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Les dernières heures d'Ali, jeune berger palestinien tué lors de heurts avec l'armée israélienne


Libé
Mercredi 9 Décembre 2020

Ce matin-là, Ali avait dit à sa mère: "J'espère quelque chose de spécial pour mon anniversaire". Nihad, sa maman, avait préparé le maqlouba, plat palestinien traditionnel de riz et d'agneau, mis de côté des cadeaux, mais Ali n'est jamais revenu. Depuis, le village palestinien d'AlMughayyir est en deuil. Sur les voitures, les murs et jusqu'aux fils qui pendent au-dessus des rues s'accrochent le regard d'Ali Abou Aliya. Si l'armée israélienne a annoncé l'ouverture d'une enquête, l'affaire est entendue à Al-Mughayyir: le chérubin est devenu "martyr", un "héros" malgré lui, tué par l'armée israélienne lors de heurts, le jour de ses 15 ans. La journée avait pourtant bien commencé pour cet écolier sociable, brillant, pieux, prêt à aider sa famille, bergers de père en fils, joueur de foot fan du Real Madrid et de son ex-superstar Cristiano Ronaldo, affirment famille et amis. Ce vendredi 4 décembre, Ali s'est levé vers 05H00. Son grand-père, Nasser, petit homme auréolé d'un keffieh vissé sur la tête, lui a demandé d'apporter de la nourriture à un oncle qui gardait au loin les moutons. A dos d'âne, Ali a traversé la plaine quadrillée d'oliviers aux reflets argentés, fendu des champs à la terre retournée, noirâtre et fertile, avant de rentrer au village cinq heures plus tard. Nihad, sa mère, s'était mise à lui cuisiner un maqlouba, préparait des cadeaux et la maison pour une fête de famille prévue en fin de journée. "A un moment donné, j'ai entendu des tirs. J'ai regardé autour de moi mais Ali n'était pas là", confie à l'AFP son père, Ayman, en roulant les billes de son tasbih, un chapelet. En Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967 par Israël, les vendredis après-midi sont rythmés par des accrochages épars entre forces israéliennes et manifestants palestiniens. Quelque 30 contestataires ici, 50 là, 100 au loin: ces rassemblements ne drainent souvent pas grande foule mais peuvent à l'occasion dégénérer. A Al-Mughayyir, hameau de 4.000 âmes où, selon le grand-père Nasser, "la famille fait paître des moutons depuis que Dieu a créé la Terre", les rapports sont conflictuels avec la colonie sauvage d'Adei Ad située à proximité. Pour empêcher que des habitants d'Al-Mughayyir aillent au devant des colons, des soldats israéliens et des membres de la police des frontières se positionnent à la sortie du village. Vendredi dernier, ils étaient une dizaine de membres des forces israéliennes, selon des témoins, face à une trentaine de manifestants, dont certains leur jetaient des pierres. Ali était sur place. "C'était la première fois qu'il y allait", affirme son père. "D'un coup, il a crié « batni » ("mon ventre", en arabe) et s'est effondré", raconte Naël Ahmed, 14 ans, camarade de classe et alors à quelques mètres d'Ali. "Un soldat était là, penché sur cette roche, lorsqu'il a tiré. Ali, lui, était là", dit-il en pointant à environ 35 mètres en contrebas. L'adolescent a aussitôt été transporté en voiture jusqu'au village voisin de Turmus Ayya. "Quand j'ai vu la voiture filer, je me suis dit: « c'est l'un de mes enfants »", souffle Ayman dans sa barbe charbonneuse. Des images filmées par un témoin montrent le garçon allongé sur un banc, un point rouge-noir vif à environ 5-7 cm au-dessus de son nombril, et entouré d'hommes qui l'appellent à rester conscient. De Turmus Ayya, l'adolescent a été transporté à un hôpital de Ramallah, à une vingtaine de km du village. "J'étais avec lui à l'hôpital, j'espérais qu'il survive, j'espérais, j'espérais", relate son père. Mais le pronostic est tombé. Ali Ayman Nasser Abou Aliya, jeune berger à mi-temps de Cisjordanie, est décédé d'un tir de "balle réelle" dans le ventre, selon le ministère palestinien de la Santé, qui avait alors parlé d'un adolescent de 13 ans. L'armée israélienne, qui dit avoir utilisé des "moyens de dispersion de foule", avait soutenu vendredi que les informations faisant état d'un usage de balles réelles n'étaient "pas vraies". Interrogée à nouveau par l'AFP sur les munitions précises utilisées par ses soldats lors de cette manifestation, l'armée a finalement reconnu l'usage de balles de calibre .22 de la compagnie américaine Ruger, notamment. "A la suite de cet incident, une enquête a été diligentée par la police militaire", a-t-elle ajouté. Mais "une enquête ne me ramènera pas mon fils", murmure Ayman, à l'entrée du village où la fête prévue s'est muée en pleurs


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