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Les désillusions de la méritocratie : L’école au ban de la société


Mohamed SAKHI
Samedi 9 Mai 2009

Les désillusions de la méritocratie : L’école au ban de la société
Privilégiées ou condamnées ? Les classes moyennes ne connaissent certes pas les difficultés des périphéries les plus déshéritées (pauvreté, exclusion, relégation...).
Mais leur apparent confort dissimule un cruel déficit d’avenir. Tandis que nous nous inquiétons de ses marges, c’est peut-être en son cœur que la société marocaine se désagrège.
Où est ce cœur ? Il ne s’agit pas seulement d’un «juste milieu» entre l’élite et les classes populaires. La centralité des classes moyennes tient d’abord à l’imaginaire de progrès et d’émancipation qui leur fut longtemps associé et dont témoignent les grandes conquêtes sociétales des années antérieures : accès au logement, départs en vacances, acquisition d’une automobile, contraception, …, et, surtout, accès aux meilleures écoles supérieures possibles.
Paradoxalement et alors que le système d’enseignement est volontiers critiqué, il semble évident pour beaucoup que «toujours plus» d’études constitue un gage de progrès et de justice sociale.
Grâce à des études plus longues, des qualifications scolaires plus élevées, une population diplômée plus nombreuse, nous serions individuellement mieux armés pour entrer dans la vie et collectivement mieux préparés à affronter l’avenir.
Nous pourrions aussi mieux alimenter en ressources humaines, ces classes moyennes qui fondent la stabilité des pays et impulsent positivement leur progrès économique et social.  Qui oserait s’élever contre cette conviction serait immédiatement considéré comme rétrograde.
Pourtant cette conviction fait partie des idées reçues que l’épreuve des faits conduit à une disparition sans sommation.
En effet, il devient chaque jour plus incertain qu’en persévérant sur la voie d’études qui conduisent partout sauf au salariat, nous ne déboucherons peut-être jamais sur le progrès et  la justice sociale.
Au contraire, il est à craindre que cette fuite en avant ne conduise à esquiver la question brûlante des modes d’entrée dans la vie des jeunes d’aujourd’hui et du rôle de l’école en la matière.
Néanmoins, il importe de se demander pourquoi les qualifications scolaires s’imposent toujours comme des politiques consensuelles qui confèrent à l’école et à ses diplômes une emprise très forte sur les destinées individuelles.
Cette emprise est en fait le lot de toutes les sociétés modernes, confrontées à la double tâche d’introduire dans la vie les jeunes générations et de les répartir dans les différentes professions, à même de leur permettre de se réaliser et de s’épanouir.
L’affirmation de l’idéal égalitaire et la complexification de la division du travail ont progressivement rendu intenable une gestion purement privée de ces deux processus, et inacceptables les inégalités qui en découlaient.
Pour résoudre la tension entre des individus devenus égaux en droit et des positions sociales de plus en plus diversifiées et inégales, la méritocratie s’est progressivement imposée à travers le monde comme idéologie fondatrice des sociétés démocratiques.
L’égalité politique est censée se doubler d’une égalité, non pas dans les positions sociales et les divers avantages qui leur sont attachés, mais dans les chances qu’ont les individus d’y accéder, sur la base de leurs aspirations et de leurs qualités personnelles.
La place que l’on occupe in fine dans la division sociale du travail doit dépendre, non plus de facteurs hérités, mais de ressources propres, acquises et mobilisées par l’individu lui-même : le mérite en devient le grand ordonnateur.
Au Maroc, plusieurs générations l’ont cru. Mais leur rêve n’a duré que ce que vivent les roses. Il s’est vite heurté au fait que, chez-nous, le principe fondateur de l’évolution sociale est à rechercher ailleurs que sur les bancs de nos écoles qui sont condamnées, de plus en plus, à subir l’outrage des choix stratégiques et des hommes.
L’ascenseur social marocain le plus performant a la couleur du sang et les manières policées des gens qui savent faire montre de la plus parfaite des obéissances et de l’inféodation la plus servile. C’est en lui que réside le principal mécanisme de reproduction des élites, toutes classes confondues.


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