitha Triki Chraïbi a souligné : «Il est intéressant de s’arrêter sur la direction spatiale et le format des toiles chez Hamidi. Dans cette série allant de 2000 à 2008, la plupart d’entre elles sont verticales, de format 120 x 80 environ. Ainsi les formes qui ne peuvent forcément pas dépasser l’espace du tableau, s’appuient les unes aux autres, en s’aidant de la perspective afin de suggérer l’infini.

Des formes géométriques

Hamidi structure l’espace en découpant des formes géométriques à angles droits : triangles, rectangles, escaliers, losanges…Sans jamais aborder les formes dans leur volume, il alterne masses verticales – toujours planes – et lignes diagonales, plans couchés et plans frontaux, aplats superposés, séparation des espaces en croix ou en dents de scie, ajoute des damiers, mais n’oublie jamais l’effet de perspective, la fuyante dont il est question plus haut. Autant de procédés qui rompent la monotonie de la vision en des variations : au sens musical du terme, production de multiples phrases musicales par des modifications apportées à un même thème. Il est tentant de parler ici de musicalité des formes. L’œuvre dans son ensemble, se déploie en plages mélodiques (chromatisme exacerbé), rythmiques (verticales/horizontales, sérialité), harmoniques (équilibre des masses). Hamidi aime à citer la musique comme référent dans l’élaboration de son œuvre, soit comme source d’inspiration, soit comme traduction d’un morceau aimé. Une des œuvres antérieures, non exposée ici, rend hommage à Schubert. Dans ses propos rapportés lors d’une conversation récente, Hamidi s’exprime ainsi : «Mon but est de construire un univers de formes architecturales qui répondent à une recherche d’harmonie». Pour ce qui est de la couleur, les œuvres présentées ici sont presque exclusivement réalisées à l’huile. Des couleurs apprêtées dans le commerce ou des pigments, en particulier : cuivre pur, bleu d’outre-mer, terre de sienne, jaune ocre, or. Il juxtapose, en camaïeu, des tons clairs sur des tons plus soutenus, qu’il recouvre parfois d’or ou de cuivre. Dans l’ensemble, le recouvrement est opaque, mais la surface est texturée, hachurée, rappelant les traces sur les murs, la mémoire du temps. L’or, symbole de lumière et de transcendance, est une référence à l’art orthodoxe qui a marqué Hamidi lors de ses premières années d’apprentissage à l’Ecole nationale supérieure de Beaux-Arts de Paris».   


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