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Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Jeudi 4 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
L’absolutisme avait encore des siècles devant lui. Bodin développa la doctrine la plus achevée du pouvoir absolu au XVIe siècle. Dans “Les Six livres de la République”, publié en 1576, il fonde le concept de souveraineté sur une distinction essentielle entre gouvernés et gouvernants, en ce sens que seule leur nette séparation, une différenciation qui serait de nature, peut assurer l’existence d’une souveraineté : «Le monarque (doit être) divisé du peuple». Ce pouvoir souverain se détermine par la détention de l’autorité ultime et ne se partage pas : «Celui qui aura puissance de donner loi à tous, c’est-à-dire commander ou défendre ce qu’il voudra, sans qu’on en puisse appeler, ni même s’opposer à ses mandements, il défendra aux autres de faire ni paix ni guerre, ni lever tailles, ni rendre la foi et hommage sans son congé : et celui à qui sera due la foi et hommage lige, obligera la noblesse et le peuple de ne prêter obéissance à autre qu’à lui». 
Tous les citoyens, aristocrates ou manants, sont dans un même rapport au souverain : il ne reconnaît aucun droit à quiconque sur lui et affecte à tous le statut de sujet; tous sont tenus au devoir d’obéissance. Ce concept de souveraineté a des conséquences redoutables: être au-dessus des lois implique que le souverain a le droit de les violer, de ne pas se soumettre aux lois qu’il aurait lui-même promulguées et de ne pas tenir ses engagements. De même s’il transgresse la loi divine, s’il se parjure et se montre odieux, ses sujets ne peuvent se rebeller contre lui car il n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. Souveraineté sans frein, ni extérieur ni endogène et qui suspend toute obligation, elle conduit à moyen ou à long termes à un rapport de forces radical et à une lutte sans merci. 
Si Bodin développe méthodiquement la dimension juridique de l’absolutisme, Machiavel nous montre comment celui-ci peut prospérer. “Le Prince” postule l’existence d’un système de valeurs intrinsèque à la politique en général, plus exactement au maintien et au renforcement de l’Etat despotique. L’autonomie du politique dans le sens de sa distinction et de son indépendance par rapport aux valeurs morales envisage essentiellement ces trois sujets : comment obtenir le pouvoir, le conserver et l’accroître. “Le Prince” est, à cet égard, le bréviaire de l’Etat patrimonial. 
“Le Prince” ne considère que la subjugation absolue et ignore l’intermédiation : celle d’un parlement ou d’un conseil quelconque ; le gouvernement est la mise en oeuvre d’une logique de la force : il faut, en toutes circonstances, être dans une position de domination, quels qu’en soient les moyens (violence, cruauté, fourberie). 
L’anthropologie machiavélienne qui ne fait des hommes que des lâches et des méchants est erronée. Se méfier de tous, voir en chacun un ennemi potentiel porte atteinte au leadership lui-même; un tel pouvoir ne peut rien accomplir de grand. En créant une atmosphère de suspicion généralisée, il dissout le tissu social, il fait de la société des individus pathologiquement égoïstes et ne pensant qu’à tirer leur épingle du jeu, prêts à abandonner le prince au moindre coup dur. 
Le machiavélisme induit une dépression sociale telle que la régression des symboles religieux est parfois la seule issue qui reste. La révolution islamique contre le régime du Shah d’Iran est une illustration parfaite de cette conséquence. Sur un autre plan, la pertinence du “Prince” réside dans le fait que le pouvoir d’un seul est extrêmement vulnérable; si l’on s’empare de sa personne, tout est perdu. Pour se protéger, il doit susciter crainte, incertitude, terreur, tout ce qui peut inhiber l’action de ses opposants, voire de ses conseillers et de ses familiers. 
Dans “Le Prince”, il est souvent question de trahison et Machiavel l’explique par la nature humaine foncièrement méchante. Il ne met pas en rapport trahison et autocratie pour constater que le pouvoir despotique rend les complots inévitables puisqu’il n’y a pas de corps intermédiaires capables de défendre les institutions. On n’insistera jamais assez sur l’éclipse doublement millénaire subie par la démocratie. Depuis sa chute, après l’expérience athénienne, jusqu’à son retour en tant que régime envisageable chez Spinoza, vingt siècles s’écoulèrent et au XVIIe siècle, l’absolutisme avait plus de défenseurs que le libéralisme. Il ne faut donc pas juger que tout est perdu pour le monde islamique. 
Il prendre tôt ou tard le chemin de la séparation des pouvoirs. Pour Spinoza, l’organisation sociale est le produit des citoyens euxmêmes (elle n’est ni le fait du souverain absolu comme le veut Hobbes, ni le résultat d’une providence divine comme le conçoit Locke) et résulte d’une dynamique de la puissance. Lorsque le sens de la communauté apparaît, la société protège les droits de l’individu et concourt à son épanouissement : il a infiniment plus de puissance que dans l’état de nature où il vit dans la crainte et l’incertitude. Spinoza souligne aussi le primat des institutions sur l’homme : il faut que celles-ci soient adéquates : «Il est certain en effet que les séditions, les guerres et le mépris ou la violation des lois sont imputables non tant à la malice des sujets qu’à un vice du régime institué. "Les hommes en effet ne naissent pas citoyens mais le deviennent"». 
Spinoza estime qu’il n’y a pas de communauté ayant le goût du despotisme ; il n’y a que des institutions qui peuvent être bonnes ou mauvaises. Il faut donc concevoir un ordre politique qui ne laisse aucun espace pour le mal agir : «Un Etat dont le salut dépend de la loyauté de quelques personnes, et dont les affaires, pour être bien dirigées, exigent que ceux qui les mènent veuillent agir loyalement, n’aura aucune stabilité. 
Pour qu’il puisse subsister, il faudra ordonner les choses de telle sorte que ceux qui administrent l’Etat, qu’ils soient guidés par la raison ou mus par une affection, ne puissent être amenés à agir d’une façon déloyale ou contraire à l’intérêt général». Déterminer un système politique tel que les méchants ne peuvent y prospérer, rendre impossible tout projet de nuire à l’État amener gouvernants et gouvernés à faire, qu’ils le veuillent ou non, ce qui est pour le bien commun : Spinoza a une approche essentiellement logistique de l’organisation de l’Etat. 
La prescription des valeurs s’accompagne d’une pensée des moyens. Il faut tout d’abord que les citoyens aient le maximum d’interactions entre eux, qu’ils évitent les clans et la solitude et développent des liens significatifs. Une sociabilité dynamique, ouverte et positive doit prévaloir. Spinoza envisage essentiellement une riche vie associative, une société où nul n’est indifférent aux autres, se présentant comme un vaste tissu d’intérêts communs. 
Et au Maroc, nous sommes loin, très loin de cette situation. Pour Spinoza, tous les modèles de gouvernements : monarchique, aristocratique ou démocratique se fondent sur la séparation des pouvoirs et le principe de consentement des citoyens. Spinoza veut une monarchie constitutionnelle fondée sur le «salut de la population». Au XVIIe siècle, la monarchie absolue échouait définitivement en Angleterre et Hobbes menait un combat d’arrière-garde. 
À l’instar de Bodin, il exalta la souveraineté absolue quand elle était battue en brèche. Publié deux années après l’abolition de la monarchie, le “Léviathan” (1651) surprend par son affirmation absolutiste du pouvoir. Hobbes suppose que : 1. la nature humaine est invariablement méchante; 2. la crainte d’autrui et la volonté de survivre sont à l’origine de l’ordre politique et social.  


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