Le livre Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?


Vendredi 1 Août 2014

Le livre  Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?
D’évidence, A. El Youssoufi n’était plus apprécié en haut lieu. Il rappela l’obligation de réserve à laquelle les conseillers du Roi étaient tenus s’agissant de l’action du gouvernement. Al Ittihad Ichtiraki, l’organe arabophone de l’USFP, jugea que l’intervention du conseiller pouvait accréditer l’«existence supposée d’un autre gouvernement, de l’ombre, parallèle au gouvernement légitime» (29 janvier 2002). Le 15 février 2002, Al Ittihad Al Ichtiraki accusa la DST d’avoir outrepassé ses attributions en ne référant pas au Premier ministre avant la saisie d’un numéro de «Wijhat Nadar» pour avoir publié un article de Moulay Hicham sur la nécessité de réformer la monarchie. 
A. El Youssoufi réclamait apparemment plus d’autorité.  Il ne fut pas reconduit. À l’exception des islamistes de Adl et de l’extrême gauche qui affirmèrent qu’il n’avait aucune marge de manoeuvre, tous les partis politiques, y compris les fractions contestataires de l’USFP et A. Serfaty jugèrent qu’il avait un espace qu’il ne sut pas utiliser. 
On peut citer dans ce sens ce jugement paradoxal de la part d’un fin connaisseur du Makhzen et de la puissance de son emprise. A la question : comment évaluez-vous la relation monarchie/parti depuis le début de l’alternance? Omar Seghrouchni répondit : «Il semble que le gouvernement dispose d’un véritable espace d’action. Il est débarrassé de l’alibi D. Basri, à lui de gouverner. Et d’assumer ses responsabilités». On peut déplorer cette explication des phénomènes politiques par l’action individuelle de la part d’un militant éclairé. 
Or, il avait bien noté que A. El Youssoufi était totalement impuissant et qu’il ne s’appuyait pas sur toutes les forces du parti. Pour Najib Akesbi, autre militant du courant «Fidélité à la démocratie», A. El Youssoufi était responsable de son échec : «El Youssoufi était "nu", totalement démuni devant le redoutable système du Makhzen. Sa marge de manoeuvre était si faible qu’il ne pouvait que se résigner à avaler des couleuvres, accumuler les reniements, multiplier les compromissions : répression des manifestants diplômés chômeurs et des handicapés, interdiction de journaux indépendants, abandon du Plan d’intégration de la femme, gel de la Koutla démocratique au profit de la "majorité gouvernementale", résignation à se laisser peu à peu dépouiller de la plupart de ses prérogatives, sans parler d’une politique économique et financière qui n’avait rien à envier à celle des gouvernements précédents… 
Que pouvait encore cet homme qui avait méprisé la base de son parti, trahi ses anciens camarades et alliés, déçu les catégories sociales qui avaient pu un moment croire en lui?» A propos des leaders de l’USFP qui acceptèrent l’alternance, Bensaїd Aїt Idder observe : «Si on veut évaluer le bilan, on dira qu’ils se sont alliés à des gens qui ont une part de responsabilité dans le désastre social et économique que vit le Maroc. C’est en ce sens qu’un  grand nombre de nos citoyens n’ont plus confiance dans le fonctionnement de nos institutions…». 
Parmi les erreurs commises par A. El Youssoufi et que cite Mehdi Lahlou, membre du courant «Fidélité à la démocratie», on peut retenir les suivantes:  avoir accepté de constituer un «gouvernement d’alternance » au sortir d’élections communales et législatives qu’il savait truquées; (…)  n’avoir pris aucune garantie pour la réussite de son projet-aventure : pas de soutien préalable des instances de son parti, et a fortiori des militants (…);  avoir agi après le 23 juillet 1999 comme si (…) les conditions qui avaient été à l’origine de sa désignation en 1998 n’avaient pas fondamentalement changé (…);  avoir agi, lui qui voulait donner une certaine consistance à l’institution du Premier ministre, comme une caisse d’enregistrement à la suite de réformes ou de mesures importantes menées [par le Roi] hors toute intervention de sa part et parfois sans même en être informé avant annonce au public (...); ne s’être jamais adressé, sur aucun sujet national, de quelque importance que ce soit, directement à la nation (…); avoir failli sur la question des droits de l’Homme; avoir essayé de combler d’honneur officiel l’ancien ministre de l’Intérieur au sein de son gouvernement; avoir voulu «enfoncer» la presse indépendante sous prétexte de la lenteur de la justice; avoir tenté de faire passer le dossier Mehdi Ben Barka à la trappe et de s’être montré incapable d’assumer son passé à la suite de la publication de la fameuse lettre de feu Fqih Basri… ». 
El Youssoufi fut pris dans l’étau des militants qui, dès le départ, n’étaient pas d’accord avec les conditions de «l’alternance» et de ses camarades qui n’apprécièrent pas ses dénonciations tardives, lorsqu’il fut évincé, parce qu’il compromettait leur participation au gouvernement. Nul doute que son escarmouche contre A. Azoulay et la DST n’avait pas été au goût des ministres USFP. 
Quant au Makhzen, il tolérait A. El Youssoufi lorsqu’il avait une certaine popularité; une fois qu’il la dilapida, il ne renforçait plus la monarchie et devenait un poids. En octobre 2003, A. El Youssoufi déclara se retirer de l’action politique et présenta sa démission  de l’USFP. Il semblerait que le Bureau politique de l’USFP fût sur le point de l’exclure du parti. Rumeur? En théorie, la démocratisation est un transfert de pouvoir d’un gouvernement non élu et non comptable de ses décisions à un autre à la fois élu et qui accepte de rendre compte de ses actes.
 Au Maroc, il y a effectivement des élections mais ni le Parlement ni le gouvernement ne semblent avoir une autorité suffisante et donc la question de leur jugement selon leur bilan est malaisée. Quant au pouvoir Royal, il n’a subi aucun aménagement dans le sens d’un transfert d’attributions vers les assemblées ou le gouvernement. Et à supposer que le monarque veuille que le gouvernement et le Parlement aient plus d’initiative, l’emprise du Makhzen ne peut décroître que si des réformes démocratiques sont adoptées. 
Le Roi Mohammed VI peut trouver exaltant de représenter un pouvoir qui a la légitimité des siècles pour lui et donc au plan de la subjectivité personnelle sentir la noblesse et la nécessité de la continuité historique d’un système politique qui a façonné l’identité des Marocains mais sur un plan purement rationnel, la société marocaine a besoin d’une organisation moderne et transparente dans laquelle la loi et le contrôle parlementaire interviennent efficacement. 
Sommes-nous dans une phase transitionnelle entre l’Etat-Makhzen (dont l’apogée fut le règne de Hassan II) et la monarchie véritablement constitutionnelle, étape qui est baptisée monarchie exécutive par le pouvoir et monarchie absolue par ses adversaires les plus radicaux? Le concept de démocratie revient fréquemment dans les discours du Souverain mais la monarchie veut abriter tout le projet démocratique, ses modalités, ses partenaires, son essence, sa séparation des pouvoirs et sa compétition politique en son sein. 
Or, le Maroc a besoin d’aller de l’avant : de rejoindre des pays comme la Turquie et la Malaisie et doit passer de la formule : la démocratie dans la monarchie (traditionnelle) à la monarchie selon la séparation des pouvoirs.  


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