Les contraintes impactantes du mécanisme d’ajustement carbone dicté par l’UE : Sacré challenge pour le Maroc


Hassan Bentaleb
Jeudi 25 Septembre 2025

Les contraintes impactantes du mécanisme d’ajustement carbone dicté par l’UE : Sacré challenge pour le Maroc
Le Maroc face à un défi de taille pour ses exportations
 
« Le diagnostic partagé par les différentes parties prenantes, bien qu’utile en tant que constat initial, soulève en réalité plusieurs interrogations quant à la capacité réelle du Maroc à mettre en œuvre une stratégie intégrée et coordonnée pour répondre aux exigences croissantes du mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières ». C’est ce qui ressort de l’allocution du président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), lors d’une rencontre organisée hier et destinée à  présenter les conclusions de l’avis du Conseil sur le thème : «Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne et son impact sur les exportations marocaines ».

En d’autres termes, le président du CESE laisse penser que si l’idée de renforcer la préparation des exportateurs nationaux et d’accélérer la décarbonation des secteurs énergétiques et industriels semble pertinente, toutefois, le véritable défi réside dans la traduction concrète de ces ambitions en actions effectives, coordonnées et suffisamment financées, ce qui reste encore largement problématique.
 
Vœu pieux
 
En effet, et toujours selon le CESE, la promesse de mobiliser les financements nécessaires, de renforcer les capacités techniques et institutionnelles, ainsi que de développer la coopération régionale et internationale, apparaît souvent comme un vœu pieux. D’autant  que les obstacles administratifs, le manque de formation spécialisée et l’insuffisance des infrastructures constituent des freins majeurs à une adaptation rapide et efficace des filières productives.
 
Déclaration d’intention
 
Par ailleurs, le président du CESE indique que « si l’objectif affiché de positionner le Maroc comme une base de production et d’exportation de produits bas-carbone est ambitieux, il reste la question du calendrier et des priorités économiques nationales ». Cette ambition, précise-t-il, doit en effet être confrontée à la réalité d’un tissu industriel souvent dominé par des PME peu équipées pour opérer une transition écologique rapide et coûteuse, ainsi qu’à une concurrence internationale renforcée sur ces nouveaux segments de marché «verts». Pour certains industriels, le risque est que cette vision reste davantage une déclaration d’intention plutôt qu’une stratégie opérationnelle claire, à même de garantir un véritable avantage compétitif.

Lesdits industriels soutiennent que «si le Conseil a formulé un ensemble de recommandations, le peu d’éléments concrets présentés jusqu’ici sur leur mise en œuvre réelle peut susciter un certain scepticisme ». D’après eux, les rapports et présentations doivent impérativement dépasser les grandes lignes pour détailler des trajectoires précises, des outils financiers innovants, des mécanismes d’incitation claire et des indicateurs de suivi rigoureux. Sans cela, le plan risque de rester une suite de déclarations ambitieuses sans impact tangible sur le terrain.
 
Contexte difficile
 
Pour certains spécialistes, la problématique du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE et son impact sur les exportations marocaines s’inscrivent dans un contexte marqué par de nombreuses difficultés sur le plan national, comme le révèle une récente mission d’évaluation de la Cour des comptes couvrant la période 2014-2023. Cette mission a analysé la capacité du département du développement durable (DDD) à atteindre les objectifs fixés en matière de lutte contre le changement climatique (CC), tout en soulignant plusieurs lacunes notables qui risquent de compromettre la préparation du pays face aux exigences européennes.

Tout d’abord, concernant le cadre juridique et la gouvernance des actions climatiques, la Cour souligne que ce cadre reste « incomplet », faute de définir clairement des objectifs nationaux précis ainsi que les responsabilités des différentes parties prenantes aux niveaux national et territorial. De surcroît, la création de la Commission nationale du changement climatique et de la diversité biologique, censée piloter la mise en œuvre de la politique nationale, accuse un retard de plus de six ans et reste aujourd’hui inefficace en raison de l’absence d’une définition claire de sa composition, de ses prérogatives et de ses moyens. La surabondance de membres, parfois privés de réels pouvoirs décisionnels, entrave son fonctionnement.

Du côté des mécanismes de suivi, le DDD s’appuie sur plusieurs outils qui pourtant «demeurent non interconnectés» et ne s’inscrivent pas dans un système global intégré de collecte et de diffusion d’information. Ces systèmes pâtissent d’une absence de pilotage stratégique à même d’accompagner l’ensemble des acteurs concernés dans la conduite du changement. En outre, les actions de communication autour du changement climatique restent sporadiques et non coordonnées, faute d’une stratégie claire.

Sur le plan stratégique, plusieurs documents et plans ont été élaborés entre 2014 et 2022, allant de la contribution déterminée au niveau national (CDN) aux stratégies bas-carbone et d’adaptation. Néanmoins, ces textes restent très vagues quant à leurs indicateurs de performance, à leur suivi, et à leur évaluation. La dernière CDN actualisée en 2021 n’a d’ailleurs pas été précédée d’un bilan rigoureux de celle de 2016, laissant planer un flou sur la mise en œuvre effective. Par ailleurs, ces plans se limitent souvent à des orientations générales, sans déclinaison opérationnelle claire assortie d’échéances et de budgets précis, ni une véritable concertation interinstitutionnelle, notamment avec le ministère de l’Economie et des Finances, ce qui nuit à la cohérence globale.

Au niveau territorial, les Plans climat territoriaux (PCT) n’ont pas apporté une valeur ajoutée notable, en raison d’une faible implication des acteurs locaux clés et d’un alignement insuffisant avec les spécificités régionales. Le caractère générique de ces plans fait que certaines régions, pourtant écologiquement diverses, se voient proposer des adaptations quasiment identiques, témoignant d’un manque d’adaptation fine.

Enfin, le volet financier révèle des insuffisances criantes : le Maroc ne dispose pas d’une classification claire des investissements environnementaux, ni d’un budget sensible au climat. L’estimation des besoins en financement reste sans calendrier précis de mobilisation, tandis que les données sur les dépenses climatiques nationales sont peu actualisées et incomplètes. Par ailleurs, la contribution du secteur privé est encore timide, puisqu’elle ne représente que 23% des financements climatiques mobilisés entre 2011 et 2018. Le financement international demeure également insuffisant, notamment pour l’adaptation, avec moins de 2,1 milliards USD mobilisés entre 2017 et 2021, bien en deçà des besoins estimés à environ 35 milliards USD selon la CDN de 2016.
 
Défi majeur
 
Dans ce contexte d’insuffisances structurelles et opérationnelles, les experts avancent que « la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne constitue un défi majeur pour le Maroc. Sans une gouvernance renforcée, des plans d’action détaillés et suivis, ainsi qu’une mobilisation efficace des ressources financières et humaines, le pays risque de ne pas pouvoir répondre aux exigences de ce mécanisme tout en préservant « la compétitivité de ses secteurs exportateurs ». « Ainsi, concluent-ils, la trajectoire vers une économie bas-carbone demande plus que des déclarations d’intentions : elle nécessite une réforme profonde des institutions, une réelle intégration des plans et des acteurs, et une stratégie de financement crédible et transparente. Cela est indispensable pour que le Maroc puisse non seulement atténuer ses émissions, mais aussi maintenir sa place dans un environnement commercial européen de plus en plus exigeant ».

Hassan Bentaleb


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