Maroc : Comment mettre fin à la violence contre les femmes ?


Asmaa Bassouri
Lundi 25 Septembre 2017

Exposées dans toutes les cultures à toutes les formes de violences, les femmes issues de pays tiers-mondistes – de culture arabo-musulmane plus particulièrement – demeurent toutefois la cible privilégiée d’une violence prédatrice. Ceci est le cas en l’occurrence des femmes marocaines, dont le calvaire se mesure à des chiffres qui font froid dans le dos, qu’il s’agisse de ceux régulièrement relayés par le Haut-commissariat au Plan (63% des femmes en sont victimes en 2009), ou ceux de l’Observatoire national de la violence contre les femmes (avec une moyenne de 9 actes de violence subis par femme en 2014), ou encore ceux d’organismes internationaux, dont le récent sondage de l’ONU-Femmes où 62% des Marocains sondés déclarent ne pas avoir d’inconvénient à violenter leurs femmes, lesquelles auront pour devoir de supporter cette violence.
Qu’il s’agisse de violences conjugales, familiales ou dans l’espace public, de nature physique, sexuelle, verbale, psychologique ou même économique, la violence est une constante du vécu des Marocaines, n’ayant eu de cesse d’exaspérer au lieu de disparaitre, malgré les efforts déployés par le Maroc pour la tacler. Pourquoi cette aberration se perpétue-t-elle ?
Face à des fléaux sociaux pouvant déboucher sur une délinquance, et avoir des conséquences sur le plan pénal, la réponse législative sera celle qui se mettra le plus en évidence. A cet égard, le Maroc a entamé des réformes successives du Code pénal avec des avancées à célébrer comme l’incrimination du harcèlement sexuel, l’aggravation des sanctions encourues pour viol, ainsi que l’abrogation – après une lutte acharnée de la société civile – de l’alinéa 2 de l’article 475 qui autorisait le violeur à épouser sa victime pour fuir les poursuites. Néanmoins, ce même code comporte toujours des insuffisances qui ne confèreront assurément pas une protection effective aux femmes. Il en est ainsi par exemple de l’absence d’incrimination des violences psychologiques, ou encore du viol conjugal. De même que le crime de viol en tant que tel, y est toujours défini comme attentat aux mœurs non contre la personne. On peut relever aussi un vide juridique quant à l’absence du droit à l’avortement (toujours érigé en infraction pénale), ainsi que l’inexistence de directives à l’intention de la police et de la magistrature, explicitant leurs obligations dans les affaires de violences dont ils sont saisis, entendu que la formation des professionnels qui sont en contact avec les victimes participe de la justice qui sera délivrée à ces dernières, quand elles seront traitées avec tact et dignité.  
Face à cette réforme fragmentée et insatisfaisante du Code pénal, le projet de loi n° 103-13 de lutte contre les violences faites aux femmes – attendu de longue date – sera enfin adopté par le Parlement en juillet 2016. Parmi ses points positifs, on peut citer notamment la punition du mariage forcé, désormais passible de 6 mois à un an d’emprisonnement, ainsi que l’incrimination du chantage matériel au divorce en exigeant des versements, puni de 6 mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 2.000 à 10.000 DH. Pour autant, ledit texte ne poussera pas loin non plus les limites de la réforme eu égard aux insuffisances susindiquées. D’où l’urgence d’une réforme globale et minutieusement conçue, qui n’omettrait aucun aspect.
En effet, avec un courant d’endoctrinements socioculturels si ancrés et si résistants, la loi n’aurait plus tellement force de loi pour être appliquée, mais ce sera plutôt une certaine interprétation de la religion et les mœurs qui l’emportent, faisant de la violence contre les femmes une pratique «normalisée», agissant au vu et au su de tous. D’où l’impossibilité de s’attendre à ce que la seule promulgation de lois déracine ce fléau. Nous pensons disposer de suffisamment de recul et de preuves pour démonter cela, en questionnant, entre autres, le rôle éducatif de la famille et de l’école dont le recul est à déplorer.
En effet, à l’école, aucune éducation aux droits humains et à l’égalité des sexes ne fait partie du contenu dispensé. Les institutions éducatives, tous niveaux confondus (de l’école primaire à l’université) devrait avoir pour vocation de façonner les mentalités de sorte à bannir la violence et promouvoir le civisme. Pour cela, il faut envisager aussi en parallèle une révision des programmes scolaires pour en extraire tous les contenus sexistes et stéréotypes néfastes aux femmes. 
Dans le même ordre d’idées, une réforme du discours religieux devrait impérativement s’effectuer ; ce dernier étant à la fois une matière transversale (enseignée du primaire au bac) et un facteur impactant l’éducation familiale, point de départ du mal, car la société actuelle n’est autre que le reflet des conditionnements subis en famille. D’après l’interprétation actuelle – basée sur une lecture myope et rétrograde du texte sacré – tout est acquis pour l’homme. Sa seule appartenance au sexe masculin lui suffit de motif de supériorité pour s’adjuger le recours à la violence contre un être par définition «déficient en intelligence et en religion». Le portrait dressé de la femme, étant en effet celui d’un être ne pouvant jouir de son libre arbitre (tutelle du père suivie de celle du mari), mais devant être soumis et puni. L’Etat devrait faire preuve de courage et franchir le cap, car il assume bien une part de responsabilité dans l’instrumentalisation de la religion par la gente masculine pour traiter impitoyablement les femmes, et ce en usant lui-même de la religion dans la sphère publique pour justifier certains actes. S’acheminer vers plus de laïcité ne peut que diminuer l’ampleur du fléau, en plus de garantir un vivre-ensemble sain et servir la transition démocratique au Maroc.
Enfin, nous estimons que ni les efforts de l’école, ni ceux de la loi ne sauraient porter leurs fruits sans des médias engagés pour la cause féminine. D’abord, les contenus sexistes doivent être bannis des médias, lesquels doivent être dorénavant tenus comptables pour tout dérapage dans ce sens. Le Code de la presse devrait inclure des sanctions appropriées. Ensuite, ces mêmes médias devraient désormais se mobiliser pour atteindre les foyers, et ce par le biais de spots de sensibilisation, d’émissions-débats… afin de phagocyter progressivement la violence.  

* Doctorante en droit international 
(Université Cadi Ayyad Marrakech)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique


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