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Le migrant propagateur de maladies : Le préjugé qui tue

L’enquête de Libé sonne le glas d’un cliché qui a la vie dure


Hasan Bentaleb
Jeudi 14 Mars 2019

L’Association Banque de solidarité demande la reprise des opérations de dépistage de tuberculose, menées par le ministère de la Santé dans le campement informel des migrants irréguliers d’Ouled Ziane. En fait, ces opérations sont en stand-by depuis janvier dernier puisque le camion aménagé pour les dépistages de tuberculose est tombé en panne.

Six migrants tuberculeux
Ebeha Beyeth Gueck, président de ladite association, nous a rappelé avec insistance l’importance de cette reprise puisque les migrants tuberculeux pris en charge retournent au campement, faute de logements décents, et constituent une source de contamination. « Nous avons détecté six cas de tuberculose multi-résistante (MR) en novembre dernier parmi les migrants installés sur place.  Il est vrai que ces six malades ont été pris en charge et hospitalisés, mais le risque est toujours là et exige une multiplication des efforts au niveau du diagnostic, de la prévention et du traitement chez les migrants.», a-t-il précisé. Selon notre source, les mauvaises conditions d’hygiène et l’atmosphère confinée dans laquelle vivent ces migrants aggravent la situation et risquent de provoquer d’autres cas de tuberculose. « Les migrants d’Ouled Ziane sont livrés à eux-mêmes. Ils n’ont pas de toilettes ni de douches, ni de lits propres pour dormir. Ils survivent dans un espace renfermé jonché de détritus et de saletés qui dégagent des odeurs nauséabondes », nous a-t-elle expliqué. Et d’ajouter : « En attendant la reprise des opérations par le  ministère de la Santé, nous menons des campagnes de sensibilisation notamment auprès des chefs des communautés pour exhorter les malades à se faire ausculter par des médecins et encourager ceux qui ont été dépistés comme tuberculeux à prendre régulièrement leurs médicaments».

La situation est sous contrôle
Faut-il s’alarmer de la situation sanitaire dans le campement d’Ouled Ziane ? Y-a-t-il risque de propagation de la tuberculose sur ces lieux ? « Absolument pas », nous a répondu Ebeha Beyeth Gueck. Et de préciser : « Cela fait cinq ans qu’on mène des opérations de sensibilisation auprès des migrants et le nombre de malades atteints de tuberculose est minime ».   
Des propos que confirme le Pr. Zoubida Bouayad El Mejjad, présidente de l’Association SOS tuberculose et maladies respiratoires, qui nous a affirmé que la situation n’a rien de dangereux et qu’elle est sous contrôle. « Le taux de prévalence est identique à celui des Marocains et, du coup, il n’a rien d’inquiétant. Ceci d’autant plus que ces migrants font l’objet de visites régulières de la part de notre association et d’autres ONG ainsi que des services de la santé chargés de la lutte contre la tuberculose vu qu’on se trouve face à une population en perpétuel mouvement. Les personnes en place y demeurent à titre provisoire avant de réaliser leur projet migratoire», a-t-elle indiqué tout en précisant que les pouvoirs publics suivent la situation de près. « En fait, même si les cas de migrants atteints de tuberculose restent limités au Maroc, cette question représente néanmoins une priorité sanitaire », nous a fait savoir Mariam Ouabi, chercheuse attachée à l’Observatoire régional des migrations, espaces et sociétés (ORMES), de l’Université Ibn Zohr d’Agadir.

Une population vulnérable
Au Maroc, les statstiques sur le nombre de migrants tuberculeux sont rares, voire inexistantes. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’état de santé des migrants et réfugiés qui vivent en Europe rendu public le 21 janvier dernier, la tuberculose touche 8,2 % des migrants, mais cette proportion monte à 32,7 % dans l’UE, preuve, s’il en faut, que cette population spécifique est plus vulnérable à cette maladie. Pour le sida, 40 % des nouveaux cas dépistés au sein de l’UE le sont parmi les migrants.
La Société européenne de microbiologie clinique et des maladies infectieuses (ESCMID) a déjà recensé en 2014 près de 1.400 cas de tuberculose MDR dans 12 pays européens. Plusieurs spécialistes de santé publique ont affirmé que la majorité des migrants est contaminée dans le pays d’accueil et que seuls quelques migrants arrivés en Europe étaient déjà porteurs de la maladie.
Pourtant, les spécialistes de la santé publique, qu’ils soient européens, marocains ou autres, sont unanimes à considérer les migrants comme une population vulnérable et non comme des propagateurs de maladie. « La tuberculose n’est pas liée aux migrants. Il s’agit d’une maladie qui existe partout et dont la bactérie touche la moitié de la population des pays concernés. En fait, cette pathologie est silencieuse et surgit chaque fois que certaines conditions sont réunies (pauvreté, malnutrition, incurabilité…). D’ailleurs, au Maroc, la cartographie de cette maladie suit la carte de la pauvreté. En conséquence, il est normal que la tuberculose se propage parmi les migrants vu les conditions de vulnérabilité dans lesquelles ils vivent à l’instar de la population carcérale. Les migrants contractent souvent la tuberculose au Maroc puisque le taux de prévalence de cette maladie est élevé dans notre pays », nous a indiqué le Pr. Abderrahmane Ibenmamoun, expert en matière de santé publique. Une réalité que confirment les statistiques du ministère de la Santé qui ont révélé que 36.000 nouveaux cas de tuberculose sont détectés chaque année au Maroc, soit une incidence de 91/100.000 habitants. Les deux tiers des patients se concentrent dans les banlieues des grandes villes comme Casablanca, Fès, Salé et Tanger. Des chiffres émanant de la même source et datant de 2017 indiquent que sur les 37.000 personnes infectées, 60% sont des cas contagieux.
Le Pr. Abderrahmane Ibenmamoun a cependant tenu à préciser que les différentes formes de cette maladie ne sont pas toutes contagieuses et que seule la tuberculose du poumon l’est. Ceci d’autant plus que le risque de contagion se présente souvent pendant les 15 premiers jours et se dissipe si le malade prend ses médicaments. « Le problème se pose lorsque le malade ne prend pas ses médicaments. A noter que la question de la contamination est plus compliquée qu’on peut l’imaginer », a-t-il ajouté.

Des migrants en bonne santé
Notre expert soutient que les candidats à la migration sont en grande majorité, des jeunes robustes et en bonne santé. « Le problème commence sur les routes migratoires ou dans les pays de transit. Les conditions difficiles dans lesquelles se déroule le voyage impactent négativement la santé des migrants. Ces derniers vivent dans un état de stress  permanent, à tel point que le vrai danger qui menace leur vie  ne vient pas des maladies contagieuses, mais des maladies cardiovasculaires et la hausse de la pression artérielle. Une grande partie d’entre eux meurt suite à des accidents vasculaire-cérébraux », nous a-t-il expliqué. « Dans la littérature scientifique sur la migration, ce sont ceux qui sont en bonne santé qui sont les plus aptes à immigrer. C’est-à-dire qui sont les plus à même de supporter les conditions difficiles de la route. Ce qui les rend malades, c’est de vivre dans des conditions défavorables. D’ailleurs, chez cette catégorie, on ne trouve pas de pathologies lourdes et, les cas de paludisme, de sida et de maladies tropicales sont très limités. En règle générale, les migrants sont en bonne santé », nous a précisé,  de son côté, Mariam Ouabi. « Une grande partie des migrants qui résident au campement de fortune d’Oulad Zyane souffre plutôt de problèmes dermatologiques, de gastropathies, de fractures et ont des petits bobos », nous a également précisé le président de l’Association Bank de solidarité

Problèmes et difficultés
Abderrahmane Ibenmamoun nous a indiqué que la prise en charge des tuberculeux ne pose pas problème au Maroc. « Les médicaments sont gratuits et les consignes sont clairement données pour que les migrants bénéficient de traitement, abstraction faite de leur statut juridique », a-t-il souligné tout en rappelant, à ce propos, le Plan national d’accélération de la réduction de l’incidence de la tuberculose 2013/2016, qui édicte que tout immigré ou réfugié peut bénéficier du programme anti-tuberculose qui comprend une vaccination gratuite au niveau de tous les centres de santé et l’accès gratuit aux médicaments.
Pourtant, Mariam Ouabi nous a révélé que la prise en charge n’est pas totale et que certains obstacles  entravent l’accès des migrants au programme de la lutte contre la tuberculose. Selon elle, si la prise en charge est totale au niveau des structures primaires de la santé publique, ce n’est pas le cas au niveau des hôpitaux. « Les migrants touchés par cette maladie sont souvent pris en charge au niveau des centres de santé primaire et par certaines ONG comme Caritas qui accordent des aides au  loyer au profit des migrants malades tant qu’ils suivent leur traitement. Le ministère de la Santé prend en charge les bilans radiologiques et biologiques ainsi que l’octroi de médicaments », nous a-t-elle expliqué. Et de préciser : « Le problème se pose au niveau des analyses (salive, bilan biologique et séroviral) qui ne se font pas au niveau des centres de santé. Elles se font dans les hôpitaux et qui dit hôpital dit facturation. En d’autres termes, les analyses sont payantes. Elles coûtent 100 DH, voire plus. Et le migrant doit payer de sa poche ou être bénéficiaire d’une mutuelle santé». Même son de cloche chez Ebeha Beyeth Gueck qui nous a confié que les migrants hésitent souvent avant d’aller chercher de l’aide auprès des services nationaux de santé. Les problèmes de langue, de communication, ainsi que la peur d’être arrêtés par la police ou d’être mal vus les dissuadent d’aller quémander de l’aide auprès des centres de santé ou des hôpitaux.  Il y a également le manque d’information concernant le système de santé marocain. « Et cela crée souvent des problèmes notamment à ceux qui vont vers les cliniques et les hôpitaux privés. Souvent, les migrants nous contactent, lors du fatidique moment où ils se trouvent dans l’obligation de payer les factures. Certains nous appellent pour qu’on les fasse admettre dans les établissements de soin», nous a-t-il expliqué.
Ces problèmes de dépistage se posent également au niveau des pays européens. Lesquels n’ont pas, en fait, de politique cohérente et organisée de dépistage des populations migrantes. Plusieurs rapports ont relevé  la difficulté et la réticence des migrants d’accéder aux soins adéquats malgré les efforts déployés; les difficultés majeures d’interprétariat et de communication auprès d’une population migrante de multiples origines; la difficulté d’éducation thérapeutique et le suivi du traitement pour la tuberculose; l’impossibilité d’identification et d’approche des sujets contactés dans un  contexte de la clandestinité des migrants et enfin la difficulté de mettre en place une prévention de la tuberculose aussi bien chez les migrants toujours prêts à bouger que parmi les personnes en contact avec les migrants qui ne prennent pas conscience du danger potentiel que représente la tuberculose.

Une vie digne
Meriem Ourab estime, en outre, que la prise en charge totale ou partielles des malades n’est pas le vrai problème. Le véritable souci, pour elle, ce sont les conditions de vie des migrants. « Il faut d’abord agir sur les conditions de vie avant de parler de prise en charge. Les déterminants sociaux de la santé (logement décent, nourriture et eau potable) sont des facteurs cruciaux et doivent être pris en considération puisque l’utilité des médicaments et des traitements est caduque dans un environnement de précarité. L’efficacité du traitement dépend des bonnes conditions de vie, vu qu’il n’y a pas de système de santé spécifique pour les 50.000 migrants régularisés et que  les réfugiés eux-mêmes  n’ont pas de cartes d’accès aux soins», a-t-elle conclu.

Les problèmes de santé détectés parmi les migrants

Les problèmes de santé des réfugiés et des migrants sont semblables à ceux du reste de la population, même s’il arrive que la prévalence en soit plus élevée dans certains groupes. Chez les migrants nouvellement arrivés, les problèmes de santé les plus fréquents sont les blessures accidentelles, l’hypothermie, les brûlures, les problèmes cardiovasculaires, les complications de la grossesse ou de l’accouchement, le diabète et l’hypertension. Les femmes migrantes sont, pour leur part, confrontées à des difficultés particulières touchant notamment à la santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant, à la santé sexuelle et reproductive et aux violences.
L’exposition des migrants aux risques associés aux mouvements de population – troubles psychosociaux, problèmes de santé reproductive, mortalité néonatale plus élevée, abus de drogues, troubles nutritionnels, alcoolisme et exposition à la violence – accroît leur vulnérabilité face aux maladies non transmissibles (MNT). À cet égard, l'interruption des soins constitue le principal problème, en raison du manque d'accès aux systèmes de soins de santé et aux prestataires, ou de la décimation de ces services. Les déplacements entraînent l'interruption du traitement continu, ce dernier étant particulièrement important en cas de maladies et d'affections chroniques.
En raison des mauvaises conditions de vie et des privations subies pendant les migrations, les enfants vulnérables sont sujets à des infections aiguës, comme les infections respiratoires et la diarrhée, et doivent avoir accès aux soins correspondants. Le manque d’hygiène peut entraîner des infections cutanées. De plus, le nombre de morts et de blessés a rapidement augmenté parmi les réfugiés et les migrants qui traversent la Méditerranée: selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, au cours des 6 premiers mois de l’année 2015, 1867 personnes se sont noyées ou ont été portées disparues en mer.
Source : OMS


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