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Marocaines en Espagne : Séjour légal et faux préjugés


Par Mohamed Boundi Sociologue, Madrid
Vendredi 8 Mars 2019

L'harmonisation de la législation marocaine avec celle de l'Union européenne (UE) et l'étroite coopération entre les autorités de Rabat et Madrid dans la gestion des flux migratoires en Méditerranée occidentale et en Atlantique, s’appuie sur la création de nouveaux mécanismes opérationnels. Dans ce cadre intervient la régulation de l'émigration des Marocaines qui comptent s’installer en Espagne. La législation marocaine ne prévoit, en outre, aucune discrimination entre les deux sexes ni restriction de voyage hors du territoire national. Le débarquement de travailleuses marocaines dans des fermes de Huelva, en Andalousie (Sud de l’Espagne), pour la cueillette de fraises et d’autres fruits s’inscrit précisément dans cette prérogative. C’est l’expression la plus dynamique de la migration circulaire d’employées marocaines étant donné que celles-ci s’engagent à regagner impérativement leur foyer à la fin de la période de récolte des fraises.
Le projet des contrats en origine est ainsi retenu comme mécanisme opérationnel. Il répond aux objectifs du programme d’Assistance technique et financière en faveur des pays tiers dans le domaine de l'asile et des migrations (AENEAS). Financé par l’UE, ce programme a été mis en marche en 2004. Il a pour finalité de lutter contre l’immigration clandestine afin d’atteindre une meilleure gestion des flux migratoires tout en apportant une aide au développement local et au retour. Ce programme est le cadre dans lequel s’inscrit la Convention de collaboration Cartaya-ANAPEC, qui bénéficie d’un budget de 1.495.000 euros. Le projet se dénomme «Programme de gestion éthique de l’immigration saisonnière» entre le Maroc et la province de Huelva (dont la municipalité de Cartaya est «l’initiatrice») en collaboration avec l’Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC). Pour l’UE, ce mécanisme peut être considéré comme «une bonne pratique d’immigration à travers cette migration circulaire des femmes». D’ailleurs, les femmes s’engagent à la fin de leur contrat de regagner leur pays. Même cas pour celles jugées inaptes pour le travail pour diverses causes dont la maladie, la difficulté d’insertion ou l’indiscipline. Dans une analyse insérée dans une étude intitulée «Migrations critiques. Repenser les migrations comme mobilités humaines en Méditerranée» (Paris, Karthala), la sociologue Ahlam Rahmi soutient que cette initiative a pour but de  «mettre en place un système de gestion intégrale de l'immigration temporaire des travailleurs marocains» et de «prévenir le passage de ces travailleurs à la clandestinité par des tactiques visant à garantir un retour quasiment certain des travailleurs à la fin de la saison».
Comme le stipule le contrat d’engagement, il s’agit de femmes mariées, divorcées, mères d’enfants de moins de 14 ans et veuves. Surnommées «freseras» ou travailleuses de fraises, elles sont sélectionnées dans toutes les régions du Maroc par des recruteurs espagnols sous la supervision de l’ANAPEC.
Le programme est calqué sur ceux appliqués dans plusieurs pays européens, particulièrement en Allemagne, Autriche, France ou Italie. Il s'appuie sur deux critères indispensables : le travail agricole saisonnier et le retour dans le pays d'origine. Les Marocaines viennent travailler à côté des femmes d'autres nationalités (Pologne, Bulgarie, Roumanie, Bolivie surtout) pour satisfaire en main-d'œuvre les besoins de la province de Huelva. C'est un fait que cette province s'appuie dans son modèle de production sur "la gestion de la main-d'œuvre étrangère saisonnière à travers les contrats en origine". Le modèle a une double finalité : lutter contre les flux irréguliers d’immigrés et garantir la survie d’un nouveau modèle d’agriculture intensive orientée essentiellement aux exportations, retient de son côté la sociologue Chadia Arab dans un essai intitulé «La migration circulaire féminine marocaine à Huelva». Ceci s’explique par le fait que la production de fraises représentait au milieu des années 2.000 près de 50% de la production agricole de Huelva. Pour réussir la campagne agricole, la province est appelée à faire appel chaque année à près de 90.000 travailleurs saisonniers, d’où le besoin pressant de recourir à la main-d’œuvre étrangère. C’est la raison pour laquelle les chefs d’entreprise optent pour le contrat en origine, en ce qui concerne le recrutement de la main-d’œuvre féminine marocaine dans les fermes de fraises. Ce modèle de contrat prévoit que leur séjour en Espagne est déterminé par la durée de la campagne de cueillette de fraises, qui est temporaire. Le modèle de production intensive des fraises qui fait fortune à Huelva obéit finalement aux directives de l’UE pour laquelle «l’immigration économique et sélective devient un des objectifs de la politique migratoire commune», relève pour sa part la sociologue espagnole Dolores Redondo Toronjo dans un essai sur «Les contrats en origine dans la production intensive des fraises à Huelva».
Sur la base de ce modèle d’importation de main-d’œuvre saisonnière, débarquèrent à Huelva les premiers contingents de travailleuses de fraises dès 2.000. Leur nombre ne cessait de croître parallèlement à l’augmentation des besoins en main-d’œuvre et du rythme de production. Le nombre de contrats en origine de saisonnières marocaines a connu aussi une croissance exponentielle en passant de 200 en 2.000 à 5.277 en 2.007, selon un rapport du gouvernement espagnol pour le contingent 2006-2007.
Pour la saison 2018, 11.000 ouvrières marocaines ont été choisies pour cette opération qui débuta en avril. Pour la campagne de 2019, Rabat a autorisé 19.179 ouvrières agricoles (35% de plus qu’en 2018) à partir pour la récolte de fraises et autres fruits rouges en Andalousie, dont 11.500 « répétitrices » qui ont bénéficié du renouvellement de leur contrat et 7.700 nouvelles recrues. Une travailleuse de fraises ayant participé à trois ou quatre campagnes pourrait accéder à un permis de séjour en Espagne. Celles qui optent pour l’illégalité perdent tous leurs droits. Pour le gouvernement espagnol, le recours à la main-d'œuvre féminine marocaine est perçu comme un modèle de "migration circulaire".
Les contrats de travail (de trois mois), qui prévoient l’ensemble des droits garantis dans le Statut du travail et de la sécurité sociale en Espagne, sont en conformité avec l’esprit de l’accord bilatéral sur la main la main-d’œuvre, conclu à Madrid le 25 juillet 2001.
Outre le contingent des travailleuses de fraises saisonnières, l’Espagne abrite 770.523 Marocains, dont 338.952 femmes, qui sont munies d'autorisations de résidence en Espagne, selon les données démographiques de l’Institut espagnol de la statistique (INE), actualisées au 1er janvier 2019. De même, 253.009 Marocains sont affiliés à la sécurité sociale en Espagne à fin janvier 2019.
Toutes ces statistiques et données, puisées dans des sources officielles, démontent les faux préjugés colportés pour accuser souvent les Marocaines de s'introduire de manière irrégulière en Espagne. En traversant le Détroit de Gibraltar, les Marocaines débarquent en Espagne pour résider, travailler ou étudier. Elles sont conscientes, le long de leur séjour, qu'elles seront soumises à la juridiction de l’Etat d’accueil et que leur situation en tant que ressortissantes étrangères sera résolue selon les lois nationales conformément à la réglementation communautaire. Dans ce cas, la «Loi organique sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale», adoptée le 11 janvier 2000, demeure la principale référence pour connaître le cadre légal et les conditions de résidence, de travail et d'insertion sociale en Espagne des citoyens de pays tiers. Les Marocaines sont ainsi conscientes des conditions de leur séjour en Espagne, de leurs droits et de leurs obligations. Le statut de citoyennes de plein droit les place ainsi à l’abri des faux préjugés sur l’immigration.


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