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Le compteur s’affole entre flou terminologique et vide juridique : Le nombre d’enfants abandonnés au Maroc estimé à des dizaines de milliers


Hassan Bentaleb
Mercredi 21 Mars 2018

Le chiffre est plus qu’inquiétant parce que énorme. Pourtant, il a fait le tour de plusieurs médias nationaux sans avoir été  évalué ou remis en cause. En fait, nombreux sont les organes de presse qui ont rapporté à la lettre les résultats d’un rapport du journal «Le Monde» selon lequel 50.000 enfants naissent hors du mariage chaque année, que 24 enfants sont quotidiennement  abandonnés et que 300 nouveau-nés sont abandonnés dans la seule ville de Casablanca.   
Selon une étude datant de 2010 menée par le cabinet Amers, pour le compte de l’Association Insaf, chaque jour, 153 bébés naissent hors mariage dont 24 enfants sont abandonnés à la naissance. L’actualisation de cette étude de 2015 a révélé que la région de Casablanca comptait 44.211 enfants nés hors mariage, soit 3.366 nouveau-nés par an. La même étude a indiqué que 9.400 enfants ont été abandonnés entre 2004 et 2014.   
En 2012, l’infatigable activiste présidente de l’Association Solidarité féminine, Aicha Chenna a, pour sa part, déclaré que 500.000 enfants marocains sont nés hors mariage entre 2003 et 2009, soit 100 enfants par jour. Elle a même précisé que ces chiffres sont appelés à augmenter de 50% dans les 20 prochaines années si la révision de l’article 446 du Code pénal n’est pas opérée.
De son côté, le Centre marocain des droits de l’Homme a indiqué dans un communiqué publié en  2017 que plus de 100 naissances d’enfants de pères inconnus sont enregistrées quotidiennement.
Faut-il prendre ces statistiques pour argent comptant ? En fait, nombreuses sont les interrogations que suscitent ces données. D’abord au niveau des sources. D’où viennent ces chiffres ? S’agit-il de chiffres émanant des registres de  l’état civil, des archives hospitalières, des archives judiciaires et des PV établis par la police nationale ? Sachant qu’en 2015, le ministère de la Justice et des Libertés avait précisé  que 53.430 ménages n’ont pas d’actes de mariage légal et que 154.799 personnes avaient dépassé le délai réglementaire d’inscription à l’état civil.  Mustapha Ramid, l’ancien titulaire de ce portefeuille, avait précisé, par contre, devant la Chambre des conseillers que le nombre de dossiers déposés est passé de 5.274 en 2009 à 5.377 en 2013.
Ensuite, comment ces chiffres ont-ils été élaborés et d’après quelle définition et quelle méthodologie ? Que veut dire enfant né hors mariage ?  De qui parle-t-on au juste ? Est-ce qu’il s’agit seulement  des enfants nés sous X, de ceux qui ont été abandonnés ou de ceux trouvés et placés dans des orphelinats ou autres institutions similaires ? Qu’en est-il des enfants nés d’un père et d’une mère de mariages coutumiers ou de ceux issus de couples qui n’ont pas pu conclure leur mariage devant un adoul ? Comment peut-on définir un enfant abandonné ?  S’agit-il d’enfants qui ont été placés par l’un des ascendants, soit entre les mains de tierces personnes, soit dans une maison de protection de l’enfance ? A noter que le Dahir n°1-02-239 du 25 Rejeb 1423 (3 octobre 2002) portant promulgation de la loi n° 37-99 relative à l’état civil ne donne pas de définition précise  des enfants nés hors mariage ou abandonnés. L’article 16 du Code de l’état civil parle seulement de la  procédure d’enregistrement de ces enfants dans les registres officiels.  En fait, ledit article stipule que : « Lorsqu’il s’agit d’un nouveau-né de parents inconnus ou abandonné après l’accouchement, le procureur du Roi agissant de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité locale ou de toute partie intéressée procède à la déclaration de la naissance, appuyée d’un procès-verbal dressé à cet effet et d’un certificat médical déterminant approximativement l’âge du nouveau-né.
Un nom et un prénom lui sont choisis ainsi que des prénoms de parents ou un prénom de père si la mère est connue. L’officier de l’état civil indique en marge de l’acte de naissance que les nom et prénom des parents ou du père, selon le cas, lui ont été choisis conformément aux dispositions de la présente loi.
L’officier de l’état civil informe le procureur du Roi de la naissance ainsi enregistrée, dans un délai de trois jours à compter de la date de la déclaration. L’enfant de père inconnu est déclaré par la mère ou par la personne en tenant lieu ; elle lui choisit un prénom, un prénom de père comprenant l’épithète « Abd » ainsi qu’un nom de famille qui lui est propre ».
Un vide juridique grave de conséquences puisque personne ne sait de quoi on parle alors que d’autres législations précisent ce qu’est le terme d’enfant abandonné. C’est le cas de la législation canadienne qui  édicte que la situation est considérée comme un abandon en vertu de l'article 38 de la loi sur la protection de la jeunesse lorsque les parents d'un enfant sont décédés ou n'en assument pas de fait le soin, l'entretien ou l'éducation et que, dans ces deux situations, ces responsabilités ne sont pas assumées, compte tenu des besoins de l'enfant, par une autre personne.


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