“Mektoub My Love” La séduction selon Abdellatif Kechiche

Ce qui étonne chez le réalisateur et suscite l'admiration, c’est sa direction d’acteurs


Libé
Mercredi 21 Mars 2018

Après le triomphe et la Palme d’or des amours saphiques de "La vie d’Adèle" en 2013, Abdellatif Kechiche explore les jeux de la séduction entre hommes et femmes de la petite trentaine, dans une ambiance vacancière. Le réalisateur aime jouer sur la longueur dans tous ses films. S’il a souvent convaincu dans l’exercice, il tire ici un peu sur la corde même s’il réussit encore de belles choses.
Librement adapté de "La Blessure, la vraie" de François Bégaudeau, "Mektoub My Love : Canto Uno" relate les retrouvailles de deux cousins d’origine tunisienne à Sète. Tony (Salim Kechiouche), dragueur impénitent, gère quatre restaurants, Amin (Shaïn Boumedine), plus introverti, est photographe et apprenti scénariste. Ils rencontrent deux jeunes femmes en vacances avec lesquelles ils vont avoir une relation suivie en les introduisant auprès des leurs.
Tout le monde est beau dans "Mektoub My Love" et l’on peut compter sur Abdellatif Kechiche pour filmer avec sensualité les corps. Dès l’ouverture, dans une scène de lit observée par un voyeur. Amin regarde Tony avec sa maîtresse et son rôle sera jusqu’à la fin celui d’un observateur. Il endosse un peu celui du réalisateur qui observe ses protagonistes. Ce n’est pas pour rien qu’Amin est photographe. Tony est un actif et Amin un passif. Mais la fin lui offrira une ouverture vers ce que l'on devine être la possibilité d'un passage à l'acte. En cela, "Mektoub My Love" a une dimension initiatique.
Ce qui étonne le plus chez Abdellatif Kechiche et suscite l'admiration, c’est sa direction d’acteurs. Grâce à laquelle il peut étirer ses longues scènes tels des plans-séquences, alors qu’elles sont très découpées. Si elles semblent improvisées, elles sont sans doute très écrites, comme chez Pialat. Ce talent unique est la marque d’une grande valeur dramaturgique et cinématographique, d’un style.
Mais si cette qualité faisait passer "La vie d’Adèle" comme une lettre à la Poste, les 2h55 de "Mektoub My Love" sont parfois un peu longuettes. Notamment lors de l’antépénultième scène de discothèque, interminable, ou le regroupement d’un troupeau de chèvres, voire d’autres scènes qui frôlent la complaisance. Ce nouveau film d'Abdellatif Kechiche vaut pour sa dimension solaire et cet art de traduire deux séductions opposées, deux modes d'expression du désir. Ce sujet constitue le coeur de "Mektoub My Love", alors qu’il est souvent exposé, ailleurs, d'un seul point de vue. Une valeur plurielle qui demeure une des subtilités constantes du cinéma d’Abdellatif Kechiche.
Rappelons, par ailleurs, qu’issu de l’immigration, le réalisateur tunisien multi-récompensé s’est imposé dans le paysage du cinéma français en quelques films.
Née le 7 décembre 1960 à Tunis, Abdellatif Kechiche a 6 ans lorsqu’il arrive avec ses parents à Nice. Il grandit dans une cité proche des studios de la Victorine (aujourd’hui studios Riviera). A l’adolescence, il passe beaucoup de temps à la Cinémathèque et découvre Raimu, Michel Simon, Arletty… Sa passion pour la langue française le conduit à travailler des textes, écrire des dialogues, créer des scénarios. Son envie d’appartenir au monde du cinéma d’une manière ou d’une autre est plus forte; très vite, il abandonne ses études de géomètre pour s’inscrire au Conservatoire de Nice
A 19 ans, il fait ses débuts au théâtre de Nice dans une pièce mise en scène par Jean-Louis Thamin, Un balcon sur les Andes. Après quelques années sur les planches entre Nice et Paris, il obtient son premier rôle en 1984 dans Le Thé à la menthe d’Abdelkrim Bahloul. Il est alors l’un des premiers acteurs beurs à apparaître à l’écran (Mutisme, Les Innocents, Bezness, Un vampire au Paradis) mais il aspire à exercer son métier d’acteur en dehors des clichés véhiculés par l’idéologie collective. Pour exprimer sa propre voix, il souhaite passer derrière la caméra.
En 2000, il réussit à financer son premier film, La faute à Voltaire – grâce à l’avance sur recettes versée par l’Etat – immédiatement salué par un prix, le Lion d’Or de la meilleure première œuvre à la Mostra de Venise en 2000. Il triomphe avec son deuxième film, L’Esquive, à la cérémonie des Césars 2004, rafflant les trophées de meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario. Rebelote, il récidive avec La graine et le mulet aux Césars 2008 et remporte les mêmes prix que L’Esquive. Enfin, il adapte le roman de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude sous le titre La vie d’Adèle. Le film est présenté au Festival de Cannes en mai 2013 et décroche la Palme d’Or.


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