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Les pays en crise, épicentres des drames migratoires
Les données de l’OIM révèlent un fait particulièrement alarmant : plus de la moitié des décès (54%) se sont produits à l’intérieur ou aux frontières de pays en situation de crise, c’est-à-dire des Etats touchés par des conflits armés, des catastrophes naturelles ou des crises socio-économiques majeures. Par ailleurs, 27% des migrants décédés ou portés disparus provenaient eux-mêmes de pays en crise, confirmant l'interaction tragique entre la fragilité des Etats d'origine et les dangers rencontrés durant les parcours migratoires.
Parmi les pays les plus concernés figurent la Libye, l’Iran et le Myanmar, où des milliers de vies ont été perdues. Les Afghans, les Syriens et les Rohingyas comptent parmi les principales nationalités des migrants disparus, illustrant le poids disproportionné des crises humanitaires dans la dynamique mortifère de la migration contemporaine.
« La forte représentation de nationalités telles que les Afghans, Syriens et Rohingyas ne fait que faire écho à une réalité bien établie par la littérature : les migrations à risques dont il est ici question relèvent le plus souvent de la contrainte. Ce ne sont pas des populations qui choisissent de migrer, mais des personnes dans l’impossibilité de rester sur place : guerre, persécutions, effondrement des conditions d’existence. Ce que l’on pourrait désigner comme « migrations de survie », au même titre que celles des migrants climatiques, obligent des personnes à emprunter des voies informelles, sans protection ni cadre juridique, mettant ainsi leurs vies en danger», nous a expliqué Said Naji, chercheur en migration. Et d’ajouter : «L’affirmation selon laquelle 54% des décès se produisent à l’intérieur ou aux frontières de pays en crise, dessine une spatialisation du danger migratoire. Or les zones de transit ne sont pas neutres, elles sont souvent elles-mêmes instables. La Libye, à la fois point de départ et zone de rétention violente, illustre la conséquence des effets cumulatifs d’un effondrement étatique, d’une situation d’exploitation et d’absence de protection. Cette dynamique témoigne d’une double vulnérabilité : les migrants sont victimes des causes qui les poussent à quitter leur pays comme du contexte par lequel ils transitent ».
En outre, notre interlocuteur nous a indiqué que le pourcentage des migrants disparus, à travers les pays touchés par une crise, est probablement sous-évalué à 27%. Selon lui, un grand nombre de décès échappent au champ du décompte, notamment ceux intervenant dans les déserts (Sahara), en mer (Méditerranée, golfe du Bengale), dans les forêts des zones frontalières. « Les données de l’OIM, pourtant indispensables, rendent donc compte d’un drame plus large, souvent masqué. Cela pose la question du droit des familles à la vérité, et d’un renforcement des outils d’identification des corps ainsi que de documentation des disparitions », a-t-il souligné.
Une hausse inquiétante depuis 2020
Les données de l’OIM révèlent également que, depuis 2020, le nombre de migrants disparus augmente chaque année, une tendance confirmée par les chiffres record de 2023 et 2024. Cette progression inquiétante s’accompagne d’un élargissement géographique du phénomène : l’Afrique, l’Asie, l’Europe et les Caraïbes ont enregistré en 2024 leur plus grand nombre de décès liés à la migration depuis que des données sont collectées.
Les statistiques de 2024 font également état d’au moins 773 femmes, 3.084 hommes et 480 enfants décédés, bien que la baisse du nombre de profils identifiés par âge et sexe laisse supposer une augmentation des cas non identifiés, rendant le bilan potentiellement plus lourd encore.
La Méditerranée centrale, route la plus meurtrière
En 2024, la Méditerranée a représenté à elle seule plus d’un quart des décès documentés dans le monde, avec 2.360 morts, dont plus de 1.700 sur la seule route centrale reliant la Libye ou la Tunisie à l’Italie. Le taux de mortalité y a atteint un sommet, avec une personne sur 120 périssant lors de la traversée, soit le plus fort taux depuis 2021. Ce drame s’est aggravé malgré une baisse des arrivées en Europe (-31%) et des interceptions par les autorités d’Afrique du Nord et turques (-19%).
Des phénomènes comme les «naufrages invisibles», où des embarcations disparaissent sans laisser de trace, continuent de compliquer l’évaluation réelle de la mortalité en mer. En 2024, au moins 103 corps ont été retrouvés sur les côtes nord-africaines sans lien avec un naufrage connu, témoignant de l’ampleur probable des pertes non comptabilisées.
Les effets mortifères des crises sur la migration
Les causes des décès varient fortement selon le contexte, avec des formes de violence particulièrement présentes dans les pays en crise (10% des décès contre 4% dans les pays stables), et un nombre accru de décès dus à des maladies ou au manque d’accès aux soins de santé (6% contre 1,5% hors des zones de crise). Ces chiffres traduisent un environnement migratoire profondément inégal, où la vulnérabilité des migrants est exacerbée par l'instabilité politique, la pauvreté et l'absence de systèmes de protection.
«Ces données révèlent qu’il n’y a pas de «mort migratoire» homogène car les causes du décès diffèrent selon la stabilité du pays de transit ou dans lequel les migrantes et migrants pourraient se rendre. On assiste alors à une déconstruction de la cartographie des risques, propice à la mort migratoire », précise notre source. Et de poursuivre : « Cette nécessaire prise en compte de la différenciation des causes de décès est essentielle pour construire des réponses contextualisées et non des approches systémiques globales ».
Un appel urgent à des réponses internationales
Face à ces constats, l’OIM insiste sur l’urgence d’une réponse internationale cohérente et durable. L'augmentation du nombre de décès et la part croissante de migrants issus ou traversant des pays en crise démontrent la nécessité de renforcer les voies de migration sûres et régulières. En l’absence de ces alternatives, des millions de personnes sont contraintes d’emprunter des itinéraires dangereux, alimentant les réseaux de passeurs et les trafics humains.
« Le lien établi entre vulnérabilité des Etats d’origine et mortalité migratoire ouvre une réflexion plus large sur les responsabilités. Ces morts ne sont pas le résultat du hasard ou de la responsabilité individuelle. Elles sont le produit direct d’un système international inégalitaire, d’un encadrement juridico-politique défaillant des migrations irrégulières, et de l’absence de création de voies sûres et légales pour des populations en détresse », observe Said Naji. Et de conclure : « Cette analyse doit inciter à repenser les politiques de contrôle migratoire qui prévalent actuellement, et qui sont plutôt centrées sur la dissuasion et la sécurisation des frontières. Or, il est urgent de rappeler que les migrants disparus sont pour la plupart issus de contextes de crise, et qu’ils sont spécifiquement exposés à la mort. Réduire la mortalité migratoire passe par la stabilisation des Etats fragiles, mais aussi par la mise en place de corridors humanitaires, l’effectivité du droit au mouvement, et la réforme du dispositif de protection internationale ».
Hassan Bentaleb