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Les enjeux de la littérature maghrébine d’expression française

La littérature maghrébine a été à l'honneur lors du 3ème colloque du roman qui s’est tenu du 13 au 16 décembre à Agadir, à l'initiative de la Ligue des hommes de lettres du Sud


Par Maha Saâïdi et Nouhaila Elkalkouli
Jeudi 19 Décembre 2013

Les enjeux de la littérature maghrébine d’expression française
La littérature maghrébine de langue française est relativement jeune. Elle ne date que d’une soixantaine d’années.  Si certains spécialistes en font remonter la genèse au roman «Le fils du pauvre» de l’Algérien Mouloud Feraoun paru en 1950, d’autres rappellent que le premier écrivain maghrébin à s’être vu décerner un Grand prix littéraire par la colonisation française n’est autre qu’Ahmed Sefrioui  pour son roman «Le chapelet d'ambre» édité en 1949.  
«La Boîte à merveille», son deuxième livre, et «Le passé simple»  de Driss Chraïbi sont d’ailleurs considérés comme les premiers romans marquants de la littérature marocaine de langue française.
Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine et d’autres écrivains algériens qui font partie des pères fondateurs de la littérature maghrébine d’expression française ont mené, à l’instar de Feraoun, Sefrioui et Chraïbi, une réflexion critique sur leurs sociétés respectives doublée d’une prise de conscience identitaire.
Ces mêmes thèmes feront les choux gras de la génération qui leur a succédé. Celle-ci usera néanmoins d’un style moins nuancé et d’une écriture plus virulente. Abdelkbir Khatibi, Mohamed Khaïr-Eddine, Abdelatif Laâbi, Tahar Ben Jelloun,… s’étant trouvés confrontés davantage aux problèmes identitaires et au bilinguisme vont tourner le dos non seulement à l’oralité héritée de nos propres traditions  mais aussi aux techniques narratives classiques.
Considéré comme un auteur difficile, hermétique et même incohérent, Khaïr-Eddine tient, néanmoins, une place à part dans le panthéon des écrivains de son époque. Il pratique, il est vrai, une écriture qui cherche d'abord à dérouter, par le principe de la «guérilla linguistique» proclamée par l'écrivain dès sa venue à l'écriture. Celle-ci s'exerce sur les formes et genres littéraires traditionnels. S'inscrivant dans la mouvance de «Souffles», cette écriture abolit les distinctions classiques entre le poétique, le narratif et le discursif et tend vers la recherche de l'unicité du langage.
Ce dernier sera investi d'un pouvoir multiple et soumis à un travail intense et privilégié. Son écriture  dynamite la notion même d'intrigue, réduite à des bribes de récit à la limite du réel et du fictif pour s’inscrire  dans une modernité scripturale qui met l'accent sur la difficile mise en œuvre du récit et qui traduit dans ses mécanismes et son fonctionnement erratique, un désir de liberté par rapport aux contraintes, un refus de l'absolu du langage et de l'univocité du dire, une recherche enfin de la polysémie, du sens ouvert et du pluriel
La troisième génération d’écrivains maghrébins d’expression française a posé, pour sa part, un regard lucide sur la complexité des réalités locales dans leurs relations avec le monde extérieur, avec la France et avec la langue française. Les écrivains les plus en vue de cette nouvelle génération sont Rachid Mimouni, Fouad Laroui, Tahar Djaout, Yasmina Khadra, etc.
L’antagonisme langue arabe / langue française, les conflits identitaires et la crainte de la dépossession de soi n’étant plus des thèmes dans l’air du temps, la tendance que ces derniers  ont suivie était plutôt à l’apaisement et à une écriture plus linéaire. C’est le cas, par exemple, chez Youssouf Amine El Alami avec «Un Marocain à New-York» ou chez Fouad Laroui avec «Les dents du topographe».
Vers la fin du siècle dernier, la littérature maghrébine et particulièrement marocaine d’expression française,  a ainsi évolué sur deux voix différentes. D'un côté, elle a élargi son champ d'investigation et, de l'autre, celui de l’appartenance sociale de ses écrivains. La femme y a fait son entrée durant les années 80 grâce au travail, d’universitaires marocaines comme Fatima Mernissi (Le Maroc raconté par ses femmes, 1984) et Soumaya Naaman-Guessous (Au-delà de toute pudeur, 1989), ainsi que de romancières telles que Noufissa Sbaï, Nouzha El Fassi, Fatiha Boucetta,   Bahaa Trabelsi et tant d’autres. Les anciens détenus politiques leur emboiteront le pas durant les années 90.
Parallèlement à cette littérature du «témoignage», une production dont le motif principal est l’exil s’est développée grâce à des écrivains maghrébins de la diaspora.
Parmi ces écrivains figurent ceux qu’on appelle « beurs ». Les écrits d’Azouz Begag, Mehdi Charef, Faïza Guène et Akli Tadjer diffèrent quelque peu de ceux de leurs prédécesseurs, mais ils en ont les mêmes ingrédients.
Aujourd’hui, malgré un contexte linguistique marqué par le reflux du français et le prix prohibitif des livres importés, le désir d’écrire dans cette langue qui est parvenue à  se frayer un chemin  en tant que trait d'union entre des civilisations différentes et historiquement concurrentes et même antagoniques demeure vivace.
Enfant terrible qui a toujours marché à l'effraction, à la transgression, à la libération, la littérature maghrébine de langue française a su affirmer - par delà la détermination linguistique qui menaçait de l'enfermer dans un caractère exotique - son irréductible nécessité. Elle a, à présent, démontré qu'elle a assimilé - et dépassé - son double héritage et que si elle lui a payé son tribut, ce n'est peut-être que pour mieux en prendre congé !
      
* Elèves en 1ème année du
baccalauréat sciences
mathématiques au Lycée Elbilia

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