M’hamed Loqmani : Les intellectuels qui ne créent pas le buzz ne sont pas toujours les bienvenus dans les médias


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mardi 21 Mai 2019

Au cours de son parcours riche et varié, Dr M’hamed Loqmani a fait la rencontre de beaucoup de médias, d’abord en tant qu’initiateur d’un journal régional à Fès, puis en tant qu’intervenant dans des émissions
télévisées portant sur les politiques publiques ou sur les contours de la vie politique marocaine. Mais en tant que chercheur et intellectuel, il a eu aussi l’occasion d’évaluer quels
rapports entretiennent
les intellectuels et les médias.
Dans cet entretien, il nous livre
ses analyses et opinions.



Quelle lecture faites-vous du champ médiatique marocain ?
Le champ médiatique marocain est une partie intégrante du champ social, dans sa composition comme dans son mouvement. Il ne fait donc pas exception  à la règle qui caractérise les autres champs, politique, économique, socio-culturel…lesquels traversent une période  de transition marquée par l’incertitude.
Certes, il y a une évolution du point de vue  institutionnel et législatif, mais quant à l’objectif même des médias, à savoir se convertir en un vrai quatrième pouvoir capable d’informer, de sensibiliser, de contrôler, voire de fabriquer ou de façonner une opinion publique dite citoyenne, cela laisse encore à désirer.
Bénéficiant du boom des technologies de l’information et de la communication, les médias marocains tendent à s’émanciper de toutes les barrières, sauf  que le risque  de tomber dans la précipitation et le désarroi persiste. D’où la nécessité de gérer et de canaliser ce changement d’une manière rationnelle.
Malgré ce constat, je suis optimiste et le changement souhaité ne tardera pas à venir. C’est vrai qu’il y a un débat sur ce sujet, mais il est plus souvent difficile d’aboutir à un consensus  autour de cette équation  liant liberté à responsabilité.
De toute façon,  nous n’avons plus le choix devant les impératifs de la mondialisation et il faut aller de l’avant vers l’instauration d’un champ médiatique plus démocratique et professionnel.

Quels rapports avez-vous personnellement avec les médias marocains ?
Comme tout citoyen averti, je m’intéresse beaucoup à tout ce que les médias marocains diffusent, en particulier les événements politico-économiques et culturels. Mais généralement, je suis peu satisfait du produit médiatique national, notamment celui télévisuel, dont le professionnalisme et la qualité laissent beaucoup à désirer. On est vraiment loin du niveau  concurrentiel médiatique que certains pays similaires ont pu atteindre.
Conscients de l’importance que revêtent les médias dans le monde d’aujourd’hui, les pouvoirs publics doivent avoir présent à l’esprit qu’il s’agit là d’un domaine stratégique et non plus sectoriel.

Quelle image les médias nationaux réservent-ils aux intellectuels marocains ?
Le paysage médiatique marocain souffre d’une cooptation, dont les acteurs influents sont constitués le plus souvent de lobbys économico-financiers et politico- idéologiques, mais pas culturels hélas ! Les  intellectuels, eux, y occupent souvent une place marginale.

Les médias marocains sont-ils suffisamment ouverts sur les intellectuels nationaux ?
Avant de vous répondre, il faut se poser la question suivante : Est-ce que les intellectuels, eux-mêmes, sont suffisamment ouverts sur la société ?
Dans un monde  caractérisé par des mutations accélérées, les médias ont profondément changé de logique, de style et d’outils de travail. Ils  ressemblent, aujourd’hui, à ce que j’appellerai (au sens figuré) des médias-sniper qui tirent sur tout ce qui bouge dans la société. Ce qui signifie que si  les intellectuels souhaitent être davantage médiatisés, ils devraient «bouger», c’est-à-dire produire, créer, inventer, communiquer, se mobiliser, avoir le sens de l’imagination, s’impliquer davantage dans l’action sociétale.
Quel regard portez-vous sur les intellectuels marocains fort présents sinon omniprésents dans les médias marocains ?
La société marocaine regorge d’intellectuels brillants et reconnus pour leurs contributions dans différents domaines des sciences humaines. Mais du fait qu’ils s’abstiennent de créer le buzz, ils ne sont pas toujours les bienvenus  dans les médias !
A l’inverse, l’omniprésence de certains intellectuels (le plus souvent contractuels) , interpelle les responsables des médias sur  le manquement aux règles et principes  de diversité, de déontologie, d’équité d’accès à cet espace de communication avec le grand public.  
Recourir au one man show médiatique des intellectuels peut booster le niveau d’audience,  voire rapporter de l’argent, ce qui n’est pas négligeable du tout, à condition que cela ait un sens. Il faut donc accorder une place méritoire aux gens du  savoir. Car ces intellectuels possèdent un atout pour éclairer l’avenir : la vision ! Sans quoi, la société risque de perdre la boussole.


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