Lors d’une rencontre organisée par les amis de Dionysos à Casablanca : Notre confrère Tayeb Houdayfa rend un hommage à l’artiste Moulay Tahar de Jil Jilala

Jeudi 12 Avril 2012

Lors d’une rencontre organisée par les amis de Dionysos  à Casablanca : Notre confrère Tayeb Houdayfa rend un hommage à l’artiste Moulay Tahar de Jil Jilala
La malédiction du grand âge, lorsqu’on en aborde, comme moi, malgré moi, les rivages, est de voir son cœur brusquement converti en nécropole hantée par les spectres solaires de ceux qui ont illuminé notre vie. J’avoue un faible pour les artistes à la voix rare. Par conviction. Je suis persuadé de leur unicité. Car, si le sens de la musique peut se forger, la voix  -charnelle, prenante, bouleversante- demeure un don inestimable que la nature ne prodigue qu’aux élus de toute éternité. Au commencement de l’épopée ghiwanienne, les voix de Boujmiî et de Larbi se passaient le témoin. L’une tutoyait les anges, l’autre, à la consonance noire désespoir, couleur du terreau bouziri, nous faisait tomber des nues pour nous heurter au tragique réel. A la voix tellurique de Mohamed, l’autre Batma, répondait celle, magnétiquement aérienne, de Sousdi. Rouicha, lui, possédait une voix tellement mystique qu’elle faisait communier entre elles les cimes du Moyen et du Haut Atlas.
Ces voix se sont tues. J’en suis le veuf inconsolé. Pour ma consolation, elles se déposent, parfois, sur mes sens orphelins, telle une rosée, au plus calme et au plus profond de la nuit. Aussitôt qu’elles fuguent, je me réenchante par l’écoute recueillie de Moulay Tahar. Je ne m’en décharme jamais, tant la voix du ténor de Jil Jilala est littéralement magique. Cela tient  à son caractère imprévisible. Tantôt, elle vogue sur des climats éthérés, propices au rêve, à l’espérance, à l’illusion, tantôt, elle nous fait buter contre un rocher sur lequel se fracassent nos pieux songes. Au vrai, elle se pose entre ciel et terre, Olympe et Gaia, royaume dionysien et boîte de Pandore. Elle est à l’image de l’amour, dont Jil Jilala disent qu’il se révèle « âgba whdoura » (pente ascendante et descendante). Elle loge surtout dans un entre-deux, situation de l’enfance, cet état auquel nous aspirons après avoir épuisé toutes les possibilités déceptives de l’âge adulte. La voix de Moulay Tahar nous y ramène, nous en fait regoûter les saveurs, parfois orageuses, mais toujours radieuses. «Ma petite maman, je ne suis pas bien sûr d’avoir vécu depuis l’enfance», se plaignait Antoine de Saint-Exupéry, dont l’ombre flotte encore en ce lieu où nous nous trouvons. S’il s’était berné de la voix de Moulay Tahar, il n’aurait jamais été sevré de ce continent merveilleux.

Libé

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