Le torchon brûle entre le gouvernement français et le CFCM


Rachid Meftah
Mardi 14 Décembre 2021

Polémique institutionnelle opposant conceptions représentation du culte musulman et représentation des musulmans de France

Invité de l’émission «Le grand jury» (RTL-LCI- Le Figaro), le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré dimanche: «Aujourd’hui le CFCM, c’est-à-dire la représentation de l’islam consulaire est morte. Le CFCM (Conseil français du culte musulman), pour les pouvoirs publics, pour la république française, n’existe plus, n’est pas l’interlocuteur de la République».
Aussitôt, le président dudit Conseil, Mohammed Moussaoui, a vivement réagi en dénonçant lundi, dans un communiqué rendu public, la déclaration du responsable gouvernemental, la jugeant «inacceptable» et «pas justifiée».
«Cette déclaration n’est pas acceptable ni sur la forme ni sur le fond», a-t-il répondu en relevant que «des propos de cette gravité ne peuvent être tenus par un ministre de la République dans un langage approximatif, au détour d’une réponse à une question d’un journaliste», car, a-t-il indiqué, «la rupture unilatérale du dialogue entre les pouvoirs publics et l’instance représentative du culte musulman n’a jamais été signifiée au CFCM».
Le Conseil français du culte musulman (avec ses conseils régionaux) a été créé en 2003 pour être l’interlocuteur du gouvernement au sujet de toutes les questions ayant trait à l’exercice du culte et assurer la formation des imams, problématique qui revêt particulièrement une importance capitale dans le contexte préoccupant pour les pouvoirs publics français, marqué par l’affrontement de plus en plus intense entre les tendances modérées et les courants intégristes de l’Islam.

Le CFCM, interlocuteur des pouvoirs publics, regroupe plusieurs fédérations
Ainsi, étant un interlocuteur historique privilégié des autorités publiques de l’Hexagone autour de tout ce qui se rapporte au culte musulman, notamment depuis sa création, regroupant plusieurs fédérations de mosquées, le CFCM s’est retrouvé plongé dans une tourmente qui ne dit pas son nom depuis que le gouvernement français a avancé sa volonté de faire adopter une «charte des principes pour l’islam de France» qui proscrit, entre autres, «l’ingérence» d’Etats étrangers dans ses affaires et réaffirme la «compatibilité» de l’Islam avec la République.
Consécutivement à cela, trois fédérations, dont les deux turques, le Millî Görüs et le comité de coordination des musulmans turcs de France, ont refusé de signer ladite charte tout en restant au CFCM. Quatre autres, en l’occurrence, la Fédération de la grande Mosquée de Paris (Algériens), le Rassemblement des musulmans de France (Marocains), les Musulmans de France (Egyptiens) et la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles, se sont retirées du bureau exécutif de l’Instance et ont annoncé la création d’une «coordination» afin de réfléchir à «la refondation de la représentation du culte musulman en France».
«La politique de fermeté envers ceux qui ne respectent pas la charte est tenue», a toutefois déclaré Gerald Darmanin.
«Nous avons dit à plusieurs reprises à M. Moussaoui qu’il devait se désolidariser vis-à-vis des fédérations turques non signataires, ce qu’il n’a jamais fait», a commenté, de son côté, un conseiller gouvernemental.

La charte des principes pour l’islam de France a été rédigée au sein même du CFCM
Néanmoins, «c’est au sein du CFCM que la charte des principes pour l’Islam de France a été rédigée», a fait valoir M. Moussaoui, dans son communiqué qui juge l’annonce du ministre de l’Intérieur «pas justifiée» et «en rupture totale avec les règles et usages en vigueur dans un Etat de droit comme le nôtre».
« … Le CFCM, qui est encore présidé par un des présidents de ces fédérations n’est plus un interlocuteur». «Ces propos (du ministre) laissent clairement entendre que le président du CFCM, Mohammed Moussaoui, n’a pas signé la charte alors même qu’il en a été le coordinateur et le premier signataire, et induisent ainsi l’opinion publique en erreur», a renchéri M. Moussaoui en relevant qu’«affirmer, comme le fait monsieur le ministre, que le Président de la République aurait fait signer la charte aux responsables musulmans pourrait laisser entendre que les termes de cette charte auraient été imposés par le Président de la République».
Là-dessus, le président du CFCM note que «la signature de la charte, aussi importante soit-elle, ne peut nous renseigner parfaitement sur l’identité d’une organisation et de son corpus idéologique», ajoutant que «la République doit traiter ces sujets importants avec une grande rigueur et une analyse profonde des faits et des situations dans un cadre légal».

Le CFCM a été créé pour représenter le culte musulman et non les musulmans de France
Le communiqué de l’instance développe, par ailleurs, que le ministre de l’Intérieur a annoncé vouloir mettre en place une organisation du culte musulman en convoquant à un forum «une centaine (d’acteurs) de cet islam de France parmi lesquels il y aura des femmes, parmi lesquels il y aura des laïcs, parmi lesquels, il y aura des gens de la société civile», précisant, au passage, que le CFCM a été initialement créé pour représenter le culte musulman en France et non les musulmans de France.
«Une représentation des musulmans de France serait contraire au fondement laïc de la République et un glissement vers un communautarisme qui ne dit pas son nom», a martelé le texte du communiqué.
«L’Etat a besoin d’interlocuteurs représentatifs des cultes. Mais, l’Etat laïc n’a pas à organiser les cultes. Toute action du gouvernement qui crée le vide institutionnel en matière de dialogue avec le culte musulman ne peut être que préjudiciable à tous», a souligné M. Moussaoui en faisant observer, par ailleurs, que le «CFCM a décidé de tirer toutes les leçons de ses expériences et erreurs passées et a procédé à la création de conseils départementaux du culte musulman, débarrassés de toute référence aux pays d’origine ou aux fédérations d’affiliation, en s’appuyant uniquement sur les acteurs du terrain». Cette orientation majeure, a-t-il soulevé, permettra une nouvelle réorganisation du culte musulman à même de répondre aux attentes des musulmans de France et à leur aspiration à une totale indépendance de toute forme d’ingérence.
D’autre part, le président du CFCM a souligné que le concept de «l’Islam consulaire et des imams détachés», par son imprécision et son évocation à géométrie variable», ne permet pas de voir de manière claire la coopération, pourtant officielle, entre la France et certains pays étrangers en matière de culte, relevant que cette coopération est régie par des engagements bilatéraux entre la France et certains pays, particulièrement l’Algérie, le Maroc et la Turquie. 

En fait, la gestation de la représentation du culte musulman en France a duré pendant plusieurs décennies
Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur sous la présidence de François Mitterrand, avait lancé, en 1990, le Conseil de réflexion sur l’Islam de France, qui est chargé de présenter des propositions pour l’organisation du culte musulman.
Plus tard, le 23 novembre 1997, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, chargé des cultes, avait déclaré : «L’islam est une religion nouvelle en France. Avec environ quatre millions de résidents de culture musulmane, elle est rapidement devenue la deuxième religion du pays. La moitié des musulmans qui vivent sur notre territoire national sont français. La plupart des autres sont appelés à le devenir. Le gouvernement ne saurait s’en désintéresser.
J’ai suivi avec attention et médité les efforts de plusieurs de mes prédécesseurs pour intégrer l’islam dans la communauté nationale. J’ai le même objectif : aider à l’affirmation d’un islam français. Seulement, les difficultés qu’ils ont rencontrées m’incitent à la prudence. Il y a un paradoxe de l’Islam dans ses rapports avec la laïcité » (…).

La polémique intervient dans un contexte d’incertitudes politiques, économiques, sécuritaires et sociétales …
Au-delà de cette longue histoire tumultueuse au gré des grandes mutations cultuelles, socioculturelles et géostratégiques intervenues vers la fin du vingtième siècle (avec tout son cortège d’extrémisme et de terrorisme), la polémique, par ailleurs paradoxale autour de la représentation du culte musulman en France, ne coïncide-t-elle pas avec les débuts assez mouvementés d’une période électorale très importante dans ce pays s’annonçant fort problématique ? N’intervient-elle pas dans un contexte d’incertitudes politiques, économiques, sécuritaires et sociétales faisant présager toutes les incohérences quant à l’horizon idéologique et aux perspectives de gouvernance de la société française ? 


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