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Les grandes nacres de Méditerranée à l'agonie


Vendredi 1 Février 2019

La grande nacre de Méditerranée finira-t-elle au musée? Victime d'un parasite identifié en 2016 au large de l'Espagne dont l'expansion fulgurante est favorisée par le réchauffement climatique, ce coquillage, le plus grand au monde après le bénitier tropical, se meurt.
En surface, rien ne laisse deviner l'hécatombe. Mais en profondeur, c'est un champ de coquilles vides qui s'amoncellent là où auparavant les spécimens de ce bivalve en forme de moule géante se dressaient, à la verticale comme des menhirs miniatures, à demi-enfoncés dans le sable, dans les herbiers de posidonie.
Morte, la grande nacre (Pinna nobilis) prend une couleur brunâtre, perd sa chair et ses petits hôtes naturels : crevettes, petits crabes, gorgones oranges.
Olivier Jude, plongeur monégasque qui enchaîne les séances de photos sous-marines pour son site Phoctopus, n'en revient pas: "On n'arrive plus à en trouver une vivante, ça fait peine".
En combinaison noire, l'appareil photo à la main, il émerge de la rade de Villefranche-sur-Mer, dans le sud-est de la France. La baie, relativement bien protégée avec des zones interdites aux mouillages des bateaux, et oxygénée par des courants amenés par le mistral, est prisée des amateurs d'archéologie sous-marine, qui plongent au pied de splendides villas.
Sa collègue de plongée, Lidwine Courard, membre de l'Association NaturDive à Cannes, n'est pas moins inquiète: "Les premières mortalités qu'on a ici sur la Côte d'Azur datent d'octobre (...) Certains disent que c'est peut-être le début de l'extinction d'autres espèces".
La grande nacre est en effet considérée comme un indicateur de la qualité du littoral méditerranéen. Sur la coquille, au cours de sa croissance qui peut aller jusqu'à 45 ans et une taille de 1,20 mètre, elle enregistre tous les paramètres physiques et chimiques du milieu.
"La situation est profondément alarmante", confirme à l'AFP Maria del Mar Otero, experte au Centre de coopération pour la Méditerranée de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sa carte, mise à jour périodiquement depuis le début de la crise, est constellée d'un nombre croissant de points rouges qui correspondent à des taux de mortalité massifs, supérieure à 85%. La côte espagnole en Méditerranée est très touchée, tout comme les Baléares, le sud de Chypre et une partie des côtes turques; la Sicile et la Grèce sont aussi concernées...
"En Espagne, l'espèce est sur le point de disparaître. Et avec l'augmentation de la température de l'eau dans les mois qui viennent, on verra ce qui va se passer dans les zones pas encore affectées comme l'Adriatique", ajoute Mme del Mar Otero. Pour l'instant, "on n'a trouvé aucune parade", indique le biologiste marin français Nardo Vicente, de l'Institut d'océanographie Paul-Ricard, spécialiste de ce coquillage dont la fine barbe, le byssus, aurait servi, selon la légende, à tisser la célèbre Toison d'or de l'Antiquité grecque.
On ne cerne pas encore très bien comment le minuscule protozoaire qui s'attaque aux nacres est arrivé là, ni comment il se transmet. Cet organisme qui répand des spores toxiques est de la famille des hasplosporidiums, qui a décimé l'ostréiculture californienne en 1957.
Retrouvé dans l'appareil digestif de plusieurs nacres mortes, il pourrait avoir été introduit en Méditerranée par les eaux de ballast de navires de commerce, selon l'une des hypothèses.
Plus probablement, le Pr Vicente estime que le réchauffement climatique est en cause: "Vous avez un tas de germes, de virus, de parasites en dormance dans le milieu qui agissent à plein" à cause de l'élévation des températures.
En octobre, raconte-t-il, "j'étais à la réserve naturelle de Scandola en Corse. J'avais marqué un champ d'une quarantaine de spécimens, entre 26 et 40 mètres de profondeur. De bonnes vieilles nacres d'une trentaine d'années, pouvant atteindre 80 cm, que j'observe depuis le début des années 1990. En 2017, le champ était en parfaite santé. Cette année, tout était mort, absolument 100% !", se désole-t-il.


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