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Levée des brevets sur les vaccins anti-Covid: Un vœu pieux

“La protection de la propriété intellectuelle est source d’innovation”, arguent ceux à qui la suggestion déplaît


Chady Chaabi
Lundi 17 Mai 2021

Les Etats-Unis d’Amérique sont favorables à la levée provisoire des droits de propriété intellectuelle sur le vaccin anti-Covid. Mais ce n’est pas demain la veille que le précieux antidote sera produit à grande échelle, comme s’en sont récemment félicitées, à tort, des associations luttant pour l’accès à la santé au Maroc, dont l’Association marocaine des droits humains (AMDH), ou encore l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH). Associations dont l’optimisme démesuré traduit leur ignorance sur le sujet. En effet, le président américain, Joe Biden, a officiellement donné son accord mercredi dernier. Mais le problème est loin d’être réglé. Au vrai, la situation n’a pas bougé d’un iota. Les règles internationales sur le commerce empêchent encore et toujours de se lancer dans la production d’un médicament breveté. “C’est la première des trois étapes. D’abord, il faut lever les brevets, ensuite, il faut organiser le transfert des technologies et, enfin, il faudra augmenter massivement la capacité de production”, nuance Rachel Cohen, directrice de l’Initiative pour les médicaments et maladies négligées, une ONG américaine, interrogée par la revue scientifique Nature. Dans un sens, l’accord des Etats-Unis d'Amérique n’est pas totalement inutile. Mais ce n’est en réalité, ni plus ni moins, qu’une “annonce de diplomatie publique”. En clair, une manière de subtiliser aux Européens et à la Chine, le totem de solidarité mondiale dont ils jouissent auprès des pays les plus démunis. Mais cela n’a pas empêché certains de tomber dans le panneau. En tout cas pour modifier les règles sur ce qu’on appelle la «propriété intellectuelle », il faut un vote à l’unanimité des 164 pays de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). On en est loin, surtout qu’il suffit d’une seule voix contre pour tout faire capoter. Certes, des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud ont fait en octobre un appel à l’Organisation mondiale du commerce (OTC) pour qu’elle lève cet interdit. Appuyés par 60 autres pays depuis. Mais si l’on écarte les Etats-Unis, les opposants sont de taille. A savoir l’Union européenne, la Grande-Bretagne et le Japon. Preuve des divergences sur le sujet au sein même de l’UE, Emmanuel Macron, le président français, s’est dit favorable, contrairement à l’Allemagne d’Angela Merkel, qui a justifié son opposition en arguant que «la protection de la propriété intellectuelle est source d’innovations». Autrement dit, pour une accélération et une mondialisation de la production de vaccins anti-Covid19, va falloir repasser. De toute façon, produire un vaccin n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Par exemple, pour assister à une telle révolution dans un pays comme le Maroc, il faudra attendre plusieurs années. “Il s’agit d’une stratégie à moyen terme (4 – 5 ans) afin d’optimiser la production de plusieurs vaccins tout au long de l’année, et ce pendant et en dehors des périodes d’épidémie”, a précisé à la MAP le Dr. Kaouthar Lbiati, médecin, spécialiste des politiques de santé internationales (London School of Economics Alumni) et experte auprès de l'Institut marocain d'intelligence stratégique (IMIS). Concrètement, avoir une usine de produits pharmaceutiques n’est pas une garantie. Car l’usine en question ne possède pas forcément l’équipement et l’expertise qui sont nécessaires pour produire un vaccin. En particulier un vaccin à ARN, technologie relativement jeune et utilisée par Pfizer. La société pharmaceutique américaine a déclaré que son vaccin était fait de 280 composés provenant de 86 fournisseurs situés dans 19 pays. De quoi donner la migraine à un doliprane, ne serait-ce que pour constituer la recette de la potion magique. Mais cela restera toujours insuffisant. En plus des brevets, il faudra un transfert de technologie qui est entre les mains des compagnies pharmaceutiques. Ces dernières sont montées au créneau pour afficher leur mécontentement face à l’annonce de Biden qui pourrait “convaincre d’autres pays jusqu’alors réfractaires à l’idée d’adhérer à cette initiative”, estime le Washington Post. Autre hypothèse. Et si tout ce vacarme n’était pas uniquement mû par de la solidarité mais aussi par égoïsme ? On s’explique. L’apparition des nouveaux variants du SARS-CoV-2, plus transmissibles et potentiellement plus résistants aux vaccins, fait planer un danger de résurgence de l’épidémie dans les pays les plus riches. Et pour cause, ils se sont rendu compte qu’en s’accaparant de la sorte les stocks de vaccins disponibles pour protéger leur population au détriment des pays les plus pauvres, ils laissaient en parallèle le champ libre au virus de muter jusqu’à devenir plus fort que les vaccins. “Tous les efforts entrepris dans les pays aisés pour revenir à une vie normale grâce aux campagnes de vaccination auraient été vains. C’est une course contre la montre”, prévient Ellen‘t Hoen, spécialiste américaine des questions de brevets et de politique de santé, dans un article du site économique Barron’s. Puis de rappeler les enjeux : “Pour vacciner au plus vite le monde entier, il faut d’abord augmenter la capacité de production qui est actuellement de 3,5 milliards de doses alors qu’il faudrait en fabriquer 11 milliards pour vacciner (administrer les deux doses) à 70 % de la population (mondiale) et atteindre l’immunité collective”. Mais pour l’instant, on n'en prend pas le chemin. Dans un passé pas si lointain, il y a un épisode qui pourrait donner des idées à certains. Au début des années 2000, l’Afrique du Sud, l’Inde, le Brésil, et d’autres pays du Sud n’ont pas hésité à défier les géants de la pharmacie, en produisant leurs propres médicaments génériques anti-Sida. En 2001, les firmes pharmaceutiques à Pretoria, en Afrique du Sud, ont contre-attaqué en justice, avant de retirer leurs plaintes face au tollé public provoqué. Résultat, les médicaments génériques anti-VIH ont continué à être commercialisés à des prix abordables, sauvant ainsi la vie de milliers de personnes. 


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