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Le secteur aérien européen craint de se faire tailler des croupières


Libé
Vendredi 31 Mars 2023

 "Il faut arrêter d'être naïf": le secteur aérien européen redoute de se faire tailler des croupières par des concurrents situés hors de l'UE, et non soumis aux règles en cours d'adoption visant à réduire les émissions de CO2.
Mais des défenseurs de l'environnement affirment que les effets d'une distorsion de concurrence, certes réels, resteront limités.

Compagnies aériennes et aéroports se sont engagés dans un coûteux processus de décarbonation, conformément au plan "Fit for 55" fixant à 55% d'ici à 2030 les réductions d'émissions de gaz à effet de serre de l'UE par rapport à 1990. Il prévoit notamment une réforme des crédits carbone.

La Commission, les Etats membres et le Parlement européen tentent aussi de se mettre d'accord sur un plan qui définirait des taux progressifs d'incorporation de carburant d'aviation durable (SAF), d'origine non fossile, dans les réservoirs des avions commerciaux décollant du territoire européen.

Autant de facteurs de coûts supplémentaires qui devront être répercutés sur le prix des billets, sauf à sacrifier les marges.
Et c'est là que le bât blesse selon le transport aérien européen, qui craint de voir, sur les vols en correspondance, ses ambitieux concurrents asiatiques ou moyen-orientaux en bénéficier par ricochet.

Doha a obtenu un controversé accord de "ciel ouvert" avec l'UE pour sa compagnie Qatar Airways; l'Arabie saoudite vient d'annoncer son objectif de faire de Ryad un "hub" (plateforme de correspondance) géant, sur le modèle de Dubaï avec Emirates.

Et l'aéroport d'Istanbul (IGA), grâce à la dynamique Turkish Airlines, a déjà devancé Londres-Heathrow et Paris-Charles-de-Gaulle l'année dernière avec 64,3 millions de passagers. Il en vise le triple à terme.

"Le centre de gravité du transport aérien devrait glisser vers l'Est" étant donné les mesures environnementales prises dans l'UE, explique à l'AFP le PDG d'IGA, Kadri Samsunlu: "cette situation va créer des opportunités".

"Si vous allez de Bruxelles à Singapour et transitez par Munich, vous serez concerné par les crédits carbone et l'incorporation de SAF" pendant tout le trajet, résume Carsten Spohr, le patron de Lufthansa.

Ces contraintes n'existeront pas pour la deuxième partie du trajet "si vous passez par Doha", a-t-il ajouté mercredi lors d'une conférence de presse à Bruxelles du lobby Airlines for Europe (A4E): "c'est une +fuite de carbone+ dans toute sa splendeur".

Cette expression traduit l'idée qu'un passager optera pour le vol le moins cher, quitte à ce qu'il pollue davantage: la réglementation aura simplement fait perdre un client à une entreprise européenne.

"Istanbul est idéalement placé sur les rayons vers l'Asie, vers l'Afrique et l'Europe de l'Est. On fait quoi ? Il faut arrêter d'être naïf", s'indigne l'ancien président de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam) française, Alain Battisti.

"Ca mettrait les compagnies européennes en faillite (...) je pense que l'Europe arrivera à éviter cette distorsion de concurrence", espère Augustin de Romanet, PDG du gestionnaire de Paris-Charles-de-Gaulle, le Groupe ADP.

Le groupe de réflexion Transport & Environnement (T&E) se veut moins alarmiste, qualifiant l'argumentaire du secteur aérien de "lobbying très efficace mais sans fondement".

Dans une étude détaillée publiée en mars 2022, l'institut de recherche néerlandais SEO, convenant que les "hubs" extra-européens gagneraient des parts de marché, a évalué ces fuites à seulement 6% du CO2 non émis grâce à "Fit for 55" en 2035.

Mais il a aussi souligné qu'au même horizon, les compagnies perdraient 14% de leurs passagers intra-européens par rapport à un scénario de base sans mesures environnementales, rançon du renchérissement des billets.

Le groupe "Europeans for fair competition" (Européens pour une concurrence loyale) rassemblant compagnies aériennes et syndicats, milite pour une taxe carbone aux frontières, comme pour l'industrie.

Mais pour Roman Mauroschat, spécialiste du secteur aérien chez T&E, "une taxe carbone aux frontières fait sens pour les secteurs où la production risque d'être délocalisée vers des pays tiers qui exportent leurs produits vers l'Europe. Un vol entre Paris et Madrid ne peut pas être aussi facilement délocalisé".

"Les compagnies aériennes signalent depuis des années que les mesures climatiques vont nuire à leur compétitivité. Toutefois, les projections prédisent une forte croissance du secteur dans les prochaines années malgré les nouvelles mesures", remarque-t-il.


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