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Modèle de démocratie : Une aventure ambiguë ?


Par Hamada Eddarouiche
Jeudi 22 Septembre 2011

J’ai retrouvé dans le hors série n° 27 du  Magazine «Jeune Afrique» un article lumineux et pertinent sous la plume du grand écrivain et penseur sénégalais Cheikh Hamidou Kane sous le titre : Apprendre sans oublier.
Son article est un rappel au retour à nos sources et nos valeurs africaines comme premier référentiel tout en apprenant des autres cultures et civilisations : apprendre de l’autre sans oublier ce que nous avons appris de nous-mêmes. L’article réveille en moi le souvenir de mes lectures, au lycée, de «L’aventure ambiguë»  (1961) l’œuvre de C.H. Kane, qui reste d’une actualité pertinente.
Elle traite du choc des civilisations, des tiraillements internes que connaissent les Africains au contact de la civilisation occidentale et pose de ce fait la problématique de la phagocytose ou de l’étouffement que cette dernière fait subir aux cultures et civilisations des peuples colonisés.
Les soulèvements que nous vivons actuellement, dans certains pays arabes sont dédiés à l’avènement de systèmes démocratiques là où les régimes sont totalitaires ou jugés peu démocratiques. De toute manière ceux qui se soulèvent n’aspirent qu’à la démocratie. La revendication est légitime parce que ce système se singularise de tous les autres et permet la meilleure gestion possible de la chose publique ; il prend en compte les aspirations et opinions du plus grand nombre de citoyens. La vocation à jouer un rôle politique demande un volontarisme et des  aptitudes à gérer les liens  et les intérêts communautaires.
A ce niveau, il n’y a pas de divergence entre ceux qui veulent jouer les rôles d’acteurs politiques, ils se déclarent tous  démocrates.
Le diagnostic fait par la jeunesse, les hommes politiques, la société civile et même certains gouvernants arabes est sans appel : les systèmes politiques en place sont malades, parfois cliniquement morts.
Le remède est disponible : il faut évoluer, corriger les imperfections et insuffisances, instaurer la démocratie, chaque pays est un cas particulier.
La démocratie n’étant pas, hélas, un protocole médical, un prototype, à administrer à toutes les sociétés sans discernement, il y a donc matière à réflexion, une péréquation s’impose, il faut en trouver les règles. C’est bien à ce niveau que se situe le problème. La difficulté réside dans le modèle de démocratie à élaborer pour chaque pays en fonction de ses spécificités propres et incontournables.
Dans son article, Cheikh Hamidou Kane nous rappelle la nécessité de revenir à nos racines, à nos propres valeurs tout en apprenant des autres : apprendre sans oublier, c'est-à-dire s’inspirer des autres sans se renier, sans se déraciner.
Chez nous, nous pensons avoir trouvé  le chemin d’une évolution rationnelle qui préserve nos équilibres fondamentaux.  Cependant, des voix continuent à s’élever pour réclamer des réformes plus profondes en faisant abstraction de nos réalités propres et en véhiculant deux discours diamétralement opposés, l’un à forte coloration occidentale, l’autre sectaire et obscurantiste.
Qu’ils usent de leur droit d’expression sans violence, nous ne sommes pas dérangés, nous utiliserons le nôtre pour les contredire de manière civique et la démocratie est en marche. La démocratie n’est pas l’apanage de l’occident, mieux elle n’est  même pas, au départ, un  résultat de son évolution, les premières traces de société démocratique remontent au Vlème siècle avant  JC dans l’actuel Etat de Bihar en Inde.
La charte du Mande, instaurée par Soundiata Keita dans son Empire du Mali, remonte à 1222 de notre ère. Elle ne comporte que six articles non écrits mais précieusement conservés et vulgarisés par la tradition orale dont les vecteurs sont les griots, ces musiciens et conteurs africains. Feu Amadou Hampâthé Ba, l’écrivain, ethnologue, historien malien avait dit : « En Afrique quand un griot meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».
Si cette constitution africaine, l’une des premières du monde, est brève et laconique, l’usage qui en a été fait a permis l’instauration d’une société où la justice sociale, la sécurité des personnes et des biens, la solidarité, le respect de l’autre, la concertation, l’ouverture, sont fortement ancrés dans la mémoire de tous les citoyens.
J’ai eu l’immense privilège de visiter longuement la totalité du territoire malien, d’apprécier la richesse culturelle de ce pays et l’enracinement profond des valeurs nées de cette loi fondamentale. Je vous livre quelques modestes témoignages.
Le concept de la «Diatiguiya» ou hospitalité en langue Bambara (langue de la majorité au Mali), consiste à permettre à chaque étranger de choisir son «logeur» qui lui procurera le logis et la nourriture au mieux de ses possibilités. A partir de cet instant, il devient membre à part entière de la famille et cette relation se transmettra de père en fils avec ses droits et obligations qu’elle implique réciproquement. Voici l’exemple de l’ouverture, du partage et de l’élasticité des liens affectifs entre humains.
Le concept du cousinage par plaisanterie ou taquinerie, d’apparence très anodine, consiste à créer entre des familles et des tribus d’ethnies différentes des liens d’amitié et d’intimité héréditaires et sacrés qui interdisent l’agression et imposent l’entraide et la solidarité. Les liens consanguins universellement reconnus sont prolongés par un acte aussi simple que la plaisanterie. Ce qui est considéré comme déplaisant devient une source d’amour, de soutien et d’assistance mutuelle. Voici  une forme d’élargissement du cercle familial, tribal, ethnique qui consacre la cohésion sociale.
Le concept du «grin», très répandu au Mali désigne un lieu de rencontres entre amis dédié à la détente, l’échange et le règlement des contentieux. Ces clubs d’une très grande convivialité permettent à tous les Maliens d’avoir une adresse fixe commune à tout un groupe où se règlent un nombre incalculable de problèmes tous les jours de Dieu. Chaque Malien est membre d’un «grin», il est solidaire de ses membres, il s’y rend tous les après-midi sauf cas de force majeure. Le pays est une immense toile faite de cellules de réflexion interconnectées, une société civile en marche quotidiennement. Le fameux arbre à palabre que tout le monde connaît et qui matérialise la démocratie participative africaine en vigueur depuis la nuit des temps est très élaboré et codifié au Mali. Une case à toiture basse appelée «Togula» ou «blôn» fait office, dans tous les villages, de siège du conseil des sages.  Tous les contentieux y sont réglés à l’amiable. Il est interdit de s’emporter et le contrevenant risque de se cogner la tête sur les poutres du toit  anormalement bas. On voit bien que des modèles de démocratie ont précédé ceux de l’Europe, ils donnent satisfaction et peuvent être remodelés et adaptés à notre époque.
Le Mali, ce pays frère, merveilleux et culturellement très riche, a longtemps vécu en symbiose avec le Maroc. Tombouctou,  la cité des 333 saints, a été marocaine, les Touré de Bamako, l’une des plus anciennes familles de la ville, est d’origine marocaine.
Le modèle démocratique occidental a généré deux guerres mondiales avec leurs cortèges de malheurs, le sinistre Goulag, l’Holocauste et la création d’un Etat israélien au prix du massacre interminable du peuple palestinien ; la liste est trop longue et ne finit pas, elle se prolonge ces jours-ci.
N’oublions surtout pas que la colonisation a été une sinistre opération d’asservissement des peuples, une gigantesque usurpation de leurs ressources naturelles, l’anéantissement de civilisations brillantes. Les Aztèques et les Incas sont des exemples, pour ne citer que celles qui m’éviteraient le qualificatif de chauvin.
Les grandes nations colonisatrices étaient au moment de notre occupation, des nations démocratiques, dotées de constitutions, de parlements et de justice. Le paradoxe, la contradiction, l’aberration sont là, elles sont loquaces.
Le Royaume du Maroc est à la croisée des chemins, de par son histoire et sa position géographique qui font de lui un magnifique réceptacle où se déversent les courants d’idées venus des deux bassins civilisationnels, l’Afrique et l’Europe.  
Nous avons besoin d’apprendre auprès de nos voisins, partenaires et amis européens, de nous ressourcer auprès de frères africains qui sont notre interland, notre prolongement historique culturel et cultuel, et nous devons surtout rester nous-mêmes, les héritiers d’une civilisation glorieuse, séculaire et plurielle.
Le modèle démocratique marocain sera forcément un alliage qui résistera à la corrosion du temps, s’opposera au déracinement et à l’obscurantisme, les deux principales menaces qui pèsent sur le projet de société moderne authentiquement marocain auquel nous aspirons.
C’est à ce prix que nous réussirons notre évolution et que notre aventure ne sera pas ambiguë !


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