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«Marche sur mes yeux» de Serge Michel et Paolo Woods : Portrait de l’Iran contemporain


Mounir Bensalah
Jeudi 16 Septembre 2010

«Marche sur mes yeux» de Serge Michel et Paolo Woods : Portrait de l’Iran contemporain
Serge Michel et Paolo Woods sont journaliste et photographe collaborant avec de prestigieux titres de presse : Le Figaro, Le Monde, Time, Géo, Newsweek, … Tous les deux ont vécu plusieurs années en Iran. Ils se sont associés pour écrire un livre sur le bonheur en Iran. Pour ce faire, ils décident d’arpenter le pays à la rencontre de personnes ordinaires, de décrire leur vécu loin des clichés occidentaux. Seulement, leur dernier voyage en 2009 a coïncidé avec la révolte post-électorale, où ce qu’on appellera le « mouvement vert » qui incarnera une opposition progressiste « sans équivalent au Moyen-Orient ». Ainsi leur ouvrage « Marche sur mes yeux »(*) se divise-t-il en deux parties : une première partie représente un carnet de voyage de ce qu’ils ont observé durant la révolte et une seconde qui est relative à leur projet initial sur le bonheur. L’intérêt majeur de cet ouvrage se trouve dans le ton presque impartial des auteurs se détachant des préjugés de l’Occident.
«Marche sur mes yeux»
mais ne vole pas mon
bulletin de vote !
«L’heure de la marche est facile à deviner : compter trente minutes après l’extinction du réseau de téléphone portable. Quant au lieu, toute la ville est au courant. Non pas grâce à Twitter, Facebook et autres technologies californiennes dont les fondateurs se gargarisent désormais d’être capables de faire tomber une dictature, mais par la plus ancienne et orientale des méthodes : le bouche à oreille. L’histoire jugera, mais c’est en coupant les téléphones que le régime a uni ses opposants, obligeant les Iraniens à se parler alors qu’ils étaient jusque-là réfugiés dans la recherche d’un certain bonheur individuel » (page 86). Nos observateurs se sont noyés dans les foules qui ont envahi Téhéran et les autres grandes villes iraniennes après l’annonce des résultats des élections présidentielles de juin 2009. Jeunes et moins jeunes ont exprimé haut et fort leur colère pour ce qu’ils considèrent comme une « grande manipulation de voix » devant le régime du président ultra-conservateur Ahmadinejad, touché maladivement par la psychose de « la théorie du complot ». Pour les conservateurs, tout est manipulé par « l’Occident mécréant », le « grand Satan » qui vise les idéaux de la révolution iranienne. Après la dictature du Chah, la théocratie totalitaire instaurée par Khomeiny et ses mollahs a exécuté plus de 120.000 opposants. Malgré une tentative d’ouverture menée par le président sortant Khatami, la nature fermée du régime, où le pouvoir ne se trouve pas dans les institutions élues (comme partout dans ce «Grand Moyen Orient »), mais bien dans des cercles ultra-conservateurs des diktats religieux formant la tutelle au nom des valeurs de la révolution.
« En juillet 1999, lors des manifestations étudiantes sur l’avenue Enquelab [révolution], je me souviens des gens qui regardaient passer ces 20 000 jeunes sans bouger de leur fenêtre. Pourquoi ne descendent-ils pas les rejoindre ? me demandais-je. Parce qu’ils ont peur ou parce qu’ils n’ont pas vraiment envie de changer un système dont ils se sont accommodés ? Aujourd’hui, il n’y a personne aux fenêtres, tout le monde est dans la rue. Des mères de famille, des étudiants, des parents et des grands-parents, … des invalides de guerre en chaise roulante, des jeunes filles aux cheveux décolorés et aux grandes lunettes de soleil, … » criaient au président Ahmadinejad, qui a traité ses opposants de «détritus» lors de sa première apparition post-électorale, en chœur :
« Le détritus, c’est toi
La passion, c’est moi,
L’amant désespéré, c’est moi,
La cruauté, c’est toi,
L’aveuglement, c’est toi,
Je suis téméraire et je suis impétueux,
L’Iran est à moi. » (page 84)
Les auteurs narrent dans cette partie, au jour le jour, le déroulement de la plus grande descente dans la rue au Moyen-Orient du 21ème siècle. Les Persans commémorent le texte, pouvant être considéré comme la première charte des droits de l’Homme, gravé il y a 2500 ans sur le cylindre de Cyrus lorsque ce dernier conquiert la Babylone et libère les esclaves juifs.
Le bonheur en Iran, chercher l’intrus !
Reza Mohtashemi, directeur de l’école du rire de Téhéran,  expliquait aux auteurs « qu’un nourrisson rit trois cents fois par jour. Une fois adulte, à supposer qu’il vive dans vos pays développés, il ne rira plus que douze à treize fois par jour. Notre coefficient est un peu inférieur : six à sept fois par jour ». Le peuple persan semble moins gai du fait du poids de l’histoire : invasions, occupations, … qui trahit une humiliation ancrée. En outre, le chiisme est par essence un culte de la tristesse. A titre d’illustration, durant les fêtes religieuses et les deux mois de deuil de l’Imam Hossein, il ne faut pas rire !
Et portant, la joie est humaine. L’ouvrage, à travers ses illustrations photographiques et ses portraits, retrace une forme « ordinaire » du bonheur iranien. Le tapis persan, vieux de trois millénaires illustre bien l’art raffiné de la Perse. L’illustration de l’ouvrage témoigne d’une œuvre artistique d’un tapis iranien transgressant les lois. Pour procurer un sourire volé du commerçant, du visiteur et du futur acquéreur. Pour la jeunesse, chacun trouve son issue de l’oppression régnante. « J’aime le truc des voitures … tu roules, …, par la fenêtre, tu donnes ton numéro à une fille dans une autre voiture. Elle te rappelle, tu t’amuses … Le seul problème, c’est qu’il est difficile, aujourd’hui, de trouver une fille de seize an jolie et encore vierge», raconte Yashar, la vingtaine, issu d’un milieu aisé, au bord de la piscine de la maison parentale. «j’ai jeûné quand j’étais plus jeune, plus maintenant. Mais je fais attention à ne pas boire d’alcool durant le Ramadan », ajoute-t-il. Son invitée Elham, de même âge, surenchérit : «On n’a pas de boite de nuit, mais on organise des fêtes fantastiques. On peut vraiment s’amuser. Mon oncle a vécu aux Etats-Unis pendant trente ans. Quand il est revenu, il a dit waouh, il n’y a rien comme ça là-bas ». Massoud Pashai, 27 ans, le jour de son mariage, avoue aux auteurs : « Ma femme, je l’ai rencontrée d’une façon traditionnelle. Mes parents me l’ont trouvée pour moi … Et vraiment, je suis très heureux de la femme qu’on m’a trouvée », sans parler du  Sigheh, une forme de mariage à durée déterminée !

«Marche sur mes yeux » est édité chez Grasset, en 366 pages illustrées, Mai 2010.
(*) : « Marche sur mes yeux » est une expression persane voulant dire bienvenue.


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