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Les "avatars" de la démocratie européenne


Par Sophie Quintin-Adali *
Mercredi 1 Septembre 2010

Les "avatars" de la démocratie européenne
La période estivale est toujours un moment idéal pour les administrations et les législateurs pour introduire des mesures impopulaires ou lancer des projets ridicules. Voilà désormais "Citzalia", un jeu de simulation, outil de communication le plus récent du Parlement européen. Lorsque vous croyiez que les choses ne pouvaient pas être plus déconnectées de la réalité, elles deviennent littéralement plus "virtuelles". Bientôt des avatars-citoyens pourront pratiquer la " démocratie en action " dans la réalité virtuelle. On ne s'est pas penché sérieusement sur le déficit démocratique, mais l'Union européenne est peut-être sur le point d'entrer dans une nouvelle dimension : la démocratie virtuelle.
Après l'échec de sa télévision en ligne "Europarl" (C-span, version UE), le Parlement se prépare à lancer "Citzalia", une "plateforme" éducative décrite comme un " monde en 3D qui capture l'essence même du Parlement européen". Ainsi, à travers le "jeu de rôle" et le "networking social", les avatars des citoyens auront l'occasion de se balader dans les couloirs du pouvoir nébuleux de Bruxelles et d'interagir avec des avatars-députés. Le journaliste britannique Christopher Booker a rapidement repéré l'ironie et établi un parallèle avec la situation au Royaume-Uni dans le cadre de l'actuelle coalition. "Nous nous baladons, faisons du networking, débattons des questions de la journée, proposons même une législation. Mais, comme avec ce jeu vidéo, c'est une comédie vide" (Daily Telegraph, 08/07/2010).
On peut supposer que le but - à 275.000 € - est de faire la lumière sur le rôle extrêmement important de la législature de l'UE, sans laquelle il n'y aurait pas de démocratie digne de ce nom. Avec une faible participation record lors des dernières élections parlementaires (2009, 43%), la situation devient désespérée. Franchement, l'idée d'avatars-citoyens lancés dans les couloirs virtuels du pouvoir pour essayer de comprendre le processus de "co-décision" législatif donne le tourni. Bonne chance aux joueurs dans la complexité des arcanes de consultations entre la Commission, le Conseil, le Parlement et la culture des tractations derrière les fameuses "portes closes". Dans le cadre du traité de Lisbonne, une nouvelle procédure de consultation avec les 27 parlements nationaux (l'" initiative Barroso") doit ajouter au fun bureaucratique.
Exposer les débats ennuyeux, au taux de présence très faible et entièrement "dirigés", dans l'hémicycle serait dans l'intérêt de la transparence. Sans parler du nomadisme scandaleux du Parlement avec sa transhumance épique entre Strasbourg et Bruxelles (coût annuel, 200 millions €). Mais trop de "réalisme" pourrait désorienter les avatars-citoyens qui, une fois de retour dans le monde réel, jugeraient totalement justifié de demander des comptes à leurs députés européens - s'ils peuvent les trouver. Ainsi, l'expérience virtuelle est certainement " idéalisée ". Pour l'euro-élite, la ligne entre information et propagande n'est pas seulement " mince ", elle est le plus souvent pratiquement invisible. Le rapport du think tank suédois Timbro, "le fardeau de l'Union Européenne", accuse l'UE de " créer une machine de propagande " (EU Observer, 29/07/2009).
L'" initiative citoyenne " (article 11) du traité de Lisbonne devrait figurer en bonne place de manière compensatoire. Sur la planète Europe, l'initiative visant à renforcer la participation des citoyens en leur permettant de proposer une législation est désespérément embourbée dans la paperasserie et la controverse. Elle est lentement mais sûrement bureaucratisée au point d'être un non-sens. La Commission non-élue est le seul arbitre pour déterminer parmi les propositions ce qui est valide et ce qui est " stupide". La vérité est que les élus sont confinés à un travail d'apposition du tampon avec le droit de faire à l'occasion des " caprices dilatoires " pour gagner leurs titres de gardiens de l'Euro-démocratie. Le Financial Times allemand a décrit le processus législatif comme un exemple de "démocratie dirigée" (04/03/2010), un terme habituellement associé à la Russie.
Oubliez l'avatar- citoyen. Pour vraiment apprendre comment tout cela fonctionne, il devrait y avoir une option pour utiliser un avatar-lobbyiste. Après tout, les groupes d'intérêt sont idéalement appropriés pour la décision politique européenne à plusieurs couches et menée par le consensus. Prenez la sphère de la politique environnementale. Elle a peu avoir avec l'utopique communauté N'avi de la planète Pandora. Derrière le discours officiel de "l'écologisation de notre économie" et "la préservation des générations futures" (et des portes closes), les lobbies verts sont très actifs. Mais pas seulement pour nous sauver de l'éco-Armageddon. Les amis de Gaia ont beaucoup d'amis à Bruxelles qui leur allouent des fonds. Comme le montre l'étude de l'International Policy Network "les Amis de l'Union européenne" (03/08/2010), les ONG environnementales sont subventionnées afin de… faire du lobbying pour davantage de fonds et pour fournir de l'expertise. Ce cycle intéressé sape le processus démocratique.
La démocratie " dirigée ", réelle ou virtuelle, est une entreprise risquée. Les citoyens - comme les avatars - peuvent être imprévisibles et inhabituellement ingrats. En Europe, la propension des premiers à se rebeller en donnant la mauvaise réponse (des votes négatifs ou de faibles taux de participation) au modèle unique de "démocratie du oui uniquement" est amplement démontrée. Les concepteurs de jeux insistent qu'il n'y aura pas de censure (The Guardian, 08/06/2010). Ainsi peut-être une formule pour une Europe plus libre pourrait effectivement sortir d'une idée stupide, car dans l'UE réelle, tout ce que nous avons est toujours davantage de déficit démocratique.

* Article publié en collaboration avec www.unmondelibre.org



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