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Les raisons d’un ras-le-bol pressant


Hassan Bentaleb
Mercredi 16 Février 2022

Et si c’était le gouvernement qui serait, à l’insu de son plein gré, derrière un “dégage” qui en dit long ?

Les raisons d’un ras-le-bol pressant
#Akhannouch dégage est aujourd’hui le hashtag ou sujet tendance le plus populaire sur Twitter Maroc. Jusqu’à l’écriture de ces lignes, ce hashtag a atteint plus de 7.000 tweets. Il a également fait son entrée sur Facebook. Ses utilisateurs demandent le départ du chef du gouvernement accusé de tous les maux. En effet, on lui reproche la hausse des prix des denrées de première nécessité, l’augmentation de ceux des carburants et l’obligation du pass vaccinal. Sa gestion du secteur agricole en tant qu’ancien ministre de l’Agriculture et ses penchants libéraux ont également été pointés du doigt.

Hashtag de colère
Hicham Attouch, professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat, estime que peu importe la personne ou la partie qui soit derrière ce hashtag, il y a un contexte favorable qui alimente toute sorte de mécontentement contre le gouvernement. « Les prémices d’une telle colère se sont manifestées bien plus avant la diffusion dudit hashtag. Il suffit de se rappeler de la note du HCP concernant l’indice de confiance des ménages (ICM), publiée il y a un mois, et qui fait ressortir que 67,4% des familles déclarent, au T4- 2021, une dégradation du niveau de vie au cours des 12 derniers mois, 20,3% un maintien au même niveau et 12,3% une amélioration. Le solde d’opinion sur l’évolution passée du niveau de vie est resté négatif, à moins 55,2 points, contre moins 41,5 points au trimestre précédent et moins 46,6 points au même trimestre de l’année passée », nous a-t-il indiqué. Et de poursuivre : « Le contexte de formation de ce gouvernement explique également en partie cette lassitude. En effet, la majorité gouvernementale a placé - lors de la campagne électorale et après son investiture - la barre des promesses très haut et cela a créé des attentes et des espérances chez un large pan de la population. Le hic, c’est que ces promesses n’ont pas pris en considération la conjoncture actuelle alors qu’il s’agit d’un gouvernement plutôt technocrate constitué largement d’individus rodés à la planification et à la stratégie ».
De son côté, Mohammed Zaoui, chercheur en sciences politiques, soutient que le hashtag Akhannouch dégage ne reflète pas l’avis de l’ensemble de l’opinion publique nationale, mais traduit un message de malaise et de mécontentement de certains de nos concitoyens face à un contexte économique et social morose, imputé à la mauvaise gestion gouvernementale. « Il est difficile de mesurer avec précision la cote de popularité du chef du gouvernement et de son équipe en l’absence d’un ou plusieurs sondages effectués selon les règles de l’art », nous a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « Il est vrai qu’en quelques mois seulement, le gouvernement d'Akhnnouch a largement entamé son capital sympathie et perdu beaucoup de soutien. Mais cela ne signifie pas la fin du mandat de l’actuel Exécutif et le passage vers de nouvelles élections. Cette hypothèse semble lointaine et irréalisable vu le coût élevé (politique et social) de l’organisation d’un nouveau scrutin ». 
Notre interlocuteur estime que les premiers signes de désaccord et de mécontentement envers l’actuel gouvernement se sont manifestés dès les premières semaines de son investiture en raison d’un certain nombre de décisions jugées impopulaires comme, entre autres, le plafonnement de l'âge d'embauche pour les futurs enseignants et l'obligation du pass vaccinal. « Le manque de communication politique entre le gouvernement et les citoyens, notamment sur certaines questions sensibles et urgentes, a attisé davantage la colère et élargi le gap entre les deux parties», a-t-il noté. Et de rappeler: «La personnalité d’Akhannouch n’a jamais fait l’unanimité. Il y a ceux qui le considèrent comme le chantre du libéralisme sauvage qui endosse parfaitement le costume d’un homme de droite ferme et rigide et ceux qui apprécient son sens des affaires et sa réussite dans le monde du business. Toutefois, cette image a été entamée lors de la campagne de boycott de 2018 des produits Danone, Afriquia et Sidi Ali. Son retour sur la scène politique et sa victoire lors des dernières élections illustrent bien la fébrilité et l’instabilité de l’opinion publique ainsi que les contradictions qui la traversent».

Un mécontentement fondé et compréhensible
Cependant, notre source estime que le mécontentement de nos concitoyens est fondé et compréhensible face à un gouvernement qui peine encore à trouver son rythme de croisière et à répondre aux attentes énormes de la population. « La majorité gouvernementale a promis monts et merveilles. Elle a promis d’augmenter le taux de croissance, de créer un million de postes de travail, d’opérationnaliser la protection sociale, de réduire les disparités spatiales, de réformer le système éducatif et de généraliser l’enseignement primaire. Mais l’ensemble de ces réformes demande du temps et beaucoup de volonté politique. Le hic, c’est que le temps de politique semble long voire très long par rapport aux attentes d’une population qui semble exténuée et en mauvaise posture après les deux mandats du PJD à la tête des commandes du pays», a-t-elle expliqué. Et d’alerter : «La situation risque de s’envenimer davantage avec la sécheresse qui plane sur le pays et le contexte de guerre qui se profile en Ukraine».
Même évaluation de la part de Hicham Attouch qui pense que nous nous enfonçons dans un environnement presque chaotique. D’autant que la loi de Finances 2022 présentée par l’Exécutif repose sur l’hypothèse d’une bonne campagne agricole et un prix bas du pétrole. Des postulats qui sont devenus caducs aujourd’hui au vu de la sécheresse et de la hausse des prix des carburants qui frôlent actuellement les 95 dollars. Ce qui suscite des inquiétudes concernant un éventuel recours du gouvernement à l’endettement pour combler le déficit financier et budgétaire. Pis, la loi de Finances ne contient aucune mesure en faveur des classes moyennes et vulnérables ni pour appuyer la demande en termes fiscal ou salarial. Face à ce contexte, notre interlocuteur a mis en avant la responsabilité du gouvernement dans la gestion de cette conjoncture. « On ne peut pas mettre tout sur le dos de la conjoncture actuelle. On ne peut pas tout justifier par la conjoncture internationale et les chaînes logistiques internationales. En effet, tous les produits ne dépendent pas de l’import. Pour un contexte spécial, il faut des mesures spéciales», a-t-il fait savoir. Et de poursuivre : « Le gouvernement a la possibilité de réagir. Il a une marge de manœuvre sur le plan fiscal via les taxes et impôts et peut intervenir sur les marges et sur la structure des prix. Mais, il refuse de le faire sous prétexte de préserver les équilibres macroéconomiques. Mais est-ce que ces équilibres priment sur le bien-être du citoyen marocain ? », s’est-il demandé. Et de s’interroger encore : « Pourquoi le gouvernement Benkirane a mis en place un mécanisme d’assurance lors de la flambée des prix du pétrole en 2013 et pourquoi ce n’est pas le cas aujourd’hui ? Pourquoi laisse-t-on les citoyens seuls et sans défense face à la flambée des prix ? Et pourquoi les entreprises chargées de la distribution des carburants ne fournissent pas assez d’efforts vu les bénéfices réalisés et au vu de leur responsabilité sociale. Le gouvernement peut également intervenir en encadrant l’anarchie des spéculations et des médiations. Si les marchés sont libéralisés, cela ne signifie pas tolérer l’anarchie».

Absence de communication
Mohammed Zaoui et Hicham Attouch avancent qu’au-delà de ces facteurs objectifs, l’action gouvernementale pèche par l’absence d’une communication claire et crédible. « Le canal de communication gouvernemental emprunte souvent des chemins indirects. Il tient beaucoup au reflexe des communiqués plus qu’autre chose. Ceci d’autant plus que cette communication demeure confuse, marquée par l’absence de la figure du chef du gouvernement souvent en voyage à l’extérieur», a indiqué Hicham Attouch. De son côté, Mohammed Zaoui considère que c’est l’un des points faibles de l’actuel exécutif. « Souvent, on lui reproche son unilatéralisme dans la prise de décisions, le manque de concertation avec les parties intéressées et la logique du fait accompli sans parler du manque de précision et de clarification concernant les décisions prises», a-t-il souligné. Notre source cite, à titre d’exemple, le cas de la hausse des prix des produits de première nécessité. En effet, le chef du gouvernement s’est contenté face au malaise et aux inquiétudes des Marocains quant à la cherté de ces produits, de nier l’extension de ces hausses et d’amoindrir leur impact sur le pouvoir d’achat en déclarant devant les deux chaînes nationales que les prix de certains produits de base sont stables, comme les légumes, les fruits et les viandes. Et que le pétrole et d’autres produits de base connaissent une hausse des prix compte tenu des fluctuations du marché international, en estimant, toutefois, que le pouvoir d’achat du citoyen n’a pas été affecté. « C’est ce genre de propos qui risquent de jeter de l’huile sur le feu », a-t-il conclu. 

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