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Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen


Jeudi 24 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen
C’est un représentant de tous les oulémas, le ministre des Habous et des Affaires islamiques, qui rédige et prononce le texte d’allégeance au nom de toute la communauté. Au cours de la cérémonie d’allégeance, la monarchie marocaine insiste sur sa conformité avec la théorie sunnite de l’imāmat basée sur l’ikhtiyār (élection) avec une priorité aux membres de la famille de Ali, c’est le chérifisme; mais certains mouvements islamistes relient le pouvoir monarchique à l’autocratie et le comparent à la pratique Omeyyade. 
L’imāmat fut unanimement considérée par les légistes sunnites comme un contrat (Aaqd), en bonne et due forme entre le gouvernant et les gouvernés à charge pour celui-ci de remplir les conditions physiques, morales, religieuses et politiques du califat. Or l’évolution de l’imāmat à la souveraineté monarchique eut lieu très tôt; elle s’accompagna de la doctrine d’élection tacite du monarque par Dieu, évoluant donc vers une notion de monarchie de droit divin. La thèse de Lahbabi que Allal al-Fassi avait précédemment esquissée n’eut aucun écho positif auprès des deux monarques, tant Mohammed V que Hassan II. 
Quelqu’un a noté que la cérémonie d’allégeance au Roi n’est pas réelle, que c’est un ministre désigné par le Roi qui en lit le texte, qui l’effectue en quelque sorte. Certes, mais selon la doctrine ashâarite, l’imāmat peut se contracter entre le calife et un seul ouléma. D’ailleurs Al-Ghazālī soutint même la légitimité du calife soumis à un protectorat (Al-Mustazhir vis-à-vis des Saljūqides). En outre, le mérite de la dynastie alaouite qui oeuvra à la continuité de l’Etat au XVIIe siècle est indéniable. La véritable difficulté surgit lorsqu’il s’agit d’évoluer vers une monarchie constitutionnelle. Les ressources de la monarchie sont considérables: d’abord son enracinement profond dans l’histoire du Maroc, ensuite le peuple se  précipite pour la servir et elle n’a que l’embarras du choix; c’est le peuple qui la sollicite et elle n’est pas solliciteuse. 
C’est une monarchie agissante dans le sens où la multitude est mise en compétition pour qui sera autorisé à servir le pouvoir. Pour de nombreux Marocains, cette élection est leur voeu le plus cher, la clef de la réussite et de la fortune. Le prestige que la monarchie réserve à ses proches et à ses serviteurs dépasse celui que peut apporter le talent artistique, la performance sportive ou la science. 
La monarchie marocaine est une véritable clé de voûte du système politique marocain et sans Roi, les Marocains se diviseraient selon les pouvoirs formidables qu’il concentre : certains lutteront pour le primat de l’armée, d’autres pour celui des oulémas ou des islamistes (lesquels?), le Makhzen perdra le contrôle du pays car il ne se maintient que par la bénédiction du Souverain, les partis traditionnels se décompenseront, le passage par une période de violence politique aiguë, plus ou moins durable, sera nécessaire avant une nouvelle synthèse politique qui sera précaire puisque le débat politique de fond n’a même pas débuté à l’heure actuelle. 
Sur un plan structurel, l’instance qui exprime l’autorité monarchique n’est pas bien définie; on peut seulement en esquisser la forme. Ce pouvoir n’est pas d’essence tribale : ce ne sont pas les natifs du Tafilalet qui sont aux postes de commande mais tous ceux qui entendent servir la monarchie dans la forme fixée par l’appareil d’État, le Makhzen, cette structure juridico-administrative et policière du  pouvoir. 
Elle est faite de groupes hiérarchisés, organisés en pyramide : au sommet, le groupe restreint des conseillers royaux, de leurs aides et celui des plus hauts responsables sécuritaires (les ministres dits de souveraineté, le chef de la Gendarmerie Royale, le directeur de la DST et celui de la DGED et quelques généraux). Ce groupe est le concepteur de la politique du Royaume et il est en contact avec tous les décideurs dans tous les domaines au Maroc. 
Le deuxième groupe, les secrétaires généraux des ministères, chefs de divisions, ambassadeurs, (ne sont pas inclus ceux qui ont été nommés en fonction d’un rapport de force politique, par exemple les membres de l’ex-opposition), recteurs et doyens, préfets de police, certains officiers supérieurs: ils relaient les décisions, veillent à la conformité idéologique des cadres et des officiers, et réfèrent aux institutions de contrôle (Intérieur, DST, DGED, Gendarmerie) pour traiter les cas difficiles. Parmi ce groupe, peuvent figurer les juges de la Cour suprême et des Cours d’appel. 
Un troisième cercle est celui des commissaires de police, des caïds et des chefs de service, des délégués provinciaux des différents ministères, puis un quatrième niveau, celui des policiers, moqaddam, chioukhs, ceux que le peuple nomme de façon restrictive Makhzen. 
Si en amont, le sacré solidifie en une seule entité le pouvoir qui ne peut plus s’articuler en instances s’équilibrant les unes les autres, en aval les attitudes et les valeurs sociales autoritaristes (adoptées par les couches populaires), le Makhzen et les  classes dominantes sont autant de vecteurs en faveur de la confusion des pouvoirs. L’Etat-Makhzen est surpuissant et dépasse en pouvoir toutes les forces politiques selon leur configuration actuelle; en plus, aucune coalition significative ne peut s’effectuer sans son aval. 
En plus, l’interdiction du parti unique rend illégal tout processus unitaire. En outre, la monarchie a une attitude inclusive qui réduit grandement le nombre des organisations contestataires : ainsi tout est dans la monarchie (partis, syndicats, presse, les trois pouvoirs, etc.), presque rien en dehors d’elle. 
La thèse de K. Wittfogel sur le despotisme oriental et son rapport avec les sociétés hydrauliques n’est pas sans utilité à cet égard, même si elle ne s’applique pas à tous les éléments de la structure sociopolitique du Maroc. Mais le contrôle est le trait majeur du système politique marocain et le sociologue allemand insiste sur cet aspect. 
Tous les partis savent que le gouvernement est celui de Sa Majesté et qu’à leur prise de fonction, les ministres ne sont plus les militants qu’ils étaient ; mais en plus, sous l’effet d’un Makhzen attentif, ces ministres sont tous tenus par la main et n’ont pas encore atteint la majorité. L’Etat se présente comme une force totalement autonome par rapport aux citoyens, redoutable car agissant en extériorité par rapport à leurs intérêts, mais ce pouvoir a ses soupapes de sécurité: ses défaillances ne signifient pas une indifférence absolue vis-à-vis des plus démunis; ses carences sont, peut-on dire, palliés par une certaine tolérance de pratiques illégales. 
Si la dure loi d’airain qui prévaut partout dans le monde était appliquée au Maroc, des millions de Marocains étant sans qualifications particulières, devraient travailler très dur pour trois fois rien ; pourquoi seraient-ils payés plus que le prolétaire ou le paysan chinois? L’Etat ferme les yeux sur nombre d’activités illégales et lucratives; il se laisse même déposséder: il tolère les bidonvilles qui prolifèrent sur des terrains publics puis accorde, suprême récompense, des lopins à construire à ces démunis qui accèdent sans coup férir à la propriété alors que des cadres sont SDF en France.  

A suivre


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