Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen


Mardi 22 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen
1. Monarchie, Makhzen et Imāmat 
 
La souveraineté est le révélateur de l’essence d’un peuple; si elle est détenue sans partage par une personne, cela signifie que peuple et élites ne se jugent capables d’aucune initiative et s’en remettent à elle pour les guider. La monarchie est le système politique vers lequel le pays tend de toutes ses forces, déléguant au Souverain de réaliser un équilibre adéquat entre tradition et modernité. 
La notion de Constitution pour de nombreux Marocains est vague et ambiguë; ce n’est pas l’esprit cartésien qui préside à sa perception et même peut-on dire à son élaboration. Une Constitution définit et organise des pouvoirs spécifiques; ceux d’établir la loi, de juger selon la loi et d’appliquer la loi. Le rapport de ces pouvoirs est strictement défini également sous une autorité suprême, celle de la Constitution elle-même; pour le Maroc, ces pouvoirs sont organisés l’un par rapport à l’autre sous l’autorité suprême du Roi; étant le détenteur de la souveraineté conjointement avec la nation ou délégataire de la souveraineté nationale, il a un pouvoir organique qui lui permet de proposer tout texte constitutionnel qu’il juge adéquat. 
Bien que les pouvoirs du Roi soient définis par la Constitution, dans la mesure où celle-ci elle-même émane du Souverain, la monarchie est au-delà de la Constitution : les célébrations qui ponctuent les fêtes religieuses avec leur rituel où l’officiant suprême est le Roi ne sont pas mentionnées dans la Constitution; or elles reflètent profondément l’identité marocaine. La triple sacralité induite par la Commanderie des croyants, la représentation de la nation et le leadership militaire reflètent la puissante tendance théocratique de la société. 
Le Roi demeure au-dessus de tous les pouvoirs. Une Constitution doit traduire autant que possible les aspirations de tous; or il y a une absence totale de consensus sur les valeurs sociales et politiques que désirent partager les Marocains ; ils s’en tiennent donc à une monarchie dont ils acceptent l’autorité pourvu qu’elle constitue un frein aux ambitions et aux idées des autres. Le monarque se tient au centre : les sécularistes qui rejettent totalement la tradition et les oulémas malékites voient tous en lui une protection vis-à-vis de leurs ennemis : l’islamisme radical semble empêcher le fonctionnement paisible de ces contrepoids mais pour tous les islamistes, la monarchie demeure un pis-aller contre la menace laïque. Pourquoi la dynastie alaouite n’est pas faible, et tous ceux qui l’ont jugée telle ont commis une lourde faute ? 
Parce qu’elle est soutenue par des forces politiques antagoniques (thèse des forces opposées de maintien) : par les islamistes, par les partisans du hard rock et les supporters de Marock et tous ceux, combien nombreux, qui se situent entre ces deux groupes. Les motivations des partisans de la monarchie sont hétérogènes : certains espèrent qu’elle stabilisera le front religieux, contenir les islamistes et fera évoluer le cas échéant le Maroc vers le libéralisme idéologique. 
En même temps, d’autres craignent une libéralisation trop rapide des valeurs et des moeurs et s’appuient sur le traditionalisme monarchique. Il s’ensuit naturellement que cette Constitution définit le pouvoir dans un sens expansif/totaliste et non dans un sens limitatif, ce qui permet une modulation d’une ampleur inconcevable sous d’autres cieux : tant que le monarque désire s’en tenir au principe de la séparation des pouvoirs, il prend des allures de démocrate et réfère au pluralisme et au droit mais s’il veut potentialiser ses attributions constitutionnelles, il peut agir comme un autocrate le plus légalement du monde! Evidemment, Mohammed VI n’a pas le profil d’un despote mais les stratèges du nouveau règne n’ont pas résolu le problème de la Conciliation du respect dû au Roi avec la protection permanente des droits. En d’autres termes, d’une séparation des pouvoirs effective et d’une protection de l’institution monarchique satisfaisante. Toujours est-il que la sacralisation du chef d’Etat peut être interprétée et utilisée de manière préjudiciable à la liberté des citoyens. Dans cette souveraineté duelle, celle de la nation et celle du Roi, le primat du monarque est évident; tous les organes sont responsables devant lui et lui rendent compte, de même que toutes les communes sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. La souveraineté monarchique est jugée supérieure au suffrage universel ; à juste titre parce que celui-ci, au Maroc, ne jouit pas des valeurs culturelles et sociales qui doivent l’accompagner ; très souvent les voix sont à vendre et le risque, en cas de république dans le même contexte, d’un président à vendre n’est donc pas exclu. 
On peut aussi observer que la restriction du suffrage universel qui dura plus de 3 siècles après l’établissement du Parlement en Europe (cas de l’Angleterre) a son pendant au Maroc dans l’existence d’une institution non ouverte au suffrage universel. Ce qui n’exclut ni la dérive autocratique ni l’évolution vers un Etat policier : pendant des décennies tout le gouvernement était sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur. 
Driss. Basri avait un contact plus étroit avec le Souverain que le Premier ministre lui-même. Au-delà des membres du gouvernement, tous les hauts fonctionnaires sont responsables devant le Roi, ce qui limite l’autorité du ministre. Les directeurs et les chefs de division, désignés par Dahir, peuvent ne pas obéir à l’autorité de tutelle, en l’occurrence leur ministre. Cette autonomie était encore plus accentuée lorsque le Premier ministre était de gauche. Non seulement les pouvoirs du Parlement et du gouvernement sont très limités, celui-ci est triplement responsable devant le Roi, la Chambre des députés et celle des conseillers. 
Le découpage électoral favorise nettement les partis conservateurs souvent créés par le Palais. Le taux de participation électorale est un baromètre : il indique si le peuple est satisfait de ses institutions : qu’il refuse de s’exprimer, comme c’est le cas, signale leur discrédit. Nos institutions souffrent d’encombrement; il faut les simplifier: deux Chambres ayant quasiment les mêmes attributions, c’est lourd. Pourquoi deux Chambres avec des attributions identiques? Si le ciment inter-partisan est plus fort que la volonté royale à la Chambre des députés, le monarque aurait recours au contrepoids de la Chambre des conseillers. 
La duplication du pouvoir législatif n’est pas exactement ce qu’il faut entendre par la séparation des pouvoirs. Au Maroc, le régime reste porté par un consensus considérable ; les demandes des organisations partisanes et du peuple sont minimales par rapport à l’État, même pour la question du Sahara. Aucun groupe ne réclame un succès immédiat. Les demandes minimes des Marocains vis-à-vis de l’Etat s’expliquent parce qu’ils n’ont pas une culture du droit. Et en accentuant la nature théocratique de l’Etat, on réduit ces demandes. En effet, il ne s’agit plus que d’assurer les conditions du culte pour préparer le salut dans l’au-delà et non de réaliser un programme économique, social et culturel global et contraignant. 


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